Il y a 10 ans, l’État s’embourbait à Notre-Dame-des-Landes
C’était un automne de boue et de flammes, aux mois d’octobre et novembre 2012 dans le bocage nantais. C’était il y a exactement 10 ans. Le 24 novembre 2012, l’État battait en retraite. La gendarmerie était traumatisée, et la ZAD se transformait en zone libérée. C’était le début de la fin pour le projet d’aéroport. À l’époque, le village de Notre-Dame-des-Landes n’était pas encore célèbre et cette zone n’était encore pas un symbole mondialement connu des luttes contre les projets inutiles et destructeurs.
Le 16 octobre, les autorités sonnent l’assaut contre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Il s’agit d’expulser les occupant-es et détruire tous les lieux de vie, pour construire un aéroport. 2000 hectares de béton à la place de bocages, de zones humides, de chemins et de forêts. Cette offensive est l’acte inaugural du mandat de François Hollande, président socialiste élu quelques mois plus tôt. À l’époque, les communicants de la gendarmerie ont une idée de génie : appeler leur manœuvre : «opération César». Ils trouveront face à eux des irréductibles.
L’attaque est un véritable laboratoire pour des opérations militaro-policières de grande envergure sur le sol français. 1200 gendarmes et policiers interviennent, appuyés par deux hélicoptères et accompagnés d’engins de destruction. Les premiers jours, le choc est rude. Malgré une résistance acharnée, la gendarmerie progresse. Des barricades sont enfoncées à coups de grenades, des maisons sont éventrées par des tractopelles, des gendarmes spécialisés montent dans les arbres pour expulser les cabanes en hauteur. Le gouvernement déclare que tout sera vite réglé.
Mais en quelques jours, ce sont des milliers de personnes solidaires qui déferlent sur la zone. Le retentissement est incroyable. Les dons de matériel et de nourriture affluent de tout le pays. Les ondes radio sont piratées pour signaler la progression des forces de l’ordre. Des comités de soutien organisent des actions partout. Et des compagnies entières de gendarmes mobiles s’enfoncent dans la boue automnale, craignant d’être assaillis par quelques ombres mobiles qui surgissent au détour d’un chemin, d’un bois ou d’une barricade. Pour la première fois depuis longtemps, l’État n’est pas maître du terrain.
Après plusieurs semaines de guerre de position dans le bocage, une manifestation de réoccupation réunit 50.000 personnes qui reconstruisent ensemble des cabanes au beau milieu de la zone, le 17 novembre. Un petit village apparaît en quelques heures, dans la forêt de Rohanne. Des paysans amènent leurs tracteurs en renfort. Le gouvernement a déjà perdu, mais il ne veut pas le reconnaître.
Quelques jours plus tard, une nouvelle attaque, encore plus violente, est lancée. Les grenades sont envoyées en tirs tendus, des balles en caoutchouc traversent à l’aveuglette les rideaux de fumée lacrymogène, les détonations de grenades creusent des cratères au milieu des champs. Des centaines de blessés sont recensés en trois jours.
Samedi 24 novembre, le village construit le week-end précédent est toujours debout. Les affrontements continuent. Et au même moment, une manifestation s’empare des rues de Nantes. Alors que la résistance continue sur la ZAD, la préfecture est encerclée et les CRS tirent au canon à eau. Les images font la Une de l’actualité. Deux fronts simultanés, en ville et dans le bocage. C’est trop pour le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. L’opération est stoppée, 5 semaines après avoir commencé. Le pouvoir tente de sauver la face en créant une «commission de dialogue».
À partir de cette journée, la Zone À Défendre devient zone autonome, hors de l’État. Pendant des années vont s’expérimenter d’autres habitats, d’autres modes de vie. Jusqu’à l’expulsion massive organisée par Macron en 2018. Entre temps, il y a eu des quatre voies envahies, des manifestations massives à Nantes, des chaînes humaines sur la zone et des fêtes mémorables. Le mouvement obtient, en 2017, l’abandon de l’aéroport. Une victoire arrachée au pouvoir et à la multinationale Vinci. Une victoire qui était en germe dès le 24 novembre 2012. Quand César s’est noyé dans la boue.
10 ans plus tard, la bataille de Notre-Dame-des-Landes continue d’inspirer d’autres luttes. Et la zone est toujours bien vivante. Le 19 novembre 2022, au cœur de l’ancienne ZAD, 600 personnes étaient réunies sous un chapiteau pour fêter l’anniversaire de César. Des témoignages, un banquet, des chansons, et un slogan puissamment repris : «no bassaran». L’héritage de la victoire de Notre-Dame-des-Landes se retrouve aujourd’hui à Sainte-Soline contre les mégabassines, et ailleurs contre des autoroutes, des centres commerciaux, des mines ou d’autres projets destructeurs. Partout où le vivant se défend face au capitalisme.
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