«Est-ce qu’il y aurait des guerres, si on était resté tout nu ? Où cacher un révolver, quand on est tout nu ?» Ces paroles chantées vendredi 26 juillet par Philippe Katerine, déguisé en Dionysos bleu pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, ont provoqué un scandale mondial qui continue d’agiter l’extrême droite de tous les pays. Pourtant, cette mise en scène et ces paroles sont probablement les plus fidèles à l’esprit des jeux antiques.
Des athlètes à poil
Savez-vous que le mot gymnase vient du grec gumnas, qui signifie «nu» et plus particulièrement «qui s’est mis à nu pour la lutte» ? Gumnos, c’est l’homme nu, «sans armure, sans armes». Le gymnaste, c’est littéralement un sportif à poil, par contraste avec le soldat équipé, que l’on ne retrouve que dans une seule discipline, la course d’hoplites. Lors des Jeux Olympiques antiques, les athlètes sont donc nus comme des vers et le corps enduit d’huile d’olive et de sable, pour se protéger du soleil et gêner l’adversaire en cas de lutte.
Encore plus amusant, les sportifs portaient un ustensile nommé kynodesme, signifiant «laisse de chien», pour attacher leurs organes génitaux. Courir à toute vitesse avec le pénis pendant à l’air libre, ce n’est pas très pratique. Le pénis était donc attaché à une bande de cuir ceinturant la taille et dévoilant les testicules. Les réactionnaires qui ont trouvé la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris trop nudiste feraient une syncope et qualifieraient ces pratiques de décadentes s’ils vivaient au temps de l’Olympisme original.
D’où vient cette tradition ? Il y a plusieurs versions. Selon l’historien Denys d’Halicarnasse, la ceinture d’un Spartiate aurait été lâchées pendant la course pour aller plus vite. Une autre version voudrait qu’un pagne aurait glissé pendant la course, faisant tomber l’athlète qui le portait et provoquant sa mort. Une dernière dit que la nudité permettait d’être certain qu’aucune femme ne participait aux Jeux Olympiques, réservés aux hommes, même s’il existait les Heraia à Olympie, course féminine organisée tous les quatre ans en-dehors des Jeux. Quoiqu’il en soit, les Grecs interdisaient de porter des vêtements lors des compétitions sportives.
L’historien athénien Thucydide expliquait dès le VIe siècle avant notre ère que la nudité et le fait de s’huiler le corps était un signe de civilisation. Cela démontrait le caractère pacifique et égalitaire entre Grecs, alors que les barbares portaient des peaux de bête et des armes.
Une fête polythéiste
Les Jeux antiques n’étaient pas l’immense foire capitaliste que l’on connaît aujourd’hui. Les athlètes s’affrontaient avant-tout pour le prestige et pour faire honneur aux divinités. D’abord, il n’y avait pas de médaille ni de podium : seul le meilleur dans sa discipline était récompensé, mais avec humilité. Le vainqueur pouvait recevoir un ruban de laine noué autour de la tête, symbole honorifique, ou être coiffé d’une couronne d’olivier devant le temple de Zeus à Olympie. Il pouvait également recevoir comme cadeau matériel une amphore d’huile selon les types de Jeux, car il n’y avait pas que les Jeux Olympiques. Rien à voir avec les millions d’euros, les contrats publicitaires et les sponsors d’aujourd’hui.
En revanche, un grand athlète pouvait être glorifié par des poèmes voire des statues. Son nom ainsi que sa ville et sa famille étaient proclamés sur des stèles agonistiques, sorte de tableau des médailles des quatre sanctuaires panhelléniques (qui rassemblaient tous les Grecs) d’Olympie, Delphes, Corinthe et Némée. D’autres Jeux importants pouvaient se dérouler dans d’autres cités, par exemple les Jeux d’Athènes qui ont aussi inspiré les Jeux modernes.
Dans l’Antiquité, les Jeux Olympiques continuent d’être célébrés pendant des siècles, même sous la domination romaine, qui prétendait s’inscrire dans la continuité de la civilisation grecque. C’est le christianisme qui tuera cette compétition. En 393 de notre ère, l’Empire s’est converti à la nouvelle religion monothéiste et a abandonné le culte polythéiste ancien. C’est l’empereur romain Théodose Ier qui interdit les Jeux Olympiques, alors qu’ils existaient depuis 776 avant notre ère : plus d’un millénaire.
Récapitulons : des athlètes nus et enduits d’huile, le pénis attaché par une lanière, des exploits sportifs récompensés de façon purement symbolique, une cérémonie interdite par le christianisme. 2500 ans plus tard : le fameux «esprit olympique» n’a plus grand chose à voir avec celui des origines.
Cette petite digression historique ne vise pas à glorifier sans nuance la Grèce antique, société qui n’était pas seulement animée par un idéal d’excellence et de philosophie, mais qui était aussi misogyne, militariste et esclavagiste. Elle permet de se rendre compte à quel point les réactionnaires ignorent tout de leur propre histoire, de cette civilisation européenne gréco-romaine qu’ils prétendent défendre.
Source : «Jeux Olympiques antiques, que nous disent les céramiques grecques», dossier du Louvre.