Mort de Jean Rigollet : le préfet veut balayer l’histoire de la répression nantaise


À Nantes, les manifestations ne sont plus déclarées depuis l’assassinat de Jean Rigollet en 1955


Une manifestation arrive devant la préfecture de Nantes dans les années 1950

1955. Le contexte est brûlant à Nantes et Saint-Nazaire : les ouvriers du chantier naval de Saint-Nazaire enchaînent grèves surprises et manifestations massives pour demander des revalorisations salariales. Sous-payés, méprisés et humiliés, ils survivent depuis des années dans des conditions misérables malgré des heures de travail acharné, face aux patrons sourds aux revendications. L’État enverra même les CRS dans les usines, pour protéger le patronat de la révolte ouvrière, qui saboteront les vélos des ouvriers.

Le 18 août, dans cette atmosphère explosive, le préfet Rix fait savoir aux ouvriers que les CRS ne libéreraient pas les chantiers si ils ne reprenaient pas le travail comme avant. Cet énième épisode de mépris et de provocation provoque une manifestation d’ampleur le lendemain. Des barricades sont dressées, des heurts éclatent. Les CRS ouvrent le feu, sans sommation. Un jeune ouvrier de 24 ans est tué, d’une balle dans le cou, Cours des 50 Otages. Il s’appelait Jean Rigollet. Les déclarations émétisantes du préfet suite à cette exécution ont des relents de fascisme : «l’ordre sera maintenu envers et contre tout». Aujourd’hui, c’est dans le contexte actuel – alors que la classe politique s’émeut d’une vitre brisée lors d’une grande marche aux flambeaux contre l’extrême droite et l’injustice sociale et demande en conséquence l’illogique dissolution de notre média – que le préfet profite de revisiter les manifestations nantaises en évoquant une «discussion» à venir avec les syndicats sur la «nécessité de déclarer les manifestations». Comprendre : désormais, l’État veut reprend une main sécuritaire sur la liberté de manifester à Nantes, sur fond de campagne électorale, en abolissant l’exception nantaise, mémoire d’une répression sanglante. Une négation et un irrespect profond à la mémoire de Jean Rigollet.

Déclarer les manifestations est déjà absurde en soi. Si l’état français se targue de garantir une liberté de manifester, en pratique ce n’est pas la réalité : n’importe quel arrêté préfectoral peut mettre fin à la prétendue autorisation de manifester. Les exemples ne manquent pas : manifestations de Gilets Jaunes, manifestations de soutien à Tristan, teufeur emprisonné pour avoir envoyé des sms au nouvel an l’année dernière, ou encore manifestation de protestation face aux bombardements sur Gaza. Autant de mouvements d’indignations que l’État a tenté de museler en avançant une interdiction de manifester. Où est la liberté quand le droit de manifester est conditionnée à l’autorisation du pouvoir ?

Interdire une manifestation sous prétexte qu’elle n’est pas déclarée sera un outil de plus pour réprimer les mouvements de contestation nantais. Mais jusqu’où ? Tous les participant à une manifestation non-déclarée seront-ils alors enfermés en garde-à-vue et convoqués au tribunal pour délit ? Si les geôles du commissariat le permettaient, on pourrait y penser, vu le contexte. La police nantaise ne s’est d’ailleurs jamais privée d’arrêter gratuitement des groupes de personne sur des prétextes fallacieux, comme confectionner une banderole ou porter des lunettes de protection ou posséder un parapluie en abord d’une manifestation.

En outre, les manifestations devraient être l’œuvre d’un mouvement de protestation spontané, né d’un besoin de revendication face à une actualité aiguë. Déclarer une manifestation perd tout le sens d’un mouvement revendicatif. À Nantes, l’intérêt de déclarer un parcours, quand on sait que le centre-ville est quasiment toujours en état de siège et que toutes les artères de la ville sont bouclées hormis le Cours des 50 Otages, devient très limité.


Les syndicats sauront ne pas céder aux menaces et à cette insulte envers les travailleurs et la mémoire des luttes et de celles et ceux qui y ont laissé la vie.


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