Rémi aurait 29 ans aujourd’hui. Sa mort constitue un tournant politique majeur.
Dimanche 26 octobre 2014, au matin. Les médias répètent en boucle les mots de la préfecture : «Le corps d’un homme a été découvert par les gendarmes» à Sivens, dans le Tarn, sur l’esplanade de terre battue où se situait une forêt dévastée par un projet de barrage. Une vie vient d’être arrachée par la grenade explosive tirée par un gendarme. Une munition a tué sur le coup un jeune de 21 ans, Rémi Fraisse.
Toute la nuit qui vient de s’écouler, des dizaines de grenades et de balles en caoutchouc ont été envoyées sur quelques grappes de manifestants. Le Parti Socialiste vient de tuer un jeune écologiste pour imposer un projet absurde et destructeur : l’accaparement d’eau pour de l’agriculture intensive et polluante.
Immédiatement, le pouvoir tente de salir à titre posthume le défunt : en suggérant qu’il est peut-être responsable de sa propre mort, en faisant croire que le sac de Rémi aurait peut-être contenu des explosifs. Tout est faux, mais il faut faire illusion, gagner du temps.
Dans les jours qui suivent, le gouvernement inonde les rues de nuages lacrymogènes. Il n’est pas rare que la police tue en banlieue, mais c’est la première fois qu’une personne perd la vie au cours d’une manifestation depuis plusieurs décennies. Le précédent remonte au 6 décembre 1986, quand Malik Oussekine était mort sous les coups d’une patrouille de policiers à moto, près d’une manifestation étudiante. Après la mort de Malik Oussekine, plusieurs centaines de milliers de personnes défilaient dans les rues de Paris et de plusieurs grandes villes de France en solidarité, contre les violences policières. L’affaire poussait un ministre à démissionner. Les «voltigeurs» étaient dissous. La loi Devaquet enterrée.
Après la mort de Rémi en 2014 : rien. C’est un tournant historique. Au lieu de calmer le jeu, le gouvernement choisit la force : il interdit les manifestations en hommage au jeune écologiste. Les villes sont mises en état de siège. Rennes, Nantes ou Toulouse sont occupées, plusieurs samedis d’affilée, par des dispositifs de centaines d’uniformes, appuyés par des hélicoptères. Tout est fait pour réduire à néant les protestations, étouffer les braises. Les policiers ont carte blanche : arrestations préventives de masse , charges sans sommation, tirs de grenades.
Le temps où les gouvernants faisaient le dos rond quand ils avaient du sang sur les mains est révolu. Le sang versé à Sivens suscite au mieux une indifférence gênée, au pire un soutien tacite. La gauche institutionnelle n’essaie même plus de faire illusion. Pourquoi sortirait-elle de sa léthargie pour un jeune botaniste tué par la gendarmerie ?
Ceux qui gouvernent la France vont acquérir une nouvelle expertise : celle de faire accepter le meurtre d’un opposant politique. À partir de là, il redevient “possible” de tuer un manifestant sans provoquer de réaction massive. 8 ans plus tard, aucun gendarme n’a été condamné. Et sa famille pleure toujours Rémi.
Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, ira jusqu’à déclarer plus tard : «Ce ne sont pas les attentats qui m’ont fait gagner le respect de mes hommes, mais bien Sivens». L’État a fait bloc autour de ses forces de l’ordre.
Depuis, il y a eu la Loi Travail, les Gilets Jaunes, des mobilisations sociales, écologistes, ou pour défendre les libertés, toutes réprimées avec une férocité extrême. Les mains arrachées, les yeux perdus, les blindés dans les rues, les trous dans les visages, les armes de plus en plus dangereuses. A chaque mobilisation, un nouveau saut dans la violence d’État. Et des morts.
Automne 2021, le tribunal administratif de Toulouse, saisi par la famille, admettait la responsabilité de l’État. Aucun gendarme n’a été poursuivi, mais ce tribunal estimait que les institutions sont «civilement responsables des dégâts et dommages» cette nuit là. Les magistrats appellent cela une «responsabilité sans faute». Un jugement en demie teinte.
Comble de l’horreur, le tribunal soulignait qu’il y a «une imprudence fautive commise par la victime de nature à exonérer partiellement l’État de sa responsabilité à hauteur de 20%». Rémi est donc responsable à 20% de sa propre mort, et l’État à 80%. Le défunt a défendu la nature. Il voulait que l’eau soit considérée comme un bien commun. Mais la faute est du côté de Rémi. L’État devait verser 46.000 euros. Le prix de la vie d’un jeune homme de 21 ans.
8 ans après la mort de Rémi Fraisse lors d’une lutte contre un barrage, le gouvernement s’apprête à réprimer le mouvement contre les méga-bassines, le week-end qui vient. D’un côté, celles et ceux qui luttent pour des biens communs vitaux. De l’autre, les autorités et l’agro-industrie qui sont toujours prêtes à tuer pour s’accaparer l’eau, la terre, et l’air.
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