Sur la sellette, Chroniques de Comparutions immédiates, de Marie Laigle et Jonathan Delisle, aux éditions du Bout de la ville.
«On passe l’après midi là, mal à l’aise, à regarder des bourgeois juger des pauvres, et les envoyer en prison – parfois pour des années – après un absurde procès de 20 minutes». Voilà comment Marie Laigle et Jonathan Delisle introduisent leur ouvrage « Sous la sellette », issu de longues observations dans la sinistre salle 4 du Tribunal de Toulouse, celle des comparutions immédiates.
Ils y décrivent l’injustice ordinaire et expéditive… la procureure qui «demande des peines de prison comme on achète du pain, déclarant à propos de n’importe quel vol de téléphone que «les faits sont très graves», la connivence des juges, issus du même milieu, de la même école, et côtoyant les mêmes locaux… et les avocats, débordés, n’ayant eu que quelques heures pour prendre connaissance du dossier !
Sans compter l’inutilité des enquêtes sociales, bâclées, qui ne résument parfois qu’un lieu de naissance et l’existence ou non d’un travail et d’un logement. Des enquêtes policières quasi-inexistante. Des experts psychiatres injoignables avant des mois. Des interprètes en sous-effectifs…
Procédure accélérée et généralisée à toutes sortes de délits, outil de répression de masse, la comparution immédiate bafoue quotidiennement le droit au procès équitable, et notamment aux droits de la défense. Ainsi les auteurs relatent le recours quasi constant à l’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt, la «boucle d’enfermement» des prévenus migrants ballottés entre la prison et le centre de rétention, ou encore les placements en détention provisoire systématiques… pour certain-es, et pas pour d’autres…
…L’éternelle problématique du deux poids deux mesures de l’institution judiciaire. Leur constat est accablant : le parquet fait le choix de la comparution immédiate «quand il veut obtenir une peine de prison ferme avec incarcération immédiate». Le droit de refuser d’être jugé immédiatement ne permet pas d’échapper à l’incarcération pour autant. Le recours au placement en détention provisoire, pour celles et ceux qui demandent le renvoi de l’audience à une date ultérieure, est quasi-systématique, là encore, pour certain-es d’entre eux/elles : casier judiciaire, chômage, situation irrégulière sur le sol français, sans domicile, troubles psychiatriques en attente d’expertise… incarcération immédiate !
Qu’ils soient primo-délinquants, atteints de troubles psy, sans papiers pour trouver un emploi, peu importe ! La prison à défaut de toit, de nourriture, de travail, de papier, de soins… solution miracle à l’incompétence d’un État ultra sécuritaire et inégalitaire, obnubilé par le sentiment de sécurité du bon français, celui qui travaille, qui a une famille, un compte bancaire, une maison…
On voit passer à travers ces chroniques, des vitrines cassées, quelques grammes de shit, des petits vols, des outrages aux forces de l’ordre et autres délits divers… mais au-delà des casiers judiciaires et des qualifications pénales, ce que les auteurs montrent, ce sont ces vies brisées, réprimées, empêchées, écrasées par la violence judiciaire !
Ces chroniques ne parlent pas de délinquance ou de faits divers, mais montrent du doigt l’Institution judiciaire et la violence quotidienne qu’elle exerce sur certains justiciables.
Une justice ordinaire et inégale, violente et déconnectée des réalités sociales.
Les auteurs reviennent également sur la naissance des comparutions immédiates, qui ne portaient pas encore ce nom, dès le XIXème siècle. Consacrée par une loi de 1863 qui introduit une procédure exceptionnelle de jugement des flagrants délits, ce type de jugement expéditif, outil de répression judiciaire par excellence, se généralise. La notion de flagrant délit s’élargit peu à peu, tout comme le nombre de délits pouvant être jugé sous cette procédure, plus très exceptionnelle… jusqu’à en devenir ordinaire.
Leur constat est indéniable : «les comparutions immédiates remplissent les prisons» et face à la violence judiciaire qui s’abat sur les plus précaires, une question nous taraude : quel sens aujourd’hui donner à la peine ?
Mais surtout : quel crédit accorder à l’institution judiciaire ?
Un ouvrage édifiant sur la violence judiciaire qui s’exerce quotidiennement dans ces sinistres chambres de comparution immédiate, à lire absolument !
Sur la sellette, de Marie Laigle et Jonathan Delisle, aux éditions du Bout de la ville.