Il y a quelques jours, le député de la France Insoumise Ugo Bernalicis déposait un projet de loi visant à limiter le délit d’apologie du terrorisme. Une proposition a provoqué des réactions outrancières du gouvernement et de l’extrême droite.
Le Ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a lâché : «C’est une grave faute morale». D’autres politiciens ont embrayé : «innommable», «ignoble». La macroniste Prisca Thévenot s’est enflammée : «Jean-Luc Melenchon et son groupe de députés rappellent qu’ils sont un mouvement à l’idéologie anti-France».
L’expression «anti-France» est une référence historique appartenant à l’extrême droite la plus radicale. Au début du XXème siècle, pour l’un des grands théoriciens raciste et royaliste Charles Maurras, «l’anti-France» ce sont «les quatre États confédérés» : « les protestants, les juifs, les métèques, les francs-maçons ». Pour l’antisémite Léon Daudet, «l’anti-France» c’est «l’espionnage juif-allemand» et les soutiens de Dreyfus. Sous le régime de Vichy, Pétain parle de «l’anti-France» pour désigner les Juifs, les communistes et les francs-maçons. Ce concept aura des conséquences concrètes : des rafles, de la torture et des déportations pour les groupes considérés comme étant de «l’anti-France». Reprendre le terme « anti-France » en 2024 contre la gauche est gravissime.
Mais revenons à cette histoire d’apologie du terrorisme. Combattre ce délit devrait être une évidence : «l’apologie du terrorisme» est utilisée depuis des années pour faire taire et réprimer les paroles contestataires ou minoritaires.
Par exemple, depuis un an, l’eurodéputée Rima Hassan, l’élue Insoumise Mathilde Panot, mais aussi le porte-parole du NPA Philippe Poutou ont été mis en cause pour «apologie du terrorisme». Leur faute ? Avoir défendu la Palestine.
De même, le responsable syndical CGT du nord, Jean-Paul Delescaut a été condamné à un an de prison avec sursis pour avoir diffusé un tract dénonçant Israël. De nombreux anonymes ont été inquiétés pour les mêmes raisons.
Mais ces procédures scandaleuses et liberticides ne datent pas d’hier. En 2015 déjà, un enfant de 8 ans avait été embarqué au commissariat pour «apologie du terrorisme». Sa faute ? Avoir déclaré «je ne suis pas Charlie». Oui, vous avez bien lu. Une graine de terroriste de huit ans.
Le 5 novembre 2020, une opération antiterroriste était lancée à l’aube dans un quartier HLM à Albertville. Quatre écoliers de 10 ans étaient mis en garde à vue, après que leur enseignant ait signalé des «propos inquiétants» suite à l’assassinat de Samuel Paty. Des mois plus tard, la justice n’a rien retenu contre les enfants et leurs familles qui ne «présentent le moindre signe de radicalisation» selon les autorités. À Marseille, un enfant de 11 ans a été embarqué pour n’avoir pas respecté une minute de silence. Même chose : apologie du terrorisme.
En réalité, la proposition de loi de la France Insoumise n’a rien de révolutionnaire : elle ne propose même pas la suppression du délit d’apologie du terrorisme, mais qu’il redevienne un délit de presse et non plus un délit de droit commun.
Le délit d’apologie du terrorisme n’existe que depuis 2006, et relevait auparavant simplement du droit de la presse, comme la diffamation et l’injure. Le risque, c’était d’avoir une amende. Mais pas d’être embarqué ni de subir de lourdes peines.
En 2014, c’est le PS, à l’initiative de Bernard Cazeneuve, qui choisi de durcir la loi pour en faire un délit de droit commun, beaucoup plus durement puni. Désormais, «l’apologie du terrorisme» expose à des peines de prison allant jusqu’à cinq ans, voire sept pour les publications en ligne, et des dizaines de milliers d’euros d’amende.
La prescription est passée de trois mois à trois ans. Les gardes à vue et les comparutions immédiates deviennent possibles. Et le fameux «terrorisme» n’est jamais clairement défini. La preuve : même des députés qui dénoncent le génocide à Gaza en font les frais. En fait, c’est une loi arbitraire qui permet d’arrêter facilement une personne pour ses propos. En somme : de terroriser.
En 2014, les écologistes, le PCF et même certains élus du Parti Socialiste s’opposent à ce durcissement. Toutes les associations de défense des droits et de la liberté d’expression, mais aussi l’ONU ou même Jacques Toubon dénoncent cette criminalisation de «l’apologie du terrorisme».
La France sera même condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour sa loi sur l’apologie du terrorisme. La justice européenne a jugée «disproportionnée» la condamnation du militant Jean-Marc Rouillan qui avait été poursuivi, lui aussi, pour «apologie du terrorisme».
Même le juge antiterroriste Marc Trevidic, qui avait contribué à la loi de 2014, est revenu en arrière, et appelle lui aussi à ce qu’elle redevienne un simple délit de presse. 10 ans après la loi de Bernard Cazeneuve, tout le monde voit bien qu’il s’agit d’un dispositif liberticide qui sert à criminaliser l’opposition politique. La proposition de la FI n’a donc rien de «scandaleuse» ni de bien originale…
Présentée comme «radicale» dans les médias, c’est une position tiède et timide. En fait, il faudrait en finir totalement avec ce délit, qui ne vise qu’à criminaliser les paroles dérangeantes. Il faudrait même aller beaucoup plus loin : réfléchir à ce que recouvre le mot «terroriste», désormais utilisé à toutes les sauces sans jamais être défini.
Mais aussi en finir avec les procédures dites «anti-terroristes», qui sont utilisées de plus en plus largement, notamment dernièrement contre des militants écologistes – rebaptisés «éco-terroristes» par les autorités – ou des militants anticapitalistes et internationalistes. Le prétexte «antiterroriste» permet d’utiliser une surveillance extrême, des moyens de répression militarisés et une justice d’exception contre des catégories de plus en plus vastes.
Pour finir, on notera que l’apologie du terrorisme israélien, la glorification d’un génocide en cours ou le soutien à des violences d’extrême droite ne sont, en revanche, jamais poursuivis, et sont même promus dans la sphère médiatique. Apologie du double standard.