Analyse d’une escalade sécuritaire : comment Nantes est devenue un laboratoire de la répression
Déchaînement de propagande
«Nantes, peur sur la ville», «Nantes, pire que Bogota». Pendant deux semaines, quotidiennement, les chaînes d’info en continu ont imposé un récit anxiogène depuis Paris : la ville de Nantes serait à feu et à sang. De quoi alimenter par avance la répression future.
Après plusieurs jours de reportages délirants et d’interviews policières en plateau, Cnews dépêchait un présentateur dans les rues de Nantes le 29 septembre, pour filmer l’insécurité. Il s’est retrouvé devant des rues parfaitement calmes. Tant pis, il fallait faire du sensationnel : en direct, les caméras ont zoomé sur des passants maghrébins en affirmant qu’il s’agissait de «dealers». Une intoxication raciste délibérée.
Dans la foulée, la presse d’extrême droite, Valeurs Actuelles, Le Figaro, puis la presse locale ont amplifié l’écho médiatique de cette campagne délirante. Ils se sont notamment jetés sur un viol commis de nuit sur l’île de Nantes. La victime a trouvé la force de réclamer publiquement que cesse la récupération du crime terrible qu’elle venait de subir. Peu importe, les charognards de la presse l’ont utilisé, amplifié, avides, obscènes. «Peur sur la ville», rien ne devait arrêter la machine.
Annonces sécuritaires
Cette campagne folle a porté ses fruits. La maire socialiste de Nantes s’est précipitée dans le gouffre sécuritaire : multipliant les déclarations sur les chaînes des milliardaires, se précipitant chez Darmanin, ministre de l’Intérieur issu de l’extrême droite.
Le 5 octobre, Johanna Rolland annonçait fièrement une batterie de mesures autoritaires. 100 caméras de surveillance supplémentaires, soit un total de 250 dans la ville. Quand Estrosi en installait le même nombre à Nice, tout le monde dénonçait la société de contrôle. Elle annonçait aussi l’implantation de la CRS 8, une unité de «super-CRS», qui patrouillent déjà cagoulés et lourdement armés dans les rues et contrôlent au faciès.
La maire PS promet aussi la construction d’un CRA, un camp de rétention pour exilé.e.s à Nantes, faisant ouvertement le lien entre immigration et insécurité, marchant ainsi dans les pas de la droite extrême. La majorité «rose-verte» participative n’est, comme d’habitude, qu’une salle d’attente pour le fascisme.
Enfin, Johanna Rolland claironnait l’embauche de 70 policiers municipaux de plus, et de l’arrivée d’une «unité de force mobile» de 70 agents, «affectée aux quartiers politiques de la ville». Traduction : la mairie va encore davantage fliquer les pauvres.
Une ville sous occupation
Tout le monde sait parfaitement que Nantes est déjà une ville hautement sécuritaire, un véritable laboratoire de la répression. La mairie développe un centre de vidéosurveillance depuis des années, arme sa police municipale, de plus en plus nombreuse, le tribunal envoie en prison à tour de bras. La Bac de Nantes et les images de ses interventions ultra-violentes sont connues dans tout le pays.
Quel est l’objectif de cet emballement ? Mettre Nantes en coupe réglée ? Les CRS ne gèrent pas «l’insécurité», ils font du maintien de l’ordre, ils répriment les manifestations, occupent l’espace public. Les caméras n’empêchent pas la délinquance, toutes les études le prouvent, mais elles sont très efficaces pour fliquer la population. Un centre de rétention ne sert qu’à appliquer les politiques xénophobes et inhumaines de l’État. Rien de tout cela n’a pour objectif de veiller à la «sécurité», mais d’organiser la répression d’une ville trop agitée.
Inversion du réel
La mise en scène actuelle choque bon nombre de nantais et nantaises que l’on n’entend pas dans les médias. Faut-il rappeler que 4 personnes sont mortes en 5 ans lors d’interventions de police à Nantes ? Abou, lors d’une interpellation en 2017. Aboubakar, d’une balle dans le cou en 2018. Steve, noyé le soir de la fête de la musique en 2019. Et un quinquagénaire, mort dans une cellule de garde à vue le 14 septembre 2022, dont on a très peu entendu parler. 4 morts, aucun procès, aucune condamnation.
