Festif, queer et antiraciste / traditionnel et syndicalisé
En arrivant sur la place, une ambiance étrange. Des générations qui se côtoient, des groupes qui se mélangent un peu, mais pas trop, et une musique : l’hymne du MLF. La chorégraphie organisée par l’intersyndicale interpelle, la musique résonne sur la place Royale, mais on ressent beaucoup de crispations face à ce chant des années 1970 aux tonalités racistes et essentialistes.
Les syndicats sont en effet jugés par de nombreuseux manifestant·e·s comme trop mous, collaborant avec les autorités, mais surtout peu inclusifs. En témoigne la parole donnée au micro, dès le début du rassemblement, à un homme cis. Moment de gêne. La manif du 25 novembre dernier, contre les violences sexistes et sexuelles, avait d’ailleurs été conclue par des tensions entre manifestant·e·s et un groupe transphobe qui prenait la parole.
Dans cette ambiance un peu étrange, les syndicats décident de partir en manif plus tôt que prévu, probablement par peur (légitime) de se faire déborder par une foule jeune, queer et déter. Et le débordement arriva.
Alors que les syndicats arpentent la rue d’Orléans pour rejoindre le cours des 50 Otages, une masse de personnes s’aligne derrière des banderoles , répondant à l’appel du SapphoGang, de BLM Nantes, du CAFN et de Collages Féministes Nantes. Passant par les petites rues de Saint Nicolas, collant de nombreuses affiches et lançant des slogans, le groupe déboule et prend de court les syndicats, qui les laissent prendre la tête de manif.
Sans protester, le cortège syndical laisse la place aux jeunes et l’ambiance se fait plus festive, mais toujours aussi revendicative. Des fumis sont craqués, des bombes de confettis éclatent, et le mobilier urbain est repeint de slogans. Pour de nombreuses personnes, ce type de cortège en mixité choisie est l’occasion de vivre pleinement, sans jugement et sans barrière. En cette période de pandémie et de restrictions, un moment de souffle bienfaiteur.
Presque à la préfecture, le cortège s’échappe du parcours institutionnel pour bifurquer rue Armand Brossard et envahir les petites rues. Un flic en panique lance des appels sur son talkie, la tête de manif est imprévisible et des cotillons viennent égayer la petite rue, alors que les habitant·e·s prennent des photos ou applaudissent aux fenêtres.
Mais la maréchaussée n’est jamais très sympa quand il s’agit de revendiquer la rue, un barrage de flics sur-armés et sur-protégés bloque vite le passage : la manif fait demi-tour. Pourtant la cacophonie ambiante met le cortège de bonne humeur, on se sent incontrôlables, ingouvernables, ici les gens ne rentrent pas dans les cases attendues : ce désordre, c’est la vie qui affronte un monde de mort.
Retour cours des 50 otages, les syndicats terminent tranquillement devant la préfecture pour des prises de parole peu entendues. Plusieurs tentatives de redescendre le cours sont lancées, mais les flics bloquent à nouveau le passage et personne ne veut réellement les affronter : casser l’ambiance leur ferait trop plaisir.
Le 8 mars s’achève ainsi : deux rassemblements espacés d’une centaine de mètres, l’un qui veut continuer la manif mais en est empêché, l’autre qui cherche à partir tout en faisant bonne figure. Finalement un mannequin sera brûlé en place publique sous les cris de «Nous ce qu’on veut c’est brûler Darmanin» au cœur d’une ronde dansée.
Tant que le sexisme, le racisme, la transphobie et toutes les formes de discriminations existeront, la lutte existera. Le 8 mars et tous les autres jours de l’année.
Images : Labornez, Elsa Gambin, Marion Lopez, presse locale, NR.