“Produire plus et mieux”


Jeudi 7 décembre, le préfet et la présidente de Région Christelle Morançais étaient les invités de l’assemblée générale du syndicat professionnel agricole. L’objectif, très clair, était d’inviter les maraîchers nantais à “produire plus et mieux” !


Vu aérienne de la "mer de plastique", des lignes entières de serres au-dessus de sols sableux dans le pays nantais

“Produire plus”

Produire plus, alors que la maraîchage nantais brille par son image industrielle et artificielle, cela signifie laisser ces “entrepreneurs” s’accaparer davantage de surfaces agricoles. On connaît déjà les répercussions d’une telle politique foncière sur le territoire, les paysages et la biodiversité, et ce au détriment de l’agriculture dite diversifiée et biologique (céréale, élevage et maraîchage). En effet, les maraîchers nantais sont capables de mettre sur la table bien plus d’argent pour acquérir des terres sur lesquelles des tensions existent avec leurs “confrères” du monde agricole.

Le résultat de telles mesures sera d’accroître des inégalités déjà fortes entre les différents acteurs du monde agricole. Les industriels font ainsi face aux paysans qui luttent de plus en plus pour maintenir leur activité. Les techniques utilisées chez les maraîchers nantais relèvent plus de l’artificialisation que de l’agriculture traditionnelle, où le sol reste le pilier central de l’autonomie de la ferme mais assure également la salubrité alimentaire. En témoigne la désinfection du sol, que seul le maraîchage industriel utilise pour pallier aux pathogènes du sol tellement ce dernier est sollicité et fini par être épuisé. Sans cette technique, les légumes meurent pour la plupart au stade de plantule. La désinfection du sol est réalisée par injection de vapeur, un procédé très énergivore (pétrole et eau).

De plus, la culture sous serre nécessite des infrastructures qui forment aujourd’hui une véritable mer de plastique (à la Chapelle Basse Mer ou Saint Julien de Concelle par exemple), traduction de l’artificialisation croissante de leur mode de production. Les serres permettent de s’affranchir des conditions climatiques naturelles afin d’augmenter au maximum la saison de production de légumes en automne et hiver, d’autant que leur rentabilité économique augmente hors-saison. On parle aussi beaucoup trop peu des tunnels nantais, ces petits abris sur arceaux qui génèrent pourtant tous les ans des tonnes de déchets plastiques.

“Produire mieux”

Le second point énoncé par la présidente de région : produire “mieux”. Il faut être conscient que les maraîchers nantais n’arrivent à produire à une telle cadence (jusqu’à 3 ou 4 cultures/an/parcelle) qu’au prix d’un cocktail subtil mélangeant éléments fertilisants (issus de la pétrochimie) et produits phytosanitaires… parfois accordés par dérogation ! Les premiers font respectivement «pousser», tandis que les seconds servent à «protéger» des cultures qui, à force de sélection et avec la dégradation des sols maraîchers industriels (devenus de vulgaires substrats), n’arrivent plus à fournir naturellement les éléments nécessaires à la vie des plantes.

Au contraire, un sol sain et doué d’une forte biodiversité, permet aux végétaux d’être plus autonomes en terme de nutrition et de se défendre naturellement face aux agents pathogènes. Un sol fertile permet également de mieux faire face aux évolutions climatiques, en cas de sécheresse mais aussi d’excès d’eau. L’alternative aux pesticides existe : c’est un sol vivant !

À cela s’ajoute une mécanisation à outrance développée au cours des dernières décennies répondant aux enjeux de la production industrielle en planche, c’est-à-dire où tout travail se fait suivant une largeur standard, de la préparation du semis à la récolte (toutes les machines travaillent en 1m60). Dans ces conditions, c’est la Loire qui subit directement le lessivage des produits phytosanitaires utilisés pour les tenues maraîchères, se retrouvant dans le lit de notre emblématique fleuve sauvage.

Les sols sont devenus de vulgaire substrats sableux

Le sable est employé depuis des décennies dans le pays nantais. Quiconque ayant traversé la zone et observé les tenues maraîchères, n’aura pas manqué la visions des tas de sable en bout de champ. Cette ressource est aujourd’hui déjà fragilisée par des prélèvements à outrance, notamment pour satisfaire les besoins du BTP.

Hors, le sable est absolument indispensable au maraîchage industriel, pour des besoins mécaniques, du semis jusqu’après la récolte. Ainsi ce sont aujourd’hui des dizaines de centimètres de sol sableux qui surplombent les particules minéralogiques fines, type limons et argiles, alors lessivés dans les profondeur. Rien d’étonnant que les maraîchers nantais aient été désarmés le 11 juin lors de la manifestation contre les carrières de sable à Saint-Colomban.

Dans la guerre de l’eau, le sable est l’ennemi

Arrivons-en au dernier point abordé lors de l’AG du 7 décembre au CDDM, le Comité Départemental de Développement Maraîcher : la gestion de la ressource en eau. À force de paradoxes on comprend aisément qu’un sol sableux ne retient pas l’eau ! Quelles solutions imaginer pour palier à ce phénomène ? L’enracinement d’une mâche (pour prendre cet exemple) ne dépasse pas quelques centimètres, donc se trouve encore loin des argiles ou limons lessivés en profondeur qui permettent normalement d’offrir une réserve en eau pour les végétaux cultivés. Conséquence : il faut les arroser quasiment tous les jours.

La culture sur sable est donc loin d’apporter une solution à la guerre de l’eau qui se joue depuis quelques années : elle est au contraire une partie du problème. D’autant que pour bénéficier d’une marge intéressante, une autre particularité de ce maraîchage est de produire à contre saison, donc de la mâche en été. Ainsi, pour une gestion durable de l’eau chez les maraîchers Nantais, c’est l’ensemble des techniques de production qui devraient être revues.

Sortir du système écocidaire

En conclusion, “produire plus et mieux” pour les maraîchers nantais n’est pas synonyme de vertu, car leur conception même du maraîchage se fait au détriment des ressources globales et de la santé de chacun-e. On comprend mieux pourquoi une action avec les Soulèvements de la Terre en juin dernier était nécessaire. Elle aura permis de mettre au grand jour la réalité de ce monde catastrophique en termes d’agriculture, d’usage de ressource (eau et sable), d’atteinte directe à la biodiversité et au paysage. Et les pauvres maraîchers qui se plaignaient des dégradations sont démasqués.


Comment dans ces conditions peut on imaginer un instant un avenir durable pour le maraîchage nantais ? Dans l’ouest, des maraîchers naviguent à contre-courant de l’agriculture intensive, offrant des perspectives pour sortir d’un système mortifère.


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3 réflexions au sujet de « “Produire plus et mieux” »

  1. Produire plus et faire du profit en ralentissant l’insécurité alimentaire… C’est bientôt la “faim” du monde

  2. Participation artistique au débat. Clin d’oeil à l’oeuvre de René Magritte “Ceci n’est pas une pomme”, la légende diffère cependant. Sous l’image d’un fruit ou d’un légume la liste exhaustive des produits phytosanitaires que contiennent pommes, fraises, pomme de terre … : ” Ceci est du Abamectine , Acequinocyl , Clofentézine , Etoxazole …” Découvrir la série : https://1011-art.blogspot.com/p/hommage-magritte.html
    Et en écho la série consacrée à la perte des abeilles : https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html

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