Oui, mais pas au sens où on pourrait l’entendre
Ce dimanche 7 juillet, jour de scrutin, l’essayiste d’extrême droite, masculiniste et raciste, Julien Rochedy se plaint sur Twitter : « En France, même notre mode de scrutin est gauchiste ». Et comme à chaque fois qu’un fasciste s’exprime, la réalité est littéralement inverse. Explications :
Un mode de scrutin majoritaire peu démocratique
La démocratie représentative s’organise par la tenue d’élections, notamment les législatives qui permettent d’élire les députés à l’Assemblée. Schématiquement, on peut distinguer deux grands modes de scrutin aux législatives : majoritaire (le plus souvent à deux tours) ou proportionnel (à un tour).
De façon exceptionnelle, le scrutin majoritaire peut se faire en un tour, c’est alors le candidat qui a la majorité relative qui l’emporte. Ce système est probablement le moins démocratique qui soit, il n’est utilisé que dans trois pays anglo-saxons, mais c’est celui-ci qui devrait servir d’exemple pour Rochedy.
En France, c’est le scrutin majoritaire à deux tour qui est en vigueur depuis le coup d’État de 1958 et l’avènement de la Vème République. Il s’agit en réalité de 577 élections au scrutin majoritaire, dans chaque circonscription, pour compléter les 577 postes de député à pourvoir. Le premier tour permet de faire le tri, de peser les forces en présence et de calculer les financements publics des partis. Ne parviennent au deuxième tour que les candidats qui ont obtenu au moins 12,5% des voix des inscrits. C’est ensuite le candidat ayant la majorité (absolue ou relative) qui l’emporte.
Ce système est taillé sur mesure pour un régime présidentiel : les élections législatives se déroulant habituellement juste après l’élection du Président, celui-ci dispose d’un avantage certain. Il bénéficie déjà d’une dynamique de campagne positive, et peut faire valoir son besoin de majorité pour gouverner, un argument de poids pour mobiliser son électorat, que ce soit à gauche ou à droite. C’est ainsi que Macron, à la tête d’un parti tout neuf et peu structuré, a pu faire élire 308 députés en 2017, dont la plupart étaient totalement inconnus de la population. Et sans vraie majorité dans les urnes.
Le scrutin proportionnel, beaucoup plus répandu, est aussi bien plus démocratique car il représente plus fidèlement les tendances politiques des votant-es. Se déroulant en un seul tour, comme aux européennes, il s’agit de donner aux partis la même proportion de sièges au Parlement que la proportion de votes reçus de la part de l’électorat. Avec les résultats du premier tour, cela donnerait environ 173 sièges pour le RN, 167 pour le Front Populaire, 115 pour les macronistes, 35 sièges pour LR et 23 pour les Ciottistes. L’Assemblée serait encore plus partagée qu’elle ne le sera ce soir. À la proportionnelle, il y aurait aussi 5 ou 6 députés du NPA et quelques autres.
Pour résumer, si le scrutin proportionnel est plus représentatif et démocratique, il est aussi plus difficile d’y obtenir une majorité. Les partis doivent nouer des alliances pour pouvoir gouverner et les gouvernements ont moins d’autonomie. Un président autoritaire et tout-puissant comme Macron n’aurait aucune chance d’exister dans ce système. Heureusement De Gaulle, qui souhaitait régner sans partage, a mis en place un système majoritaire car plus stable et permettant une prise de décision unilatérale qui ne concède que peu de poids aux opinions divergentes en éliminant les petits partis. La démocratie est une notion bien trop compliquée pour s’embêter avec ça.
Des circonscriptions sur mesure pour la droite
Par ailleurs, le découpage des circonscription favorise très clairement la droite et l’extrême droite comme le montre l’étude de Cédric Rossi pour Visionscarto. Sachant que chaque circonscription élit un seul député, plus il y a d’électeurs ou d’électrices, moins le poids individuel est important. Certaines circonscriptions n’ont que 45.000 votants, d’autres 135.000 : les députés ne sont pas tous élus par le même nombre d’électeurs, ils n’ont pas le même « poids » démocratique dans les urnes, mais en ont à l’Assemblée. L’étude montre que dans les circonscriptions urbaines hors Paris, qui votent à gauche, le nombre d’électeurs passe parfois du simple au double par rapport aux circonscriptions rurales, marquées à droite. L’ouest de la France et notamment la Bretagne, plus à gauche, est aussi bien lésé. En revanche, les départements ruraux du centre et de l’est, très à droite, sont bien lotis.
Concrètement, un député RN a besoin de moins d’électeurs pour être élu. Le suffrage majoritaire où chaque député est élu individuellement sur un territoire circonscrit est clairement à l’avantage de la droite, et désormais des fascistes. En 2009, c’est Sarkozy qui a redécoupé les circonscriptions pour avantager son camp. À l’époque, le PS calculait qu’il fallait que la gauche « fasse 51,3 % pour avoir une majorité à l’Assemblée nationale, alors qu’avec 48,7 % des suffrages, la droite obtiendra une majorité ». Bref, sur ce sujet comme sur tout le reste, Rochedy le champion de la droite néofasciste raconte n’importe quoi.
Une ancienne revendication du FN
Toute la seconde moitié du XXème Jean-Marie Le Pen a réclamé la proportionnelle. En 1986, 35 députés FN font leur apparition à l’Assemblée car François Mitterrand a introduit un mode de scrutin proportionnel par département. Le système disparaîtra deux ans plus tard, mais depuis la dédiabolisation on n’entend plus trop Marine Le Pen sur ce sujet. Désormais favorisée par le scrutin majoritaire, la demande de proportionnelle a même disparu du programme du Rassemblement National. Sous un certain, seuil, autour de 15%, un parti risque de n’avoir aucun député, même s’il a des millions d’électeurs. En revanche, passé ce plafond de verre, la 5ème République autoritaire est avantageuse pour les gros partis. Le RN en bénéficie désormais.
Rochedy devrait donc mettre à jour son logiciel : une fois n’est pas coutume, la ligne de son parti était de fermer sa gueule sur le sujet. Mais se plaindre d’une situation fantasmée sur les réseaux sociaux est devenu un art majeur à l’extrême droite.
Rochedy ose même déclarer que « Il vaut mieux l’alliance des losers qu’un winner. C’est tellement significatif de l’esprit français au fond ». C’est à cela qu’on reconnaît un authentique « patriote » : quelqu’un qui clame son amour du pays tel qu’il le fantasme 10% du temps et passe 90% de son temps à cracher sur ce qu’est le pays réellement.
5 réflexions au sujet de « Les législatives sont-elles truquées ? »
pourrais-tu nous faire le même décompte après le 2eme tour?
ca donnerait quoi une assemblée nationale élue à la proportionnelle aujourd’hui!?
merci pour ce super boulot on en veut encore!
Calculer la proportionnelle sur la base du second tour n’aurait pas vraiment de sens, puisque tous les partis éliminés dans chaque circo ne seraient pas comptabilisés, et que certaines circos n’ont pas voté hier lorsque leur député était élu dès le premier tour.
S’il est vrai que le RN a récemment renoncé à demander la proportionnelle dans son programme parce qu’il espérait pouvoir l’emporter avec le mode de scrutin actuel, celui-ci a bel et bien continué à le desservir. Si les dernières législatives avaient eu lieu à la proportionnelle pure, le RN aurait eu près de 200 députés (seul, sans même l’alliance avec Ciotti).