Paul Lafargue : critique du travail et éloge de la paresse

«Toutes les misères individuelles et sociales sont nées de [la] passion [du prolétaire] pour le travail».
Paul Lafargue, Le droit à la paresse, 1880.

Les médias et la classe politique le répètent tous les jours : le travail serait une «vertu» et la paresse un «vice». S’épuiser à la tâche, c’est bien, et les chômeur-ses sont culpabilisé-es en permanence. La critique du travail est considérée comme un délire de petits bourgeois urbains ou de 68ards, et la «valeur travail» est mise en avant comme une valeur de «gauche». Rien n’est plus faux.

En 1880, le journaliste et militant socialiste Paul Lafargue publie Le droit à la paresse. Il est le gendre de Karl Marx, il est économiste, il a fondé les premiers partis socialistes en France : il sait de quoi il parle quand il prône une réduction massive, voire une abolition du travail salarié. Bien loin de certains discours actuels à gauche.

C’était il y a plus de 140 ans, en pleine révolution industrielle, et pourtant ce texte est toujours actuel et pertinent : critique de la surproduction, dénonciation de l’endoctrinement autour de la valeur travail alors que l’on peut travailler tous beaucoup moins, création de nouveaux besoins pour pousser à la consommation, mécanisation et augmentation du temps travaillé…


Pour Lafargue, la vraie vie, celle qui mérite d’être vécue, c’est le temps libre : celui de la culture, de la jouissance, de la fête, du repos.


Quelques citations :

  • «Toutes les misères individuelles et sociales sont nées de [la] passion [du prolétaire] pour le travail.»
  • «Notre siècle est, dit-on, le siècle du travail ; il est en effet le siècle de la douleur, de la misère et de la corruption.»

À la fin du XIXème siècle, période considérée comme un grand moment de «progrès», le prolétariat urbain est exploité à un niveau inédit dans l’histoire de l’humanité : travail des enfants, horaires intenables, jusqu’à 12 heures par jour, mouvements répétitifs et épuisants, salaires qui ne couvrent même pas les besoins vitaux, mortalité et accidents. Pire que sous l’Ancien Régime.


  • «Introduisez le travail de fabrique et adieu joie, santé, liberté ; adieu tout ce qui fait la vie belle et digne d’être vécue.»
  • «La paresse est jouissance de soi ou elle n’est pas. N’espérez pas qu’elle vous soit accordée par vos maîtres ou par leurs dieux. On y vient comme l’enfant par une naturelle inclination à chercher le plaisir et à tourner ce qui le contrarie. C’est une simplicité que l’âge adulte excelle à compliquer.»
  • «Sous l’Ancien Régime, les lois de l’Église garantissaient au travailleur 90 jours de repos (52 dimanches et 38 jours fériés) pendant lesquels il était strictement défendu de travailler. Sous la révolution, dès qu’elle fut maîtresse, [la bourgeoisie] abolit les jours fériés et remplaça la semaine de sept jours par celle de dix. Elle affranchit les ouvriers du joug de l’Église pour mieux les soumettre au joug du travail.»

Lafargue souligne ici un point important : nous n’avons jamais autant travaillé que depuis la Révolution industrielle. La bourgeoisie impose alors des cadences, des horaires fixes, des quotas de production. Auparavant, l’artisan ou le paysan avaient plus de jours chômés, et pouvaient définir eux mêmes la quantité nécessaire qu’il pouvaient produire, sans horaires définis et imposés.


  • «Le grand problème de la production capitaliste n’est plus de trouver des producteurs et de décupler leurs forces, mais de découvrir des consommateurs, d’exciter leurs appétits et de leur créer des besoins factices.»

Avec la création permanente de nouveaux «besoins» non vitaux, des smartphones aux SUV et autres produits jetables, Lafargue visait juste dès le 19ème siècle.


  • «À mesure que la machine se perfectionne et abat le travail de l’homme avec une rapidité et une précision sans cesse croissantes, l’ouvrier, au lieu de prolonger son repos d’autant, redouble d’ardeur, comme s’il voulait rivaliser avec la machine. Ô concurrence absurde et meurtrière !»

La mécanisation a permis une explosion de la production. Pour un même nombre de travailleurs, beaucoup plus de richesses sont produites aujourd’hui. Cela aurait dû permettre une meilleure répartition du travail et une augmentation du temps libre. Dans les faits, cela a seulement permis aux patrons d’augmenter leurs profits de façon exponentielle.


  • «Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture.»
  • «Paressons en toutes choses, hormis en aimant et en buvant, hormis en paressant.»

Il faut lire et relire Paul Lafargue pour éclairer notre époque. Alors qu’une mobilisation massive autour des retraites est en cours, c’est l’occasion de repenser notre rapport au travail…


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