Dans le règne du mensonge universel qui caractérise notre époque, la répression et l’impunité qui l’accompagne sont des illustrations de l’inversion permanente.

À Sainte-Soline, pour attaquer les personnes qui défendaient l’eau, et prendre à revers le cortège déjà sous le feu des grenades de la gendarmerie, le gouvernement français a mis sur place une unité de militaires sur des quads. Bien protégés, lourdement armés : des agents sur des engins capables de traverser à pleine vitesse les champs pour terrifier des gens pataugeant dans la boue.
Ces militaires ont notamment tiré des balles en caoutchouc depuis leurs quads en mouvement, comme des cow-boys dystopiques de l’effondrement écologique. Des tirs totalement interdits, quel qu’en soit le motif. Le LBD est une arme mutilante qui ne peut en aucun cas être tirée depuis un véhicule qui roule. Darmanin a d’abord nié l’existence de ces tirs avant de les reconnaître face à la viralité des vidéos.
Deux semaines après, un rapport de l’IGGN, l’Inspection Générale de la Gendarmerie, vole au secours des tireurs. Ils étaient en «légitime défense» : circulez, y’a rien à voir. Trois remarques :
La rapidité extrême de l’enquête
En cas de violences policières, par exemple lorsqu’une personne est tuée ou mutilée à vie par les forces de l’ordre, il faut des années de procédures pour obtenir la moindre expertise, le moindre début d’enquête. Dans l’immense majorité des cas, les agents chargés d’enquêter ne retrouvent pas les images, ne parviennent pas à «identifier» les auteurs, tout est délibérément ralenti à chaque étape de la procédure pour décourager les victimes ou leurs proches. Et dans l’immense majorité, l’affaire se solde par un non-lieu. Ici, il n’a fallu que deux semaines aux enquêteurs pour conclure leur rapport.
L’IGGN s’est «basée sur le témoignage des gendarmes, auteurs des tirs»
Quand il s’agit de violences d’État, la seule parole des agresseurs fait foi, et celle des victimes n’a aucune valeur. Inversion. Selon le rapport, «les militaires justifient l’usage des LBD parce qu’ils faisaient face à des manifestants qui lançaient des projectiles».
«Encerclés». Voilà l’argument : «cette unité motorisée a été encerclée par des Black blocs» selon l’IGGN. Comment des personnes à pieds peuvent encercler des engins roulant à 70 km/h ? L’objectif même de quads pouvant se déplacer très rapidement sur de grandes étendues de champs est précisément de ne pas pouvoir être encerclé, et d’être mobiles. C’est pour cela qu’ils ont été déployés : pour encercler les manifestant-es. Nouvelle inversion.
«Péril». Encore plus abject, «s’ils ont réalisé ces deux tirs de LBD c’est qu’ils étaient dans une situation de péril avéré», qu’ils «étaient attaqués sur tous les fronts». L’acte des gendarmes était «commandé par une nécessité absolue de se défendre». Toutes les vidéos, tous les témoignages, et même le colonel de gendarmerie filmé dans le reportage de Complément d’Enquête prouvent le contraire. L’équipe en quad a attaqué le cortège en lui tirant dessus alors qu’il se situait encore à plusieurs centaines de mètres de la bassine. Puis, il a réattaqué la zone où étaient évacués les blessés. Des députés ont dû faire une chaîne humaine pour protéger les blessés des tirs des gendarmes en quad.
La légitime défense, qu’est ce que c’est ?
C’est l’usage de la force pour défendre son intégrité physique. Trois critères sont essentiels : la nécessité absolue (on ne peut pas tirer s’il n’y a pas de risque grave pour l’intégrité physique), la proportionnalité (on ne peut pas tirer sur quelqu’un qui nous menace d’un simple coup de poing par exemple), et l’immédiateté (on ne peut pas tirer à posteriori sur quelqu’un qui nous aurait frappé ou menacé). S’il manque un seul des trois critères, la légitime défense ne peut être retenue en droit. Dans le cas des quads, il n’y en a aucun.
Cette enquête de l’IGGN prouve qu’il n’y a désormais plus aucune règle de maintien de l’ordre. La légitime défense, c’est désormais toute violence commise par un agent en uniforme, quelles que soient les conditions, quelles que soient les preuves.
S’il n’y a plus de règles, pourquoi continuons nous à respecter celle fixées par le pouvoir ?
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