Au tribunal de Bobigny : des policiers tortionnaires

L’image est rare, sur les bancs du tribunal de Bobigny, où six policiers de la Brigade de Pantin comparaissaient cette semaine pour répondre des faits de violences et l’écriture de faux procès verbaux, au préjudice d’habitants des cités Scandicci et des Courtillières, entre 2019 et 2020. Étant donné l’ampleur des faits, on peut dire sans hésiter qu’une bande armée par l’État a terrorisé cette ville de Seine-Saint-Denis pendant des années.

De nombreux faits de violences gravissimes leur sont reprochés. L’un, surnommé «le dictateur», a fracassé la main d’un jeune gardé à vue au sein même du commissariat de Pantin. Un autre est surnommé «l’électricien» pour son goût à électrocuter ses victimes à coup de pistolet à impulsion électrique. Un autre encore, surnommé «le violent», a notamment porté «trois coups de poing au thorax d’un gardien d’immeuble qui descendait ses poubelles».

La liste est longue : «Bras cassé, passage à tabac, détention de stupéfiants et d’armes, rackets, insultes, perquisitions illégales…». Le parquet de Bobigny saisit l’IGPN le 24 avril 2020, l’enquête qui s’en suit est accablante. Des pratiques de tortures et d’humiliation… Des actes de barbarie commis par des criminels en uniforme.

Mais seul un tiers des faits rapportés à l’IGPN ont été poursuivis devant le tribunal. Le procureur n’estimant pas nécessaire de poursuivre l’ensemble des faits reprochés au prétexte d’un manque de preuve… Hypocrisie totale dans la mesure où aucune instruction n’a été ouverte pour recueillir les preuves tant attendues ! «Aucun placement sur écoute des policiers, aucune perquisition, aucune exploitation de la géolocalisation des téléphones n’aient été décidés par le parquet au cours de l’enquête». Et celui-ci s’étonne de ne pas disposer de preuves… Le ministère public n’a pourtant aucun mal à déployer des moyens de surveillance dignes de l’anti-terrorisme contre les écologistes, mais quand il s’agit de protéger des policiers tortionnaires, l’indulgence vire à la complicité.

Le procureur a dénoncé néanmoins les méthodes de la Brigade territoriale de contact (BTC) : des politiques «arrestations fondées sur «l’intimidation», «la violence gratuite» et «le harcèlement» au contrôle d’identité, la BTC donne «l’impression d’une équipe qui se sent pousser des ailes, se voit une vocation de justiciers». Cela ne l’empêche pas de demander la relaxe pour deux des policiers accusés de violences volontaires commises par personnes dépositaires de l’autorité publique, une circonstance aggravante, “Fautes de preuve suffisantes» annonce-t-il. Les accusations reposaient sur le témoignage d’un flic auprès de l’IGPN. Celui-ci s’est rétracté, permettant ainsi aux tortionnaires de l’État d’échapper à leur responsabilité. Le procureur s’évertue a demander la relaxe, faute de «preuves» alors même qu’un témoignage décisif d’un policier avait été déposé auprès de l’IGPN, et comme si demander la condamnation d’un prévenu sans preuve aurait été une première dans sa carrière… on y croit difficilement.

La défense, quant à elle, crie au complot anti-flic. Un «complot fomenté d’une part par des jeunes des cités qui voudraient trafiquer tranquillement «et faire tomber la police par le même coup» (…) Et de l’autre, par des gardiens de la paix «jaloux» des chiffres d’arrestations de cette brigade ». L’avocat du chef de la brigade va même jusqu’à demander que son client «soit jugé comme un citoyen lambda avec des circonstances atténuantes». L’indécence est à son comble. Rappelons que le code pénal est explicite sur le sujet, le fait que les violences soient commises «par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission» est une circonstance aggravante.

Le parquet demande une peine de 6 mois ferme pour «le violent» (18 mois dont 12 avec sursis et 5 ans d’interdiction professionnelle), un an de sursis pour le «dictateur», et 6 mois de sursis pour «l’électricien» et le quatrième policier. La relaxe a été requise pour les deux derniers policiers. Des peines minimes donc.

Si la condamnation de policiers serait une bonne nouvelle dans le climat d’impunité actuel, elles seront dans tous les cas symboliques. Et presque anecdotique face à des violences d’État systémiques qui se reproduisent quotidiennement. Le traitement judiciaire d’affaires mettant en cause des policiers est tout à fait inégal par rapport à l’ensemble des justiciables, pour des violences extrêmement graves, commises par des personnes dépositaires de l’autorité publique, qui représentent donc l’État !

En comparaison à la violence judiciaire qui s’abat quotidiennement dans les chambres de comparutions immédiates, le traitement judiciaire dont ils ont bénéficié est d’une grande bienveillance. Ils ont d’ailleurs bénéficié d’un délai important pour préparer leur défense en comparaissant en audience correctionnelle 4 ans après les faits. Le procès s’est déroulé sur 3 jours, le temps donc d’aborder les faits dans le détail. Rien à voir avec le traitement judiciaire expéditif que subissent d’autres prévenus, qui ne bénéficient pas de la connivence d’un État policier, d’une violence extrême, gangrené par le racisme, l’homophobie et la misogynie.

Cette affaire rappelle enfin qu’il n’y a pas de «bonne» police. La BTC est une brigade dite «de proximité», une police «de contact» parfois réclamée par la gauche. Le gouvernement vante d’ailleurs des unités «au cœur de la population». C’était des agents de la BTC de Paris qui avaient commis le passage à tabac raciste du producteur noir Michel Zecler en 2020. A Pantin, cette proximité n’empêche absolument pas les policiers de terroriser des cités entière, bien au contraire.

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