Par notre correspondant en Amérique du Sud
22 mars 2021 : c’est la date à laquelle a commencé la lutte de neuf prisonniers politiques chiliens. 50 jours d’une grève de la faim illimitée, entamée afin d’exiger l’abrogation des changements apportés en 2019 dans un décret-loi lié à l’accès à la liberté conditionnelle. Parmi ces personnes, trois d’entre elles ont été arrêtées dans le cadre de la révolte qui a débuté en 2019, quatre sont des anarchistes accusés d’avoir posé des explosifs et trois autres sont accusées d’expropriations et d’attaques contre les forces répressives. Avec de longues peines de prison à venir et en isolement, cet ensemble diversifié de prisonniers a montré sa capacité à coordonner une action de lutte qui, en cas de succès, n’impliquerait pas nécessairement un bénéfice particulier, mais un bénéfice collectif pour tous les prisonniers chiliens.
LIBERTÉ CONDITIONNELLE MAIS À QUEL PRIX ?
À l’origine de cet engagement se trouve donc le décret-loi nº321 promulgué le 18 janvier 2019, dans lequel le ministère de la Justice du régime de Piñera a modifié l’accès à la libération conditionnelle pour les détenus du pays en la transformant en une sorte de prestation, un cadeau du pouvoir mais plus un droit en tant que tel. Un autre aspect de cette loi qui viole les droits des personnes privées de liberté : la participation directe de la Gendarmerie à la production de rapports psychosociaux qui accréditent l’éventuelle réinsertion sociale des détenus. De plus, les nouvelles dispositions sont rétroactives et affectent l’exécution des peines prononcées avant l’entrée en vigueur de ce décret-loi.
Dans une déclaration, les prisonniers affirment que « cette modification durcit considérablement la possibilité d’accéder à la libération conditionnelle – qui s’étend dans certains cas sur des décennies – affectant un grand nombre de prisonniers qui voient leur peine devenir soudainement perpétuelle ». Les détenus mobilisés ajoutent que les prisonniers, pendant l’épidémie, sont soumis à une double peine par le régime Piñera, ce dernier « refusant la présomption d’innocence pendant les périodes d’enquête prolongées, les traitant comme des coupables, leur imposant des détentions préventives étendues même jusqu’au moment de leur condamnation ».Cette grève est une action sans précédent, puisqu’elle implique une coordination dans quatre centres pénitentiaires entre des individus de générations et de tendances idéologiques différentes, tous détenus dans des prisons de haute sécurité.
LA DÉMOCRATIE CHILIENNE, UN HÉRITAGE DIRECT DE LA DICTATURE
Pour mieux comprendre le contexte chilien qui a amené cette grève, conséquence directe de la révolte sociale de 2019, il est important de revenir sur la trajectoire historique récente de ce pays au sud du Monde. Dans les années 1970 l’infâme coordination répressive du plan Condor a entraîné la dictature militaire de Pinochet, qui perdura pendant deux décennies. Le Chili a ensuite connu une transition vers la démocratie qui a été en réalité une véritable prolongation légale de la dictature. En effet, cette démocratie a continué à imposer le modèle économique néolibéral du régime de Pinochet. Il s’agit d’une structure sociale mercantilisée au service du capital privé, avec toutes les conséquences que cela implique pour la population, la nature et la redistribution générale des richesses.
Cet « oasis » (tel que qualifié par le président Piñera) fictif a explosé en octobre 2019 comme un volcan incontrôlable qui, débordant de rébellion et de subversion, a conjugué solidarité extrême et auto-organisation sociale face à la répression féroce du corps des carabiniers, qui maintient l’héritage d’Augusto Pinochet.La répression systématique de la mobilisation sociale et le nombre important de personnes incarcérées a motivé la formation de plusieurs organismes de soutien solidaires aux prisonniers politiques, dont la Coordinadora 18 de Octubre. Niés par les sphères gouvernementales, les prisonniers politiques n’ont pas cessé d’exister au Chili depuis la dernière dictature, pas plus que l’opposition révolutionnaire de différents collectifs et individus.
L’IMPORTANCE DE LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE
Alors qu’aujourd’hui le contexte imposé par l’urgence sanitaire rend tout acte de mobilisation populaire discutable, le Chili nous donne – comme en 2019 – un nouvel exemple de ce que la lutte rend possible. La société mondiale en général, ou du moins la partie de celle-ci qui souhaite une transformation sociopolitique, ne devrait ignorer cet événement. Même si cela peut sembler éloigné de notre réalité, il faut comprendre l’importance du soutien international pour ces actions. Il est évident que le gouvernement de Sebastián Piñera se soucie peu de la santé et de la situation des prisonnier-es et des militant-es en général, ce qui a déjà été démontré par le nombre de décès, de blessures et de mutilations causés par la répression de la révolte populaire.
Au Chili, les années noires de la dictature ont été entourées d’une pression internationale continue, qui a limité les actions répressives du régime et sauvé de nombreuses vies, comme celles des milliers d’exilés politiques qui ont pu trouver l’asile ailleurs dans le monde. Les grèves de la faim qui furent menée dans les prisons chiliennes pendant la dictature, bien que ressemblant à des actes désespérés, réaffirmaient déjà la valeur et l’importance de la lutte, en toute circonstance, face au pouvoir répressif des tyrans.La prison et l’isolement sont destinés à être le recours final systématique de tout pouvoir despotique face à la lutte de ses habitant-es pour plus de justice sociale. L’enfermement extrême vise à isoler les individus pour empêcher toute action collective et briser moralement et physiquement les opposant-es.
À 50 jours du début de la grève, les prisonniers montrent évidemment des signes importants d’affaiblissement physique, mais ils donnent un exemple de force morale à celles et ceux d’entre nous qui jouissent d’une liberté d’action. Cette mesure démontre l’ampleur de la lutte sociale et montre que ses limites ne doivent jamais être fixées par la répression, mais par la volonté d’être des acteurs et actrices des transformations sociales, qui ne seront jamais des objets passifs utiles au pouvoir. Derrière les murs des prisons chiliennes, un appel à la solidarité internationale est lancé aujourd’hui pour rétablir les droits légaux de tous les prisonniers et pour la dignité des êtres humains en tant que combattant-es : vivant-es et actif.ves.
Images: sur Instagram @coordinadora18octubre