Histoire : il y a 171 ans, la colonisation de la Kanaky


«Les symboles ne sont rien, c’est le combat qui donne aux symboles leur force !» Jean-Marie Tjibaou, indépendantiste Kanak


Trois images de la colonisation en Kanaky : en 1853, 1984 et 2024 avec, désormais, des blindés de la gendarmerie devant des drapeaux Kanak.

Le 24 septembre 1853, la France prenait officiellement «possession» de la Nouvelle-Calédonie, un archipel isolé du Pacifique, habité par les Kanak, descendants d’un peuple présent depuis 3.000 ans.

Ce territoire a été «découvert» il y a 250 ans par l’explorateur britannique James Cook, qui lui donne le nom de Nouvelle-Calédonie. L’endroit n’éveille pas beaucoup d’intérêt à l’époque, à part pour quelques explorateurs et missionnaires. Mais au milieu du 19ème siècle, dans un contexte de défiance et de concurrence coloniale avec l’empire britannique, l’intérêt de la France pour l’archipel grandit et elle en prend finalement «possession» le 24 septembre 1853, il y a 171 ans donc.

Ce jour marque le début de la colonisation de l’archipel et de son peuple qui, tout en subissant des bouleversements majeurs dans ses structures sociales et culturelles depuis des décennies, a toujours exprimé sa résistance, que ce soit dans son endurance à faire perdurer un système traditionnel et un patrimoine culturel millénaire, son habileté à s’organiser politiquement, et sa détermination lors des diverses révoltes et affrontements qui ont secoué le territoire depuis son «annexion» à la France.

À l’image de ce que subissent déjà les peuples colonisés sur le continent Américain et aux Antilles – et de ce que fera subir plus tard la logique destructrice et exploiteuse de l’administration et de l’armée françaises dans les multiples conquêtes jusqu’à la fin du 19ème siècle – le système colonial se déploie ici, comme toujours, avec cette même logique mortifère :

  • Discrimination, exclusion et travail forcé : relégué·es aux marges de la société et sous le coup du code de l’indigénat, les Kanak sont privé·es de leurs droits, déplacé·es, parqué·es dans des réserves, et exloité·es (notamment pour construire des routes ou trimer dans les mines de nickel), et ils n’auront le droit de vote qu’en 1957 !
  • Ostracisme culturel et éradication de la culture Kanak et de sa société traditionnelle, notamment au travers de l’assimilation forcée. Les Kanak sont également privés d’accès au savoir, afin de les maintenir dans une situation d’infériorité culturelle : le premier bachelier Kanak n’obtient le diplôme qu’en 1962.
  • Expropriation et exploitation des terres : les Kanak se retrouvent chassé·es de leurs terres, au profit des colons européen·nes (pour y pratiquer l’élevage ou l’exploitation des ressources naturelles). Selon une infographie du Monde, l’État français n’a laissé aux Kanak que 13% de leur territoire initial, sous forme de «réserves», lors d’une opération baptisée le «grand cantonnement», qui s’est terminée en 1903. La lutte pour la restitution des terres volées est d’ailleurs toujours d’actualité en Kanaky, restant au cœur des revendications et des enjeux politiques.
  • Extermination : entre 1774, année où l’explorateur britannique James Cook accoste l’archipel, et le point bas des années 1920, la population Kanak a diminué de 75 à 95%, essentiellement à cause des maladies apportées par les Européens.

Malgré l’extrême brutalité du pouvoir colonial, les Kanak ont depuis toujours résisté au sort qui leur était imposé, et la grande majorité d’entre elles et eux sont aujourd’hui en faveur de l’indépendance de Kanaky. Depuis les années 80, les Kanak se sont organisé·es politiquement, et ont engagé un processus de dialogue avec les autres communautés présentes dans le pays. Iels ont également pu montrer leur détermination lors d’un épisode appelé «les évènements » entre 1984 et 1988, un conflit qui fit près de 70 morts.

Sur le plan culturel, même si la société Kanak d’aujourd’hui parait certainement bien éloignée de celle d’il y a un siècle, les Kanak sont parvenu·es à faire vivre et à transmettre un ensemble de savoirs, de pratiques et de coutumes, qui régissent encore aujourd’hui la vie de dizaines de milliers d’habitant·es des tribus, sur la Grande Terre et les Îles Loyautés. À titre d’exemple, il existe encore une petite trentaine de langues autochtones parlées en Kanaky, pour une population Kanak estimée à environ 112.000 personnes dans l’archipel – soit environ la population d’une ville comme Orléans ou Argenteuil.

Cette détermination et cette résistance face à l’État colonial et à l’effacement programmé de leur culture se sont transmises de génération en génération, et la jeunesse continue aujourd’hui à se mobiliser en Kanaky malgré une répression terrible – qui a déjà coûté la vie à 13 personnes, qui a fait des centaines de blessé·es, amené à la déportation de prisonnier·res politiques à 16.000 kilomètres de chez elles et eux, et à des milliers d’interpellations…

Les luttes actuelles s’inscrivent dans ce long héritage d’opposition au pouvoir colonial français. Cette date du 24 septembre a longtemps été considéré par les autorités françaises comme simple «date de rattachement à la France». Puis, il y a 50 ans, les indépendantistes décident d’en faire un «Jour de Deuil du peuple Kanak» pour symboliser les souffrances subies depuis cette date fatidique. Enfin, c’est en 2004 que l’idée d’en faire une «Fête de la Citoyenneté» a été initiée, censée célébrer le vivre-ensemble des diverses communautés de l’archipel. Néanmoins, cette tentative n’aboutira pas… car comme nous le rappelle Jean-Marie Tjibaou, indépendantiste assassiné en 1989 : «Les symboles ne sont rien, c’est le combat qui donne aux symboles leur force !»

À l’heure où des foyers de contestation se rallument dans certains quartiers de Nouméa, les autorités coloniales, elles, craignent des «débordements». Ce ne sont pas moins de 6.000 militaires, gendarmes et flics qui sont mobilisé·es aujourd’hui, et qui sous couvert de «maintien de l’ordre», sont en réalité là pour mener la guerre coloniale prônée par l’État français et la classe politique loyaliste calédonienne, comme l’élue de droite loyaliste Sonia Backès.

En Kanaky cette année, dans le contexte particulier des révoltes de ces derniers mois, le Conseil National Innat ne Kanaky réunissant les représentants plusieurs tribus a décidé de se retrouver en Assemblée du peuple Kanak sur l’île de Maré. Les autorités locales n’avaient évidemment pas répondu à l’invitation faite par les représentant·es coutumier·es du peuple Kanak… Mais des délégations de responsables coutumier·es et traditionnel·les de la région Océanie avaient fait le déplacement, symbolisant ainsi la solidarité des peuples autochtones dans leur résistance face à la colonisation et pour le respect de leurs droits. Le Conseil Innat ne Kanaky a notamment rappelé à l’État français «la souveraineté des chefferies sur leurs territoires coutumiers», estimant qu’elle a été «reniée et ignorée depuis 1853».

D’autres événements ont eu lieu dans plusieurs communes de Kanaky, particulièrement pour rendre hommage aux personnes assassinées par les forces de l’ordre et les milices armées loyalistes depuis le mois de Mai.


Des rassemblements de soutien à la Kanaky auront lieu aujourd’hui dans plusieurs communes de France :

  • Bordeaux : 17h30 Place de la Victoire
  • Lorient : 18h30 Place Aristide Briand
  • Lyon : 18h30 Place Guichard
  • Strasbourg : 18h Place Kleber

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