Ce mercredi 10 février, le tribunal pénal de Santiago a annoncé mercredi l’acquittement de Mauricio Gonzalo Cheuque Bustos, un ouvrier du bâtiment qui aura passé 14 mois en… prison préventive, sans jugement. Une affaire qui rappelle la répression des Gilets Jaunes qui a fait rage en France. Reportage de notre envoyé spécial au Chili.
Mauricio Cheuque a en effet été accusé de porter un cocktail Molotov au milieu des manifestations sociales qui ont suivi la révolte populaire de 2019. Il a donc été jugé par le ministère public comme l’auteur du crime consommé de port d’engin incendiaire. Toutefois, le tribunal de Santiago a estimé qu’il existait « diverses contradictions et incohérences » de la part de l’accusation, ce qui a imposé un « doute raisonnable » tant sur la véracité du crime en lui-même que sur la prétendue participation de l’accusé.
Cheuque a été arrêté par les carabiniers le 15 novembre 2019 dans le quartier très engagé de la Población La Victoria, dans la commune de la capitale Pedro Aguirre Cerda. Le travailleur aura donc été emprisonné pendant 14 mois pour avoir prétendument porté une bombe à cocktail Molotov et pour être finalement acquitté. « J’ai été victime d’un coup monté par les carabiniers, ils m’ont consciemment accusé à tort juste car ils étaient furieux contre moi. Tout cela était un procès politique », dit Mauricio Cheuque.
«PERSONNE NE ME RENDRA LES 14 MOIS QUE J’AI PASSÉS EN PRISON ALORS QUE J’ÉTAIS INNOCENT»
Ce sont 14 mois de perdus. Ils ont ruiné ma vie et celle de mes filles… Ce temps que j’ai passé en prison alors que j’étais innocent, personne ne me le rendra, a déclaré Cheuque dans une interview accordée à El Desconcierto, journal chilien. « J’ai toujours dit ma vérité et j’ai été injustement emprisonné. Ils étaient furieux contre moi juste parce que j’avais un nom de famille mapuche (peuple indigène au Chili) », a déclaré l’ouvrier, qui a quatre filles et qui, avant cette longue période, a travaillé comme ouvrier du bâtiment.
Il a également raconté sa version des événements de cette nuit de novembre 2019 où il a été arrêté : « J’ai vu que des gars avaient fait une barricade, ils protestaient. Il y avait beaucoup de gens que je connaissais, des camarades de classe, alors je suis resté là à parler. Puis (…) j’ai vu la police se retourner, deux camionnettes arrivaient et quelqu’un a crié : « Courez, courez, la police arrive ! (…) À mi-chemin, alors que je courais sur le trottoir, je me suis rendu compte que deux fourgons de police me suivaient. J’ai fui le premier, mais c’est la deuxième camionnette qui m’a foncé dans le mur. Ils sont sortis et m’ont donné des coups de pied, alors que je leur disais que j’étais innocent et que je n’avais rien fait. »
Plus tard, après avoir été inculpé et placé en détention provisoire : « J’ai ressenti beaucoup de chagrin, de colère ; j’avais l’impression que le monde s’écroulait sur moi, parce que je suis le pilier de la maison ; ma femme ne travaillait pas parce que nous avions des petites filles. Nous devions payer des factures, des dettes, et mes filles devaient avoir assez à manger », se rappelle-t-il. Après l’annonce du verdict il y a une semaine, Mauricio Cheuque a été libéré le 3 février de la prison de Santiago n°1.
UN « DOUTE RAISONNABLE » QUI ÉTABLIT LE MONTAGE POLICIER
Dans un jugement unanime – dont le verdict a été annoncé la semaine dernière – le tribunal a conclu que les preuves présentées lors du procès étaient « insuffisantes, contradictoires et incohérentes » pour prouver à la fois que le crime a eu lieu et pour établir la participation de l’accusé.
La résolution ajoute que « les preuves de l’accusation souffrent de plusieurs contradictions et incohérences qui affaiblissent leur fiabilité, générant chez les juges un doute raisonnable sur la réalité de l’acte incriminé, une perception qui augmente lorsque l’on considère les preuves incorporées par la défense ».
Le tribunal fait aussi référence à des « incohérences quant à la manière dont les blessures de l’accusé ont été causées » pendant la procédure : selon les carabiniers, « il se les serait infligées lui-même lorsqu’il s’est enfui », mais un témoin de la défense et Cheuque lui-même ont déclaré « que les blessures ont été causées parce que la voiture de police dans laquelle les policiers voyageaient a percuté le suspect le jetant contre une propriété avant son arrestation.
Le tribunal a également relevé « des incohérences évidentes en ce qui concerne la saisie d’objets prétendument transportés par l’accusé », et a souligné que « la plus grande lacune mise en évidence » dans l’acte d’accusation est liée au manque de « fiabilité » de la chaîne de détention de ces objets.
LOIN D’ÊTRE UN CAS ISOLÉ
Durant le soulèvement populaire sans précédent d’octobre 2019 jusqu’à l’arrêt forcé des manifestations de masses dû à la pandémie mondiale, plusieurs milliers de personnes ont été détenues. Plus d’un an après, la Justice chilienne elle-même déclarait en janvier détenir encore 175 personnes en prison préventive dont 5 mineurs.
Malgré la pandémie et l’essoufflement des grands rassemblements contre le modèle ultralibéral installé dans le pays, les chiliens n’ont jamais cessé de se mobiliser. Aujourd’hui, la libération de ces prisonniers politiques fait partie des grandes revendications de ce mouvement qui a marqué l’esprit de toute la population. Un projet de loi d’amnistie et de grâce sans conditions a même été présenté au parlement.
Toutefois, le gouvernement a fait savoir via son porte-parole que le président Piñera ne douterait pas à l’heure de mettre son veto pour bloquer cette issue politique pour ces personnes enfermées pour avoir exercer leur droit de manifester. Cette intention de veto ne manque pas d’alimenter le débat et pose question au niveau démocratique, la démission de Piñera ayant été l’une des principales revendications de ce mouvement populaire sans précédent. Le président chilien reste cependant au pouvoir malgré une pression sociale omniprésente toujours en cours et un mandat tâché d’une répression brutale ayant coûté la vie à près d’une cinquantaine de civils et fait des milliers de blessés.
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