La fabrique de l’opinion : la tartufferie des médias dominants


Le flot d’informations ne garantit plus la présence de contre-pouvoirs, mais l’omniprésence du pouvoir


Un article du dernier numéro du journal Fakir a été mis en accès libre récemment. Nous vous en conseillons la lecture, car l’histoire est édifiante : celle de Julien Fomenta Rosat, journaliste pigiste qui a rédigé pendant des années des articles complaisants envers les clients fortunés d’une entreprise de communication.

Anciennement iStrat, puis Demeter Partners, la société est rebaptisée Avisa Partners en 2018 et cache ses activités d’influence des médias derrière une agence de relations publiques. Opaque, le montage est révélé à Fakir par le rédacteur lui-même : faire un boulot de connard, même si ça paie les factures, ça pèse sur la conscience. Heureusement, il en a une, de conscience !

La méthode est d’une simplicité extrême : un client (le plus souvent une entreprise multinationale peu scrupuleuse ou un État autoritaire) souhaite revaloriser son image, soit pour engranger davantage de profits, ou bien assurer sa pérennité, ou simplement pour son bon plaisir puisqu’il en a les moyens. Le client (au hasard, le multimilliardaire Bernard Arnault) va donc payer un article flatteur ou, au contraire, un brûlot contre ses détracteurs (au pif, François Ruffin, le député auteur du film « Merci patron », en plus d’être directeur du journal Fakir).

L’article est rédigé par un indépendant, puis est vendu comme prêt à publier à des journaux souvent considérés comme « sérieux », gavés de subventions publiques comme Le Point. L’article est publié sous un nom de journaliste souvent inventé, que l’on fait passer pour spécialiste de la question. La ficelle est trop grosse ? Cela fait pourtant des années que ça dure !

L’auteur réel n’est qu’une plume sélectionnée pour sa capacité à convaincre, mais la recherche journalistique n’est nulle part présente. C’est la réalité qui doit s’adapter à la commande et non l’article qui doit raconter une vérité. On savait déjà que les journaux et sites internet commerciaux d’informations étaient des torchons bourrés de publicités, mais on passe désormais dans une nouvelle dimension : CE SONT des publicités. Des pubs grassement rémunérées par et pour les puissants de ce monde, qui paient pour que l’on chante leurs louanges.

Lors du rachat de Twitter par Elon Musk, ce dernier considérait qu’il fallait lever toute forme de modération du réseau social car elle s’apparenterait à de la censure. Elon Musk, l’homme le plus riche du monde, puissant parmi les puissants, favoriserait-il la circulation des informations et la mise en place de contre-pouvoirs ? Rien n’est moins sûr.

Diffuser tous les contenus, relativiser toutes les informations, noyer le poisson. Une sorte de mithridatisation de l’information : le roi Mithridate, qui régnait sur le Bosphore dans l’Antiquité, consommait régulièrement de petites doses de poison pour être immunisé en cas d’empoisonnement. Au lieu de censurer les informations qui pourraient bousculer l’ordre bourgeois et risquer un « effet Streisand » (populariser une information en cherchant à la faire disparaître), il vaut mieux laisser l’information circuler en étant diluée dans un flot ininterrompu et inintéressant d’informations insipides et inoffensives pour le pouvoir en place.

Ce flot, ce sont les articles payés par Avisa Partners. Et par une étonnante coïncidence, Olivia Grégoire, actuelle porte parole du gouvernement, a été directrice associée d’Avisa Partners ! Les médias mainstream nous abreuvent ainsi à longueur de journée d’analyses réacs et complaisantes, mais surtout d’informations diverses dont on ne peut tirer aucune analyse politique qui permette de penser la subversion. Info en continu et divertissement partout, révolution nulle part sur des médias détenus, dans leur très grande majorité, par ce que le Monde Diplomatique appelle le Parti de la Presse et de l’Argent.

Pire, non contents de saturer l’espace médiatique de fausses informations, d’articles orientés en leur faveur, ces puissants cherchent à semer le trouble sur la pertinence de vraies enquêtes journalistiques. Le terme de « fake news », utilisé à tord et à travers, est trop souvent adressé contre des enquêtes journalistiques sérieuses et sourcées, mais qui lèvent des lièvres trop gros pour être dilués par BFM. Les milliardaires ont encore de beaux jours devant eux si on ne leur tord pas le poignet, si on ne les contraint pas à libérer l’information. La dernière fois que la bourgeoisie a perdu la main sur les médias, c’est lorsque le Conseil National de la Résistance a interdit aux capitaux industriels de financer les grands titres de presse. Le principe était simple : l’information doit être au service de la population et pas de quelques riches collabos.

Pourtant cette mesure a vite été mise à mal dans les années 60, annonçant la destruction de tous les acquis de la Libération qui interviendra par la suite, et que Macron se propose d’achever avec la réforme des retraites et la destruction de la Sécu. Notre projet de Contre Attaque rejoint en partie celui de Fakir et des autres titres de la presse indépendante : faire le lien entre la transmission d’informations et la construction d’une opposition politique révolutionnaire puissante. Faire vivre les luttes, servir de porte-voix, être un outil d’émancipation, et faire descendre de leur piédestal les ordures qui sont au sommet.


Suite à la publication de l’article de Fakir, Médiapart a eu l’honnêteté de faire le ménage dans les articles provenant de telles agences de communication.

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