« Freinage d’urgence » : retour sur un week-end de lutte pour le vivant


Ligne à Grande Vitesse : dispositif répressif démentiel contre une mobilisation écologiste


Vendredi 11 octobre affluaient de toute la France et d’Europe des milliers de militants et militantes écologistes. En jeu, la destruction de près de 5000 hectares pour la construction d’une ligne inutile et destructrice : la LGV Bordeaux Toulouse.

Dès jeudi les manifestant-es ont monté le camp pour accueillir tout ce petit monde dans les meilleures conditions. Camping, cantine à prix libre, bar, garderie, espace soin, chapiteau, stands d’organisations camarades, toilettes sèches et douche. Philippe, le sympathisant de la lutte qui prête son terrain privé est formel : «je préfère ce chahut pendant 3 jours plutôt qu’un chantier gigantesque qui saccage le territoire. C’est un projet stupide et ringard, qui date des 30 glorieuses et ne présente aucun intérêt. C’est un joujou de riche.» Lorsqu’un journaliste lui parle de la possibilité d’avoir moins de camions sur la route, il rétorque «ce sont des menteurs, croyez-vous que les camions prennent les LGV ? Quand on a ouvert Bordeaux/Tours y a pas eu un camion en moins sur la route. J’ai un certain âge, je ne vais pas aller me coucher devant les bulldozers ni grimper aux arbres c’est fini. Mais j’espère qu’il y des jeunes qui vont le faire.» Les jeunes ont répondu présents.

Ce projet hors du temps et pharaonique coûtera bien plus que les 14 milliards d’euros annoncés selon les membres de LGV non merci, le collectif à l’initiative de cette mobilisation, qui fait appel aux Soulèvements de la terre pour massifier leur lutte. Les collectivités locales de leur côté doivent supporter 600 millions. La conséquence directe ? Une coupe dans les autres secteurs, notamment l’aide à l’enfance qui voit son budget amputé. Moins d’argent pour les enfants, plus pour les bétonneurs. Ce sont également plus de 2000 communes qui vont devoir s‘acquitter d’une nouvelle taxe pour financer le projet. Des collectifs de riverains appellent à la désobéissance fiscale : refuser de payer ce nouvel impôt.

Un campement joyeux

Sur le camp, l’ambiance est festive et familiale. Mais pour les autorités, des familles dormant dans leur camping car devaient être surveillées par le survol d’un hélicoptère de gendarmes à 4h du matin à basse altitude pendant 40 minutes avec stroboscope et sirène. Des personnes excédées envoient des feux d‘artifice, espérant le faire partir. N’ayons pas peur des termes, il s’agit de torture psychologique, et c’est récurrent lors des manifestations contre les projets écocidaires. En juin lors de la mobilisation contre l’A69, des voitures de police toutes sirènes hurlantes avaient réveillé les manifestant-es à 2h du matin, puis l’hélicoptère avait pris le relais à 4h.

Le samedi démarre sous la pluie, mais ça ne décourage pas nos joyeux lurons qui continuent à affluer toute la nuit, certains venant tout droit d’Italie, notamment les activistes de la lutte sœur, celle du No TAV, ce projet de liaison Lyon Turin contre lequel ils et elles se battent depuis des années. La ZAD contre l’A69 est aussi présente, malgré un harcèlement des « forces de l’ordre » sur le chantier.

