Steve : l’ancien préfet n’est plus mis en examen, l’enquête indépendante est rejetée par la justice
L’ancien préfet de Nantes au moment de la noyade de Steve le 21 juin 2019 va échapper à des poursuites judiciaires. Il n’est officiellement plus mis en examen pour homicide involontaire. C’est la décision prise par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Rennes ce vendredi 28 octobre.
Le 21 juin 2019 la police nantaise attaque à coup de grenades et de balles en caoutchouc des centaines de personnes qui font la fête au bord de la Loire. La charge, d’une extrême violence, a lieu après la diffusion d’une chanson contre l’extrême droite. Plusieurs dizaines de personnes sont blessées, une dizaine tombe dans le fleuve du haut du quai et Steve, 24 ans, est porté disparu. Il sera retrouvé noyé un mois plus tard. Claude d’Harcourt, le préfet, qui a supervisé l’opération, déclarait froidement à la presse, juste après le drame : «Les forces de l’ordre interviennent toujours de manière proportionnée. Face à des individus extrêmement avinés […] il est difficile d’intervenir de façon rationnelle». Ce préfet promet même «des poursuites» contre les fêtards. Quelques semaines plus tard, il porte plainte contre un journaliste qui a dénoncé la répression de la fête de la musique.
Depuis, l’ancien Préfet a été promu «directeur général des étrangers» au ministère de l’Intérieur. Rappelons qu’il a débarqué à Nantes en novembre 2018 et a passé 2 ans à martyriser la population nantaise, en particulier les exilés. Claude d’Harcourt est un énarque, issu d’une grande famille aristocratique. Dès sa prise de fonction il encadre des manifestations par des dispositifs de policiers parfois plus nombreux que les participants eux-mêmes. Le 17 novembre de la même année, Nantes est l’une des rares villes où les Gilets Jaunes sont gazés et attaqués par la police dès l’Acte 1. En quelques mois de mouvement son bilan est terrible : des centaines de blessés, plus de 300 gardes à vue, plusieurs mutilés. Et un jeune homme, Adrien, tombé dans le coma devant la préfecture suite à un tir en pleine tête le 29 décembre 2018. Les mois suivants, la fête foraine et l’hôpital sont touchés par les gaz lacrymogènes, tirés en quantités ahurissantes chaque samedi.
Après la noyade de Steve, ce préfet choisit l’escalade en interdisant «tout rassemblement» dans la ville, le jour de l’hommage. La répression est terrible, alors même que la ville entière est choquée par la noyade du jeune fêtard. Claude d’Harcourt réprimera avec la même brutalité les manifestations syndicales pour les retraites.
Le 21 juin 2020, un an après la mort de Steve, Claude d’Harcourt choisit à nouveau la violence : il interdit la soirée prévue en hommage. Tout rassemblement est interdit dans la ville. Nantes est mise en état de siège, la répression est de nouveau terrible. Il quitte ses fonctions quelques semaines plus tard. Après avoir fait couler du sang et des larmes à Nantes, sans répondre de ses actes.
En octobre 2021, le préfet d’Harcourt est mis en examen pour «homicide involontaire». Des qualifications déjà très insuffisante, après plus de 2 ans d’impunité totale. Désormais, même ces poursuites à l’encontre de Claude d’Harcourt s’envolent. La justice estime qu’il y a une «absence d’indices graves ou concordants» pour le poursuivre.
Les avocats du préfet ont remporté une autre victoire ce vendredi 28 octobre : la chambre d’instruction de la cour d’appel a prononcé la «nullité» de l’expertise judiciaire confiée au laboratoire d’analyse Index. Cela veut dire que cette enquête indépendante très précise, prouvant la responsabilité de la police, ne sera pas utilisée dans la procédure. Index est un laboratoire d’expertise qui travaille sur des affaires de violence d’État. Concernant la mort de Steve, Index avait produit vidéo d’une durée d’une heure qui reconstituait minutieusement le drame à partir des innombrables données figurant au dossier : 4600 pages de procédure, 5 heures de vidéos collectées à partir de téléphones de teufeurs et d’images de vidéosurveillance, et 33 heures d’échanges radio entre les policiers, le centre d’information et de commandement et les services d’urgence.
Un élément irréfutable, précis, décisif pour un éventuel procès. Une vraie enquête, comme ni l’IGPN ni la justice, malgré leurs moyens colossaux, n’en ont mené.
Cette «nullité» d’un document essentiel est d’une perversité totale. L’impunité policière se base souvent sur une prétendue absence de preuves. Les affaires sont généralement classées «faute d’éléments». Mais quand ces preuves existent, comme c’est le cas ici, la justice se charge de les faire disparaître. On touche ici au cœur de l’État policier : l’ensemble du système légal a besoin des violences policières. L’institution judiciaire accompagne de toutes ses forces les crimes policiers. Dans le même temps, ces mêmes magistrats n’hésitent pas à condamner lourdement les opposants, les pauvres, les immigrés sur la base d’éléments inexistants.
Trois ans ont passé depuis la mort de Steve et l’affaire piétine. La stratégie de l’apaisement et des appels au calme n’a rien obtenu. Lorsqu’il s’agit d’exiger vérité et justice sur les violences d’État, seule la peur de voir le rapport de force basculer permettra d’obtenir un soupçon de justice de la part du pouvoir.