Pierre Gwiazdzinski était ouvrier depuis 10 ans à Audun-le-Tiche en Lorraine. Après des problèmes de santé, il est décédé cet été à l’âge de 27 ans. Avant de disparaître, il avait rédigé une belle lettre, où il racontait le “cycle infernal” d’un travail répétitif, dénué de sens, et déplorait le temps et les talents volés par le salariat. Son texte sur le monde ouvrier a été rendu public par sa famille et lu sur France Culture. Le voici :
“De l’acier au satin, des ouvriers aux assassins
Un Américain célèbre nommé Henri Ford à créé un monstre à deux têtes. D’une part une révolution industrielle et de l’autre un asservissement ouvrier.
Une formule, résume très bien ce statut des ouvriers les fameux “Mozart assassinés”. Ils portent leur peine au travail en serviles bras robotiques humanoïdes, alors qu’ils cachent souvent des talents insoupçonnés.
Et tout ça pour quoi ? Payer un loyer indécent, rembourser un crédit voiture qui leur sert principalement à se rendre à l’usine ou à faire quelques courses dans un magasin discount toujours trop cher pour leur budget ?
En ayant mis les pieds dans ce milieu, chaussures de sécurité comprises, j’ai eu l’occasion de rencontrer quelques-uns de ces Mozart.
Des gens humbles, travailleurs et malheureusement résignés. Ces hommes dissimulaient souvent des talents inexploités et pour leur plus grand malheur, ils n’en avaient même pas conscience.
Qu’est-ce qui est le pire, le mal de dos ? Les insomnies liées au travail posté de l’industrie ? Non ! Le pire, c’est la résignation !
Se contenter de ce qu’on a alors que l’on possède sans doute d’autres talents. Voilà le pire. Il y a une frustration indescriptible à faire un travail répétitif dénué de sens quand on a des idées plein la tête, mais le cerveau embrumé.
La question serait de savoir qui est fautif ? La société ? La brutalité parfois indécente de la vie ? L’éducation ? L’école ? Un mélange de tout cela sans doute. Je pense qu’il y a des gens qui ne sont tout simplement pas adaptés à cette société, des “handicapés sociaux” si l’on peut dire.
N’y aurait-il pas un travail à faire dès l’enfance, au-delà du simulacre d’orientation en vigueur ? Pourquoi pas des stages multiples, plusieurs à chaque âge, à chaque classe ? Tester des métiers, des idées diverses proposées aux enfants en construction, pour justement les aider à construire un avenir qui ne leur fera pas regretter leur passé. Et des méthodes différentes pour les enfants différents afin que chacun trouve sa place.
Zola, Hugo et d’autres ont déjà écrit à ce sujet. C’était il y a plus d’un siècle, mais rien n’a changé.
Bien sûr, il y eut les “35 h”, les congés payés et autres poudres aux yeux.
Mais si l’on compte 10 heures au bas mot entre la préparation, la route aller-retour, les heures de travail (voir plus en fonction du bon vouloir de la pause repas décidée par la direction) et huit heures de sommeil (si toutefois on y parvient) que nous reste-t-il ? 6 h heures de vie ? Elles sont consacrées à la “vie de famille” si les horaires sont compatibles bien sûr, aux tâches ménagères et autres corvées. Pour finir, il nous reste 45 minutes pour nous abrutir devant Netflix avant de recommencer ce cycle infernal.
Force est de constater que pas grande chose n’a évolué depuis Marx. Si on a la “chance” d’œuvrer dans les hautes sphères, on travaille pour un capital et une reconnaissance certaine, mais pour ces ouvriers qu’en est-il ? Ils sont des “invisibles” de la société pour les plus “chanceux” et des “oubliés méprisés” pour les autres.
Avec ce système, on a créé des êtres malheureux, dépressifs, insomniaques, bourrés de cachetons en guise de Soma.
Système dystopique accepté par la plupart des citoyens soumis malgré eux.
Je ne suis pas politisé. Je suis simplement immergé et submergé dans ce système dégoûtant qui me révulse.
Monde ouvrier, Monde oublié”
Pierre Gwiazdzinski, ouvrier (1997-2024)
8 réflexions au sujet de « «Monde ouvrier, monde oublié» »
Bonjour Contre Attaque, les véritables prolétaires, les véritables ouvrier. e. s les véritables charbonneur. euse.s de tous ces métiers penibles et alimentaires où tu es complètement invisible, où tu n’existe que pour faire tourner la machine ne peuvent évidemment que se reconnaître dans cette magnifique lettre écrite par le jeune Pierre Gwiazdzinski qui en a lui aussi souffert. Ce n’est pas dans notre classe sociale que l’on prend la parole et nous exprimons comme l’a fait notre jeune frère de classe Pierre Gwiazdzinski, parce que chez nous, les véritables prolétaires, nous avons appris que deux choses, nous résigner et nous taire.
Bonjour
Pourquoi le texte que vous publiez est différent de celui lu sur France Culture ?
Notamment toute la fin, à partir de la référence à Marx et une phrase lue dans l’émission qui dit « loin de moi l’idée de propager des idées gauchistes … »
Merci !
Cette phrase a été ajoutée par France Culture a posteriori et ne figure pas dans le texte initial, d’où la différence de version. Nous l’avions publié dans une première version de l’article puis supprimée après en avoir été informé-es.
Bonjour,
Je suis assez outré de voir que France Culture a modifié post mortem le témoignage pourtant tellement poignant de Pierre Gwiazdzinski
Je suis très heureux de voir que vous publiez la lettre originale et ainsi rendre hommage à sa mémoire. Je voulais avoir la source de la lettre s’il vous plait car je ne trouve que deux textes ; le votre et celui de france culture,
Merci d’avance et merci de ce que vous faîtes
Ça se retrouve dans l’archive de France Culture ici : https://web.archive.org/web/20240814101305/https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/apres-les-elections-des-banquets-pour-se-retrouver-4241086
Nous ne sommes pas parvenu-es à retrouver la lecture audio.
Bonjour, après consultation de l’archive j’ai constaté que la phrase de fin était la suivante:
“Je ne suis pas politisé. Je suis simplement immergé et submergé dans ce système dégoûtant qui me révulse.”
les mots “immergé” et “qui me révulse” on était supprimés avec l’ajout de la phrase sur les idées de gauches. Je n’ai pas l’impression que ce soit anodin, merci à vous pour le partage.
Le prolétariat “moderne” est en expansion sous deux formes. Géographiquement, la mondialisation libérale à multiplié les investissements industriels dans les pays à bas “salaires” et lés delocalisations de sites industriels. La nature des activités, la logistique est dévoreuse de prolétaires que l’on trouve dans les entrepôts géants, les transports, les livraisons…la classe ouvrière en soi se développe. La classe ouvrière pour soi…c’est hélas un autre problème.