Bataille de l’eau : la fin de leur monde a commencé


Week-end de lutte victorieuse contre les «mégabassines» à Sainte-Soline : reportage


Si les historiens du futur cherchent des images de l’effondrement de l’Empire au 21ème siècle, il y aura celles, saisissantes, de Sainte-Soline. Le 28 octobre 2022 dans les Deux-Sèvres, alors que des chaleurs et des sècheresses inédites font rage, l’État français a déployé 1700 militaires lourdement armés, une équipe du GIGN – les troupes de choc de la gendarmerie –, 7 hélicoptères et plusieurs drones. Il a même créé une «zone rouge» hors du droit, sur plusieurs kilomètres, dans laquelle tout rassemblement et toute circulation était interdite pendant trois jours. Tout cela pour protéger un trou. Oui, car ces moyens fous, démesurés, colossaux, devaient empêcher des manifestants de s’approcher d’un immense cratère, vide, creusé dans la terre, pour créer un lac artificiel destiné à arroser des champs gavés de pesticides.

Le projet d’un monde fini

À Sainte-Soline comme ailleurs, le dérèglement climatique provoque des sécheresses et des canicules. Plutôt que d’imaginer une agriculture plus respectueuse de la nature, adaptée aux nouvelles contraintes et moins gourmande en eau, nos experts ont trouvé une solution : les «méga-bassines». De vastes cuvettes artificielles couvertes de plastique, qui pompent dans la nappe phréatique, c’est-à-dire les réserves communes, pour irriguer les champs de maïs ultra-gourmands en eau, destinés à engraisser du bétail ou être vendus sur le marché mondial. L’obscurantisme capitaliste résumée en un projet. À Sainte-Soline, la bassine est prévue pour accaparer 750.000 mètres cube d’eau, elle s’étend sur plusieurs hectares, et elle est largement financée par de l’argent public. Tout cela pour seulement 12 exploitants agricoles, au milieu de plaines déjà ravagées par l’agriculture industrielle.

Revenons à ce week-end de lutte. Pour protéger le chantier, le dispositif de répression est tout simplement inédit. Même au plus fort des expulsions de Notre-Dame-des-Landes, les moyens n’étaient pas aussi importants. C’est dire si l’État français se radicalise. Nous avons vu 6 hélicoptères voler au-dessus de nos têtes, au milieu des champs, mais aussi des ballets de fourgons de gendarmes, des véhicules vert kaki et des barbouzes, des checkpoints et des villages déserts. À lui seul, le déploiement d’hélicoptères aura brûlé des milliers de litres de carburant et coûté des centaines de milliers d’euros.

Et tout cela n’a pas empêché des milliers de personnes d’atteindre le campement, situé quelques kilomètres au sud du chantier. Vendredi soir, 2000 personnes étaient déjà arrivées à Sainte-Soline, dans une ambiance conviviale, avec des chapiteaux, des buvettes, des discussions et de la musique. Le samedi matin, un convoi d’élus écolos, pourtant mous et légalistes, se frayait un passage au cœur de la zone interdite. C’est dire si les décisions liberticides du pouvoir sont unanimement méprisées.

«1, 2, 3 Bassines»

14h, 7000 personnes sont réunies, la plupart suivent le dress code de la lutte : le bleu de travail. Trois étendards : rouge, blanc et vert, vont mener trois cortèges séparés pour encercler le chantier. Trois ambiances : au centre, les blancs filent tout calmement en ligne droite vers la cible, en musique et en farandoles. Sur les côtés, les rouges et les verts vont emprunter des itinéraires plus sportifs pour atteindre les flancs latéraux de la bassine. L’organisation est impeccable et déstabilise le gros dispositif de gendarmerie, qui fait face à des bataillons de plus de 2000 personnes chacun, qui partent dans des directions opposées. À 14h05, les premières grenades lacrymogènes tombent déjà dans les champs, mais cela n’entame en rien la détermination collective.

Côté rouge, c’est au pas de course, avec des barricades et dans le crépitement de feux d’artifice que les gendarmes sont tenus en respect. Un fourgon reçoit un palet lacrymogène, tiré depuis ses rangs et renvoyée dans son habitacle, et part en zigzag. Plusieurs lignes de gendarmes sont rapidement franchies, à travers routes et champ. Objectif atteint.

