«Ces dispositifs sont l’expression du capital en train de se refermer sur ses sujets, comme un piège définitif caché dans un sourire biométrique»
Sandrine Aumercier
Alors qu’on punit déjà plus sévèrement un jeune homme pour le vol d’un sandwich que les propriétaires du capital responsables de tragédies partout sur le globe, que des millions de personnes sont persécutées parce qu’elles tentent de fuir ces mêmes tragédies ou encore que certains pachas de plateaux télé appellent à qualifier de terrorisme un colère légitime contre une vitrine des instruments financiers rendant tout cela possible, le capitalisme dans son stade agonisant invente encore de nouveaux outils de contrôle des populations. La techno-surveillance.
Techno-surveillance des frontières
Bienvenue dans le monde des algorithmes, de la «vidéo surveillance intelligente» et du crédit citoyen. La Méditerranée est devenue un cimetière, de l’autre côté de la rive on a vu des marchés aux esclaves, des îles sont transformées en prisons et le traitement des demandes d’asile est externalisé auprès de dictatures. Mais l’Union Européenne ne s’en soucie guère, ce qui compte c’est la préservation d’une forteresse qui ne fait que s’accaparer les richesses d’un monde extérieur dont elle continue de dégrader les conditions d’existence.
Dans cette logique, depuis 2016, la Commission Européenne met au point le dispositif iBorderCtrl (renommé depuis iCROSS) dont aucun média à la solde du système n’a parlé. De janvier à août 2019, une première expérimentation a été mise en place sur les frontières grecques, hongroises et lettonnes. Cette technologie dite de «contrôle intelligent», qui a coûté plus de quatre millions d’euros, se donne pour objectif de fluidifier le passage aux frontières tout en faisant face à «la menace croissante d’immigration illégale».
La procédure consiste à soumettre son passage à la frontière à l’interaction avec un machine qui analyse les documents fournis, pratique la reconnaissance faciale, pose des questions «personnalisées» et détecte les mensonges, après quoi les individus sont aiguillés vers une file à «bas risque» et une autre à «haut risque». Sans parler du taux d’échec de ces algorithmes de plus de 25%, ce processus complètement inhumain n’est qu’un pas de plus vers une société où la surveillance, adossée à des machines, prend le pas sur nos vies.
La surveillance automatisée
Autre exemple de cette délégation aux «IA» : la vidéosurveillance 2.0. À force de mettre des caméras partout, les organes de contrôles manquent d’humains pour analyser les flux d’images, leur solution est donc de confier leur traitement à des algorithmes. Des sociétés, comme le groupe français XXII, se spécialisent dans des solutions qui confient à des ordinateurs la détection des actions anormales de la part des citoyen-ne-s. La ville de Suresnes (92) a ainsi conclu un contrat avec XXII afin de coupler le logiciel à leur réseau de caméras dans le but d’identifier les maraudages ou les rassemblements de personnes. Mais cela ne s’arrête pas là, une entreprise de Metz a développé un logiciel d’«hypervision » qui permet d’afficher sur une carte le non respect du port du masque, de la distanciation sociale ou encore les cas de fièvre.
Malgré l’absence de texte de loi autorisant ces technologies, le plus souvent les entreprises les implémentent pour leurs clients sous couvert d’expérimentation. Si ces systèmes externes de contrôle des populations sont inquiétants, ceux que les gens seront d’accord de porter eux-mêmes le sont davantage.
Prochaine étape : le crédit social
En Italie, la ville de Bologne va bientôt lancer un «portefeuille du citoyen vertueux». Ce portefeuille fonctionnera ainsi : «Les citoyens seront reconnus s’ils trient les déchets, s’ils utilisent les transports en commun, s’ils gèrent bien l’énergie, s’ils ne prennent pas de sanctions de la part de l’autorité municipale, s’ils sont actifs avec la carte culture». Les points ainsi cumulés pourront être convertis en lots dont la nature n’est pas encore précisée. Ce système poussera les plus précaires à l’adopter en vue d’accroître légèrement leur pouvoir d’achat. Il faut bien un peu d’incitation car, pour l’instant, il ne s’agit encore que de volontariat et là aussi sur des bases expérimentales. C’est fou ce que les tenants de la techno-surveillance adorent l’expérimentation !
Si, pour l’instant, le système fonctionne au bonus, ne soyons pas dupes : les malus arriveront un jour.
Travail, consomme et ferme ta gueule, le tout sous le contrôle des algorithmes, voilà l’avenir du capitalisme de techno-surveillance.
Sources :