Régulièrement, lorsque le sujet de la guerre d’Algérie est abordé, les médias et la droite répètent qu’il ne faut pas faire de «repentance» : ce serait de l’histoire ancienne, et la France n’aurait pas à s’excuser pour la colonisation. Une façon d’occulter toute l’histoire du conflit et de ses crimes. Dans le même temps, le pouvoir vient de réhabiliter et de décorer Joseph Estoup, un ancien légionnaire, partisan de l’Algérie française et putschiste.
Avril 1961. La Guerre d’Algérie touche à sa fin, après un véritable bain de sang. L’extrême droite refuse d’abandonner l’Algérie française. Un groupe terroriste, l’OAS, multiplie les attentats et tue des milliers de personnes. En Algérie, le 21 avril 1961, des généraux organisent un coup d’État contre la République. Ils veulent imposer par la force un régime colonial proche du fascisme. Le putsch est un échec, car l’armée ne suit pas en métropole. De Gaulle reste au pouvoir, mais la situation est très tendue.
Parmi les fers de lance du coup d’État, le 1er Régiment Étranger de Parachutistes – REP. Une branche de la Légion dans laquelle se trouve le capitaine Joseph Estoup. Le capitaine est arrêté pour «rébellion», dégradé, condamné à de la prison avec sursis et perd le droit de vote. Il sort de l’armée. Une peine relativement clémente pour un artisans d’un coup d’État militaire.
30 avril 2022. 61 ans plus tard, Joseph Estoup est fait commandeur de Légion d’honneur. Un putschiste décoré par l’armée avec l’approbation du gouvernement Macron. Ce vendredi, lors de la cérémonie, il a déclaré à la Légion : «Je veux vous dire ma reconnaissance, mon affection et ma fidélité». Il est désormais pleinement pardonné. Le soldat à la retraite occupait la place d’honneur lors de la célébration la plus importante de la Légion étrangère, la fête de Camerone.
Non seulement les crimes d’État commis en Algérie n’ont jamais été punis, mais un ancien partisan de l’Algérie Française est décoré. N’oublions pas ce que ces soldats ont fait de l’autre côté de la Méditerranée. En particulier les «paras», dont faisait partie ce capitaine.
Joseph Estoup était venu témoigner lors du procès du lieutenant Godot, qui avait participé au putsch avant de rejoindre l’OAS : «Monsieur le président, en langage militaire on dit “faire du renseignement”, en langage du monde on dit “presser de questions”, en français on dit “torturer”. Je déclare sous la foi du serment, et personne en arrière de cette barre n’osera me contredire, que le lieutenant Godot, comme des centaines de ses camarades, a reçu l’ordre de torturer pour obtenir des renseignements !» Il avait aussi déclaré : «C’était la croisade et les croisades de tous les temps se ressemblent». Une façon de justifier les crimes des militaires.
En 2022, le pouvoir décore un soldat qui a tenté de renverser la République, et proclame dans le même temps que la religion musulmane serait une menace pour la démocratie, et dissout des associations pour de simples propos ou appels à manifester, au nom de la lutte contre le «séparatisme» et de la «protection de la République». Double discours ahurissant.