Quand Macron célèbre une mobilisation qu’il réprimerait férocement si elle avait lieu aujourd’hui
C’était il y a 40 ans jour pour jour. Le 15 octobre 1983, une grande «marche pour l’égalité et contre le racisme» est lancée depuis Marseille pour rejoindre Paris. Cette marche, qui sera rebaptisée «marche des beurs» par les médias, est un événement majeur de l’antiracisme en France, organisé directement par des jeunes immigrés et descendants d’immigrés.
En 1983, en France, plusieurs crimes racistes sont commis contre des maghrébins, le Front National réalise ses premières percées électorales, les médias commencent à enchaîner les sujets anxiogènes sur «l’insécurité» et le néolibéralisme s’installe comme seul horizon. Dans les banlieues, la répression est de plus en plus étouffante et la jeunesse privée d’avenir dans des cités de béton se révolte. Notamment pendant l’été en banlieue lyonnaise, où les premières «émeutes urbaines» ont lieu, et attirent l’attention médiatique. Oui, rien n’a changé en 40 ans, sauf pour le pire.
Cette année là, le jeune Toumi Djaïdja, né en Algérie, crée dans son quartier des Minguettes près de Lyon une association pour dénoncer le harcèlement policier dont sont victimes les jeunes de sa zone. Lors d’une émeute, il s’oppose à la police et se fait tirer dessus. Gravement blessé, il imagine sur son lit d’hôpital une grande marche qui réunirait la jeunesse issue de l’immigration. 1200 kilomètres, entre Marseille et Paris, pour l’égalité. Les «marcheurs» ne sont que 17 au départ.
L’idée est un succès monumental. Plus de 100.000 personnes sont réunies à Paris pour les accueillir le 3 décembre. Toumi Djaïdja dit «Bonjour à la France de toutes les couleurs», il est invité à la télévision, il est reçu à l’Élysée… Malheureusement, la belle idée de cette marche sera vite récupérée. Le Parti Socialiste fondera une coquille vide : SOS Racisme, un outil électoraliste qui permettra à quelques arrivistes de faire carrière en politique. Mais les problèmes qui frappent la jeunesse immigrée et les habitants de banlieue, le racisme et la répression ne seront jamais traités. Toumi Djaïdja retourne dans l’anonymat.
40 ans ont passé. Les violences policières ont explosé et toujours plus de jeunes jeunes sont tués par la police, qui vote majoritairement Le Pen. Les victimes sont quasiment toutes issues de l’immigration. La précarité et la ségrégation sont encore plus fortes qu’à l’époque. Les médias télévisuels sont désormais quasiment tous rachetés par des milliardaires d’extrême droite. Le gouvernement stigmatise sans relâche les musulmans. Dans les lycées, c’est la traque aux robes longues. Des unités anti-terroristes sont envoyées en banlieue après la mort de Nahel et mutilent, voire tuent.
Pourtant, ce dimanche 15 octobre, Macron tweete tranquillement : «Pour la Liberté contre le racisme. Pour l’Égalité contre les assignations. Pour la Fraternité contre les discriminations. Voilà 40 ans, des citoyens entamaient une marche pour revendiquer cette exigence républicaine. Ce message universel se doit encore et toujours d’être porté», en référence à la marche de 1983.
C’est la définition même du culot.
Cet homme est le principal responsable du climat raciste et sécuritaire actuel. Rien que ces dernières semaines, il a fait interdire les mobilisations contre la répression ou pour la Palestine. Il a même nommé comme Ministre de l’Intérieur un homme directement issu de l’extrême droite et le droit de manifester est quasiment aboli.
Si une telle marche initiée par des maghrébins de banlieue avait lieu en 2023, elle serait traitée de «séparatiste», «d’islamiste», «d’anti-flic» et diffamée sans relâche. Ses organisateurs seraient dissous. Ses participants seraient arrêtés ou mutilés. Et le jeune Toumi Djaïdja, qui était par ailleurs connu pour des faits de délinquance, serait sali matin, midi et soir dans tous les médias comme le sont toutes les victimes de violences policières dont le casier judiciaire et la vie privée sont déballés instantanément. Le CV de chaque participant serait scruté par Cnews, et les syndicats policiers dévoileraient leurs «fiches S» ou leurs appartenances réelles ou fantasmées pour dissuader les gens de se joindre à l’évènement. Un parti comme la France Insoumise soutiendrait probablement la marche, et serait donc traité «d’anti-républicain» sur tous les plateaux télé. Bref, la marche n’aurait jamais pu avoir lieu. Et encore moins être reçue à l’Élysée ou évoquée positivement dans les médias, comme cela a été le cas en 1983.
Avec Macron, non seulement l’extrême droite est au pouvoir, mais cette extrême droite déploie un double discours permanent et une inversion systématique dont l’objectif est de rendre fou.