Si nous commémorons les 150 de la Commune de Paris, nous fêtions cette semaine une date particulière de l’histoire locale : la Commune de Nantes, durant laquelle la ville est mise en autogestion par les grévistes. Retour sur cet épisode.
“Une bise de passions anciennes, inexpiables et peut-être mal endormies, souffle encore aigrement dans les petits carrefours venteux qui s’ouvrent autour du Bouffay et de Sainte-Croix, et rappelle que la ville, dans les défoulements politiques collectifs, en 1793 comme en 1968, a eu tendance à aller plus loin qu’aucune autre.”
Julien Gracq, La forme d’une ville
Les manifestations massives et la grève générale qui secouent la France en mai 1968 sont l’aboutissement de plusieurs mois d’agitations intenses. Dans les universités évidemment, où à Strasbourg, Nantes ou Paris, des groupes d’étudiants enragés mettent le zbeul sur les campus. Par exemple, dès 1967, des affrontements ont lieu devant le rectorat de Nantes. Mais la grande force de l’époque est évidemment le mouvement ouvrier. Après les grèves insurrectionnelles de 1955 à Nantes, durant lesquelles les travailleurs de la Navale avaient mis à sac le siège du patronat, puis attaqué le Tribunal et la prison, le Mai 68 ouvrier démarre par l’ouest ! Dès le 9 avril, des débrayages sont organisés dans l’usine Sud Aviation, à Bouguenais, au sud de Nantes. C’est la première usine en mouvement. Le 13 mai, la fameuse nuit des barricades à Paris, une émeute éclate à Nantes. Dès le lendemain, l’usine Sud Aviation est occupée par les grévistes, et les patrons sont séquestrés. Ils le resteront jusqu’à la fin du mouvement !
Le 24 mai, des dizaines de milliers de personnes se rassemblent dans le centre-ville. Étudiants, ouvriers et paysans occupent la place Royale, rebaptisée “Place du Peuple”. Nantes est la seule ville en France où l’on peut voir des tracteurs défiler au côté des manifestants. La préfecture est attaquée avec des engins de chantiers et prise d’assaut. Un début d’incendie se déclare. Le préfet de Nantes appelle Paris pour demander l’autorisation d’ouvrir le feu sur les manifestants. Heureusement, le pouvoir central refuse. L’hôtel de ville envahi et occupé.
C’est le début d’un épisode unique en France : la Commune de Nantes.
Un comité de grève composé d’ouvriers et de paysans décide de prendre en main l’approvisionnement de la ville depuis l’hôtel de ville occupé. Les jours qui suivent, le pouvoir s’est évaporé. La police ne quadrille plus les rues de Nantes. La CFDT du département appelle à poursuivre la remise en cause du capitalisme, du gaullisme, de l’exploitation de l’homme par l’homme. Le 28 mai, des comités provisoires sont créés afin d’assurer la gestion populaire des caisses de sécurité sociale et d’allocations familiales. Les quotidiens Ouest-France et Presse-Océan publient désormais sous le contrôle des journalistes et des ouvriers du livre.
Le 31 mai, un grand rassemblement se tient pour réclamer l’extension des attributions du comité de grève. La pression des bureaucraties nationales conduisent à voter de justesse la reprise du travail à partir du 4 juin, et à faire sombrer dans l’oubli la période que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Commune de Nantes.