Une pluralité d’actions

Chacun.e se retrouve avec ses camarades au petit déjeuner pour échanger sur les différentes actions proposées. Ce qui fait la force de cette mobilisation, c’est qu’elle fait le pari de proposer une multitude d‘actions, sur des lieux divers, et selon les envies de chacun.e. Elles prennent la forme de jeux : «dixit naturaliste», «giga kapla», «golden rail»… Une vélorution est proposée pour déambuler dans Bordeaux et rejoindre la fanfare à la gare pour mettre un joyeux bazar avec force confettis. Une balade naturaliste pour découvrir ce territoire qui doit être protégé et défendu et les espèces qu’il abrite est également proposée. Dans le cortège «giga kapla», 1000 activistes s’élancent à travers la forêt dans une ambiance très festive grâce à la musique et aux chants. Après une bonne promenade, une vigie a été installée au cœur du tracé futur de la LGV, sous la surveillance oppressante de drone, hélicoptère et gendarmes. Les militant.es, profitant de l’enlisement d’une voiture de gendarmerie, procèdent au désarmement festif du véhicule. Les malheureux gendarmes ont bien tenté de négocier à coup de grenades lacrymogènes, mais l’occasion était trop belle de profiter d ‘un rapport de force pour une fois en faveur des manifestant.es. Voir des gendarmes s’enfuir en courant en abandonnant leurs affaires, c’est un spectacle auquel on n’assiste pas tous les jours. Le jeu continue durant la nuit : «diverses entreprises liées au projet (bureau d’études, aménageurs, expropriateurs) ont été ciblées par des tags, banderoles, vidages d’extincteurs remplis de peinture et autres petits désarmements facétieux» et des messages d’amour sont laissés sur les gares des lignes TER que les activistes entendent défendre.

Pendant ce temps, des militant.es sont resté-es aussi sur place pour aider aux nombreux besoins d’un tel camp. Des randonnées accessibles à tous.tes, des confections de banderoles avec les enfants sont aussi proposées à moindre distance. En cuisine, on prépare le repas du soir, couscous végétarien au menu. Au retour des militant.es, la fête peut commencer pour célébrer cette journée d‘action. Des concerts résonnent sous le chapiteau, puis la fanfare prend le relais : “J’ai deux passions, la fanfare, la révolution, vive les blocages, les sabotages, les ZAD et les manifs sauvages” chantent les militant.es . Une “quête” est organisée en soutien à Gilles R., le gendarme dont l’équipement a été réquisitionné par les manifestant.es en réponse aux milliers de confiscations dont iels ont fait l’objet.

Le dimanche, alors que tout ce joyeux petit monde s’apprête à quitter le camp, la répression, elle, ne s’arrête pas. De nouveau, des milliers de contrôles. Certains policiers eux-mêmes font part de leur agacement face à ces procédures inutiles. Faut-il confisquer cette gourde, cette conserve de ratatouille bio, cette bouteille de vin blanc naturel ? Rappelons qu’à la Rochelle, ils avaient été jusqu’à confisquer des serviettes hygiéniques, qui pouvaient soit disant servir de masques pour se protéger des lacrymo… Bien sûr, toutes les lunettes et les masques de protection sont confisqués comme d’habitude. On cherche à empêcher les personnes de se protéger des gaz lacrymogène, dont la dangerosité a pourtant été prouvée et dont la police se sert avec générosité. En fin de journée, les forces de l’ordre font irruption dans le camp, toujours escortées de l’indéfectible hélicoptère, manifestement à la recherche des affaires du pauvre Gilles R. Ils repartiront bredouille…

Un dispositif de répression démentiel

S’il est difficile de chiffrer de manière précise ce qu’a coûté le déploiement policier sur ces 3 jours, on estime que les seuls vols en hélicoptères, car il y en avait plusieurs, font monter la facture à près de 100.000 euros. À quelques jours de l’annonce d‘un budget d’austérité, on comprend que l’austérité ne concerne pas la répression. La région a été saturée de barrages policiers, près de 6.000 personnes contrôlées. Tout ça pour un rassemblement plus que bon enfant.

Le communiqué du collectif LGV non merci est clair. Il faut lutter “contre le mythe de la vitesse, la poursuite de la métropolisation et le sacro-saint développement économique”. “Ces projets d’un autre âge détruiraient des hectares de terres agricoles, de zones humides et de forêts, alors même que l‘artificialisation est responsable de la moitié de la perte de la biodiversité.” Cette semaine justement paraissait un rapport de Planète vivante : 73% des populations de vertébrés sauvages ont décliné depuis 1970.


La LGV, c’est pas fait.


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