Rémi Fraisse : 46.000 euros, le prix d’une vie selon la justice


Justice : «responsabilité sans faute» de l’État et «imprudence fautive» du jeune écologiste tué par la gendarmerie


Photo de Rémi Fraisse dans une forêt

Rémi aurait 29 ans aujourd’hui. Sa mort constitue un tournant politique majeur. Le 26 octobre 2014, au matin, le corps du jeune écologiste de 21 ans est retrouvé, tué par l’explosion d’une grenade de la gendarmerie. Une munition «offensive», composée de TNT.
Toute la nuit qui vient de s’écouler, des dizaines de grenades et de balles en caoutchouc ont été envoyées sur quelques grappes de manifestant-es écologistes qui défendent les ressources en eau. L’actualité montre aujourd’hui à quel point ils et elles avaient raison.

Après la mort de Rémi en 2014, il n’y a pas eu de sursaut collectif contre les violences policières. C’est un tournant historique : au lieu de calmer le jeu, le gouvernement de François Hollande choisit la force. Il interdit les manifestations en hommage au jeune écologiste. Les villes sont mises en état de siège. Rennes, Nantes ou Toulouse sont occupées, plusieurs samedis d’affilée, par des dispositifs de centaines d’uniformes, appuyés par des hélicoptères.

Tout est fait pour réduire à néant les protestations, étouffer les braises. La gauche syndicale et associative est aux abonnés absents.

Les gouvernants comprennent à ce moment là qu’ils peuvent tuer un opposant politique sans provoquer de soulèvement, sans réaction massive. Depuis, il y a eu la Loi Travail, les Gilets Jaunes, des mobilisations sociales, écologistes, ou pour défendre les libertés : toutes réprimées avec une férocité extrême. Les mains arrachées, les yeux perdus, les blindés dans les rues, les trous dans les visages, les armes de plus en plus dangereuses… La mort de Rémi est un palier dans la montée des violences d’État en France.

Et ce crime d’État reste impuni, malgré le combat acharné de la famille du jeune homme. 9 ans plus tard, aucun gendarme n’a été condamné, et aucun ne le se sera jamais. Les voies de recours pénales sont épuisées, alors que sa famille pleure toujours la disparition.

À l’automne 2021, le tribunal administratif de Toulouse, saisi par la famille, admettait la responsabilité de l’État. Contrairement à la procédure pénale, cette procédure n’attaque pas un ou des individus, par exemple le tireur de grenade ou sa hiérarchie, mais une institution, à savoir l’État. Aucun gendarme n’a été poursuivi, mais ce tribunal reconnaît quand même que les institutions sont «civilement responsables des dégâts et dommages» cette nuit-là. Les magistrats appellent cela une «responsabilité sans faute». Un jugement en demie teinte.

Comble de l’horreur, le tribunal souligne alors qu’il y a «une imprudence fautive commise par la victime de nature à exonérer partiellement l’État de sa responsabilité». En clair, une personne tuée ou mutilée dans une manifestation l’a «un peu cherché», puisqu’elle était là. Elle n’avait qu’à rester chez elle.

La famille a fait appel, et le jugement final de toute cette affaire vient d’être rendu, en février 2023, 9 ans après les faits. Le tribunal confirme la «responsabilité sans faute» de l’État, qui devra indemniser la famille de Rémi Fraisse pour «préjudice moral». 46.000 euros. Sur quelle base ? Avec quel barème ? Mystère.

Les juges estiment que Rémi était «non violent» face aux gendarmes mais qu’il «s’est délibérément rendu sur les lieux des affrontements», et qu’il a donc commis une «imprudence» qui le rend co-responsable de sa mort. Les torts sont «partagés» entre la victime et l’État.

Ces mots et cette décision sont gravissimes. Une haute instance de justice française écrit noir sur blanc que les manifestant-es s’exposent à la mort, et qu’ils et elles doivent en être conscient-es. C’est la fin du droit de manifester. En démocratie, et les autorités sont tenues de garantir ce droit. Avec cette décision judiciaire, tout l’inverse est officialisé. Manifester est officiellement considéré comme un «risque» et une «imprudence» et la violence d’État est par principe justifiée. Ses victimes sont par principe coupables, au moins en partie, d’être simplement là.

Rémi est donc reconnu à titre posthume responsable à 20% de sa propre mort, et l’État à seulement 80%. Le défunt a défendu la nature. Il voulait que l’eau soit considérée comme un bien commun. L’État a fixé à 46.000 euros le prix de sa vie et de son engagement.


Source : https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/mort-de-remi-fraisse-l-etat-condamne-en-appel-a-indemniser-la-famille-2719186.html

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