Nantes, ce sont aussi plusieurs centaines de blessés par la police ces dernières années, victime d’une répression délirante. Notamment 3 personnes éborgnées en une seule journée lors d’une manifestation contre l’aéroport, une main arrachée sur la ZAD, un lycéen éborgné au LBD en 2007 – le premier en France – un jeune Gilet Jaune dans le coma en 2018, aujourd’hui lourdement handicapé au cerveau. Aucun procès, aucun coupable.
Ce sont aussi des milliers de gardes à vue lors des mouvements sociaux, des patrouilles omniprésentes, des dispositifs policiers uniques en France. La répression à Nantes, enfin, ce sont des descentes de dizaines de policiers armés pour un homard en papier mâché ou un atelier de banderoles.
Il suffit de sortir dans une rue de la ville pour se rendre compte que le taux de policiers par habitants et sans doute l’un des plus élevés de France. Certains médias ont pourtant osé présenter Nantes comme une ville sans policiers. L’inversion du réel à son paroxysme.
Que disent les chiffres ?
Selon les données policières elles-mêmes, pourtant très discutables, la délinquance baisse à Nantes. Selon un rapport du 28 septembre comparant l’année 2019 et l’année 2022, les fait de délinquance ont diminué de 9,31%, le nombre de mis en cause baisse de 6,98%, même les gardes à vue diminuent cette année de 5,76% alors que les magistrats ont des consignes de fermeté. Le nombre de mineurs mis en cause et d’étrangers baissent également. Les «atteintes à la tranquillité publique » baissent de 6,23% comme les cambriolage.
Deux indicateurs augmentent : les «atteintes à l’intégrité physique» et le trafic de stupéfiant. Plusieurs gros réseaux de trafiquants ont été démantelés ces dernières années, provoquant des guerres de bandes et des tirs dans certains quartiers pour récupérer des zones. L’augmentation de la violence mafieuse est donc, en partie, liée à l’arrestation de gros bonnets.
Par ailleurs, la question de la drogue ne se règlera pas pas la répression. Les pays d’Amérique Latine ont eu beau déclarer la «guerre» à la drogue au prix de centaines de morts, le trafic ne s’est jamais aussi bien porté en Colombie comme au Mexique ou aux USA. Tant que les inégalités se creuseront et que les perspectives sociales s’assombriront pour de nombreux jeunes défavorisés, toutes les polices du monde ne pourront pas résorber ces trafics, qui sont une forme de capitalisme sauvage parmi d’autres. Le système néolibéral génère ces mafias.
Sortir du piège
Nous sommes donc pris en étau dans une mâchoire infernale. D’un côté, la ville de Nantes et la France dans son ensemble foncent chaque jour plus profondément dans la répression. De l’autre, la prolifération de groupes mafieux et de violences nihilistes ne peuvent qu’augmenter sur fond de désagrégation sociale, de désespoir, de pertes de repères.
Par exemple, les troubles mentaux explosent, et l’on sait que la moitié des personnes incarcérées relèvent de soins psychiatriques plutôt que de sanctions. Mais il n’y a plus de moyens pour ces soins. Le nombre de sans abris augmente et ce sont parmi les catégories de population les plus réprimées. Le modèle qui s’impose est de tout régler par la police. Toujours moins de réponses sociales, toujours plus de réponses pénales.
Saviez vous que le nombre de policiers par habitants est déjà plus élevé en France aujourd’hui qu’en Allemagne de l’Est en 1962 ? Et que le gouvernement investi des milliards supplémentaires pour «doubler» le nombre de patrouilles sur le terrain pendant que tous les autres services publics sont à l’agonie ? Les mobilisations collectives et les solidarités sont déjà les premières victimes de ce piège infernal.
Si à Nantes, le nombre de policiers ne cesse d’augmenter et le «sentiment d’insécurité» aussi, que peut-on en déduire ? Que la police est inutile, que la répression n’est pas la solution, ni à Nantes ni ailleurs. Ces centaines d’agents et plus et ce Centre de Rétention n’apporteront que du mal aux plus faibles, aux plus pauvres, aux exclus, et à celles et ceux qui désobéissent.
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