Uruguay : les autorités font boire de l’eau salée à la population


Sécheresse, agro-industrie et privatisation de l’eau


«De l’eau douce pour le capital, de l’eau salée pour le peuple». Ce slogan figurait sur une banderole des nombreuses manifestations organisées ces derniers mois en Uruguay. Il est désormais réalité. Le petit pays d’Amérique Latine, coincé entre le Brésil et l’Argentine et comptant 3,4 millions d’habitant-es, fait face à sa pire sécheresse depuis 76 ans. Et le gouvernement autorise désormais l’utilisation d’eau salée pour la consommation.

Un geste aussi quotidien et vital qu’ouvrir son robinet pour boire un verre d’eau est devenu impossible dans la région de la capitale, Montevideo, qui concentre 60% de la population du pays. Pour ne pas couper totalement les robinets, l’État a décidé de mélanger les réserves d’eau restantes à celle de l’Estuaire du Rio de la Plata, qui se déverse dans l’Océan. De l’eau de mer mélangée à celle du fleuve. Et l’organisme national qui gère l’eau potable n’a pas «l’infrastructure nécessaire pour la potabilisation d’une eau salée». Les habitant-es se plaignent d’une eau «dégoûtante». Elle est aussi dangereuse.

Le gouvernement joue sur les mots. Le ministre de l’environnement, Robert Bouvier a déclaré que l’eau «n’est pas potable», mais qu’elle est «buvable et consommable». Tout en déconseillant de boire l’eau du robinet aux personnes souffrant de maladie rénale chronique, d’hypertension, d’insuffisance cardiaque, de cirrhose et aux femmes enceintes. «Des enfants avec des diarrhées, des vomissements» ont été signalés.

À qui la faute ? À une sécheresse historique d’abord. Sur trois ans, il n’a plu que l’équivalent de deux années normales. Et la sécheresse s’est accentuée en 2021, liée à l’épisode La Niña qui réchauffe l’océan Pacifique et entraîne un déficit de précipitations, ainsi qu’au dérèglement climatique. D’accord, mais pas seulement. Depuis des mois, des manifestations de plus en plus importantes dénoncent l’accaparement de l’eau par les multinationales : «ce n’est pas la sécheresse, c’est le pillage.»

Un groupe d’experts de l’ONU pointe également «la surexploitation de l’eau, en particulier par certaines industries du pays». Par exemple, la multinationale Danone domine depuis 20 ans le commerce de l’eau en bouteille et vendait déjà, en l’an 2000, 84 millions de litres en Uruguay. Danone a été autorisée à pomper gratuitement l’eau du domaine public.

Et avec la crise actuelle, le gouvernement recommande à la population d’acheter de l’eau en bouteille, ce qui bénéficie au secteur privée de l’eau : la vente de bouteilles a triplé. Tout cela augmente encore le phénomène de privatisation de cette ressource. Pourtant, une partie de la population n’a pas les moyens d’acheter des bouteilles d’eau.

Les gouvernements néolibéraux ont aussi saccagé le service public de l’eau. 50% de l’eau potable fuit des canalisations faute d’entretien et l’organisme étatique en charge de l’eau potable, l’OSE, a été largement démantelé. La gauche avait inscrit dans la Constitution le «droit à l’eau» en 2004, qui a été piétiné par les élus néolibéraux par la suite.

L’agro-industrie reste le principal responsable de la crise hydrique, avec des monocultures de soja, d’eucalyptus et de pins irriguées par des mégabassines. Les mêmes bassines que l’État français tente d’imposer à coup de grenades ici, et qui se sont déjà montrées inefficaces et nuisibles en Amérique Latine, notamment au Chili.

Enfin, des firmes comme Google achètent des terrains en Uruguay pour construire un centre mondial de traitement de données qui utiliserait 7,6 millions de litres d’eau par jour pour refroidir ses serveurs. De même, la plus grande usine de pâte à papier au monde vient d’être implantée par une société finlandaise et doit utiliser 129 millions de litres d’eau par jour. De l’eau douce pour le capital, de l’eau salée pour la population. Le slogan des rues de Montevideo étaient décidément prémonitoires.

La guerre de l’eau en Uruguay est une image de notre futur proche.

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