1923 : une anarchiste abat un leader d’extrême droite, elle est massivement soutenue. «La seule réponse logique que l’on puisse faire aux rugissements de haine»
C’était il y a quasiment 100 ans, une époque révolue, celle du lendemain de la première guerre mondiale. L’Europe peine à se relever de l’atroce boucherie militariste de 1914-1918. Il y a eu des millions de morts, l’économie est en crise, la situation politique est sous tension. Le nationalisme monte en Allemagne, en Italie et en France.
Ces années sont marquées par des affrontements de rue de plus en plus violents entre l’extrême droite, essentiellement royaliste d’un côté, et les communistes et anarchistes de l’autre. Rappelons d’abord que juste avant le déclenchement de la guerre, la grande figure socialiste Jean Jaurès, opposant à la guerre et au militarisme, avait été assassiné par un militant d’extrême droite, Raoul Villain. Le tueur sera acquitté juste après la fin du conflit.
Germaine Berton est une jeune anarchiste, qui avait assisté aux meetings de Jaurès lorsqu’elle était enfant. Dans les années 1920, elle est ouvrière dans la métallurgie, écrit dans un journal libertaire, «Le réveil», et s’oppose au militarisme. Elle veut venger la mort de Jaurès, et toutes les autres personnes tuées et blessées par les coups des «Camelot du Roi», cette milice violente de l’Action Française.
Le 22 janvier 1923, Germaine, à peine âgée de 20 ans, rentre dans les locaux du journal de l’Action Française avec une arme, et abat de quatre coups de pistolet Marius Plateau, le chef des Camelots du Roi. Une cible de second choix : elle voulait liquider Léon Daudet, dirigeant de l’Action Française mythomane, violent et antisémite. L’affaire fait grand bruit, elle déchaîne les passions dans la presse de l’époque.
«Germaine Berton, nous l’aimons bien fort parce que son geste est la seule réponse logique que l’on puisse faire aux rugissements de haine des chacals de la réaction» écrit-on dans le journal «Le Libertaire». À l’époque, les forces sociales n’étaient pas aussi pudiques qu’aujourd’hui pour soutenir les personnes qui paissaient à l’action concrète.
L’extrême droite, de son côté, vomit sa misogynie, et parle d’une «main germano-bolchévique» derrière la «Femme Berton». Toute ressemblance avec la rhétorique actuelle n’est absolument pas fortuite. La féministe Madame Hauteclaire, écrit en revanche : «O femmes ! O mères ! qui chaque jour buvez vos larmes (…) N’oubliez pas Germaine Berton. Elle vous a donné ses 20 ans». Les écrivains surréalistes vont même faire de Germaine Berton une figure héroïque.
Le procès fait la Une des journaux. L’avocat de la jeune anarchiste invite à la barre la journaliste féministe Séverine, l’avocate Suzanne Lévy, le député Léon Blum, et de nombreuses personnes attaquées par les Camelots du Roi. Et c’est un succès ! Au terme de rebondissements et de combats, Germaine Berton est acquittée !
À l’heure ou l’antifascisme est criminalisé, que la parole fasciste a droit de cité dans tous les médias et que l’on s’indigne d’une simple affiche contre un pétainiste, l’histoire de Germaine Berton invite à la réflexion. Il fut un temps où la gauche faisait bloc, et osait rendre les coups. Dans la presse ou dans la rue, avec la plume ou le pistolet. À la hauteur du danger que le fascisme représentait.
Et l’histoire leur a donné raison. Autant dire que les attaques de meetings d’extrême droite étaient monnaie courante et réunissaient, évidemment, tous les syndicats et partis de gauche. Bien loin de la passivité actuelle.
Pour aller plus loin, le livre «Germaine Berton : une anarchiste passe à l’action» de Frédéric Lavignette, L’Echappée, 2019.