Au centre, le défilé blanc danse, déstabilise les lignes de forces de l’ordre qui ne savent plus où et comment bloquer. Le cortège familial finit par atteindre, lui aussi, les abords de la bassine, ce qui est inattendu.

Coté vert, on se heurte à plusieurs verrous de gendarmes. Échanges de projectiles à travers champ. Des riverains indiquent aux manifestant-es où passer par des sentiers encore accessibles. Le groupe se retrouve dans le bourg de Sainte-Soline même et ses rues étroites. Une ligne de gendarmes est enfoncée à la sortie du village, pendant que le gros du défilé passe à l’arrière d’une propriété, avec l’accord d’un habitant. La ligne est encerclée, les gendarmes se replient après avoir beaucoup gazé et tiré dans la foule au LBD40. Quelques hectares de maïs sont traversés en vitesse et les verts arrivent aussi devant la bassine. En chemin, on croise aussi des champs de tournesols brûlés par la sécheresse, signe d’un modèle productiviste à bout de souffle.

Victoire

Le chantier est envahi ! L’équipe rouge a fait tomber les barrières qui ceinturent la bassine. Le dispositif de répression a perdu la bataille, malgré l’évidente dissymétrie des forces en présence. Mais il se venge. Déluge de grenades. Asphyxie générale. Explosions. Il y a des blessé-es et plusieurs personnes arrêtées. Pendant ce temps, la foule qui arrive de tous les côtés se masse autour du chantier. De très nombreuses grenades explosives, les GM2L, sont tirées au milieu des champs, à proximité des manifestant-es de tous âges, et même en l’air, explosant au-dessus des têtes. De nombreuses personnes sont alors blessées par les éclats ou sonnées. Une fracture ouverte est provoquée par une munition. Un homme d’âge mûr tombe net, dans un champ, fauché par un tir de LBD dans la tête. Pour masquer leur crime, les forces de l’ordre inondent la zone de gaz.

Des milliers de personnes sont alors devant la bassine, c’est l’aboutissement de toute cette longue marche parsemée d’embûches. Mais un appel à se replier est lancé au mégaphone. L’assaut final de la bassine n’aura pas lieu. Peu à peu, l’immense colonne de manifestant-es retourne vers le campement. La préfecture n’aura pas réussi à sanctuariser le chantier. C’est une défaite pour le camp de l’industrie mortifère, de la force, de la répression.

Pendant ce temps, les chaînes en continu tournent déjà en boucle sur les «radicaux» et les «violences». Le Ministre de l’Intérieur prétend que 60 gendarmes auraient été blessés, malgré leurs carapaces. Du côté des manifestant-es une députée a été matraquée, le porte-parole des anti-bassines s’est fait ouvrir le crane à coups de matraques, 4 personnes ont été interpellées et au moins 50 blessées, dont au moins 5 hospitalisées. Plusieurs manifestant-es ont reçu des tirs de LBD à la tête. Samedi soir, la police appelait les hôpitaux pour savoir quand les blessé-es sortiraient. Deux personnes en garde-à-vue ont d’ailleurs été blessées au moment de leur arrestation.

Derrière la propagande grossière, il s’agit de cacher la vérité du jour : un répression délirante visant à protéger un chantier absurde a été mise en échec. Tout ça pour protéger un gigantesque trou quasiment vide. Cette journée démontre qu’avec de l’imagination, de la bonne humeur et beaucoup de détermination, quelques milliers de personnes organisées peuvent déjouer la répression d’une grande puissance occidentale. C’est, espérons-le, le début de la fin pour ces «mégabassines», car l’État ne pourra pas déployer six hélicoptères et se taper la honte pour chaque caprice d’exploitant intensif.

Contre un aéroport, pour l’eau, contre des fermes usines et autres projets destructeurs : partout, ce sont les luttes qui gagnent. Il est encore possible de sauver ce qui peut l’être, tout n’est pas perdu.


Images : Grégory Lebert, Bassines Non Merci, Les soulèvements de la terre, Studio Hans Lucas, presse locale, CA

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