Chroniques syriennes #04


Chaque semaine, une chronique rédigée par le collectif internationaliste franco-syrien Interstices-Fajawat, afin de mieux comprendre la situation complexe, mouvante et passionnante en Syrie suite à la chute de la dictature. Voici le quatrième épisode, ce 17 janvier 2025.


Un char de combat israélien en Syrie, illustration des tensions analysées dans cette nouvelle chronique syrienne.

On ne peut parler de la Syrie sans parler de la Palestine. À l’heure où Israël accepte à reculons un cessez-le-feu à Gaza, après avoir violé à de nombreuses reprises celui en vigueur au Liban, il semble que ses ambitions coloniales ont juste déplacé la ligne de front vers Jénine en Cisjordanie et Quneitra en Syrie, sur le plateau du Golan.

On évoquait dans nos dernières chroniques le silence complice du président intérimaire Syrien al-Sharaa, mais plutôt que de complicité, il semblerait plus juste de parler de «position non-hostile» vis-à-vis d’Israël : le gouvernement de transition et la société syrienne ne peuvent tout simplement pas assumer une nouvelle guerre avec Israël et ses alliés. Notamment après que l’État colonial eu détruit 80% du matériel militaire syrien dans sa campagne de bombardement massif – plus de 600 frappes – de sites militaires du pays dans les heures qui ont suivi la chute de Bachar al-Assad.

Menaces israéliennes et opposition populaire

Mais Israël ne semble pas vouloir s’arrêter là. Depuis la semaine dernière les tanks israéliens ont envahi sept nouveaux villages Syriens et, après s’être vanté de voler du matériel militaire en Syrie, Israël a bombardé pour la première fois un convoi des nouvelles autorités Syriennes, tuant deux personnels de sécurité de HTS et le mukhtar – maire – du village de Deir al-Bustan où ceux-ci étaient venus collecter les armes en circulation dans le cadre des opérations de démilitarisation du pays. Pour la première fois, le ministre des affaires étrangères de HTS a condamné les agressions israéliennes et appelé la communauté internationale à mettre un terme aux violations commises par Israël. Mais qui peut et qui va stopper Israël ?

Pendant ce temps, HTS a réuni les factions palestiniennes de Syrie – FPLP-CG, Fatah-Intifada, Al-Sa’iqa, Jerusalem Brigade, Free Palestine Movement et Palestine Democratic Movement – en présence du Hamas, pour négocier les conditions de leur reddition. HTS avait procédé à l’arrestation de plusieurs de leurs membres accusés d’avoir commis des crimes aux côtés du régime d’Assad, tandis que leurs principaux leaders se sont enfuis au Liban.

En parallèle, l’ambassade de Palestine à Damas ainsi que la plupart des organisations civiles et caritatives palestiniennes en Syrie, ont pu continuer ou reprendre leurs activités. À l’instant même où cette chronique est finalisée, une grande manifestation populaire et spontanée contre l’invasion israélienne et en solidarité avec Gaza est en cours à Damas, ce qui n’a jamais eu lieu en cinquante ans sous le régime d’Assad. Pour suivre l’actualité des Palestiniens de Syrie, consulter le site https://www.actionpal.org.uk/

Les troubles continuent

Concernant la situation sécuritaire de la Syrie sous contrôle de HTS, force est de constater que de nombreux crimes contre des civils sont commis, rendant impossible la distinction entre les actes de vengeance individuels, l’épuration des anciens éléments du régime d’Assad et la criminalité ordinaire, qui continue de se développer sur fond de crise économique sévère. On a notamment vu reprendre le trafic de drogue vers la Jordanie, qui a bombardé plusieurs maisons au sud de Suwayda le 15 janvier sous prétexte de cibler des trafiquants.

Le Commandement militaire du gouvernement de transition a lancé une nouvelle campagne d’arrestations dans la région de Homs, où par ailleurs six civils alaouites ont été exécutés et leurs maisons incendiées le 14 janvier par des individus non identifiés. Les violences et manifestations se poursuivent également dans la région côtière de Latakia, où la population accuse HTS de commettre des crimes contre des civils et demande l’expulsion des combattants étrangers, notamment ceux du Parti Islamique du Turkistan.

À Jableh le 14 janvier, un groupe armé pro-Assad a kidnappé sept membres de HTS et publié une vidéo menaçant de les exécuter, avant d’être intercepté et leurs otages libérés. HTS a également arrêté une figure locale, générant de nouvelles manifestations à Jableh ce vendredi. Enfin, HTS est accusé d’avoir perquisitionné avec violence les locaux de la «Maison du peuple» kurde de Zour Ava à Damas, mais sans qu’aucune arrestation ne soit déplorée.

La barbarie des mercenaires turcs

Le conflit entre les forces pro-Turques de l’ANS – la bien mal nommée « Armée Nationale Syrienne », pilotée par le régime d’Erdogan – et l’alliance kurdo-arabe des SDF-YPG se poursuit sans évolution notable au niveau du barrage de Tishrin entre Manbij et Kobane. Des nouvelles horrifiantes de crimes commis par les milices affiliées à l’ANS, et notamment les groupes Suleiman Shah («Al-Amshat») et Hamza Division («Al-Hamza»), continuent d’être transmises quotidiennement à l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (SOHR).

Entre autres crimes et larcins, ces groupes sont accusés de vols et pillages, ainsi que de kidnappings avec demande de rançon dans les régions d’Afrin, Alep et Manbij, pour des sommes allant de 850 à 2000$ par otage. Le groupe Suleiman Shah est également responsable du recrutement de centaines de combattants envoyés au Niger, en Libye et au Haut-Karabakh pour défendre les intérêts de la Turquie en échange d’une paie mensuelle misérable de 1500 livres turques.

Une liberté fragile

Sur le plan politique le processus de transition se poursuit lentement, avec des signes toujours aussi contradictoires. Si la liberté d’expression et de réunion est bien réelle, de nombreuses manifestations publiques pouvant se faire sans entraves, tous les sens des Syriens restent en alerte. Des affiches prônant la ségrégation Hommes/Femmes et condamnant le blasphème ont par exemple été collées dans les transports à Homs et Damas, tandis qu’un acteur célèbre, Abdel Men’am Amayri, a été accusé de blasphème et violemment frappé dans la rue par des hommes de HTS.

Si ces éléments ne suffisent pas pour tirer des conclusions hâtives sur l’évolution à venir de la société syrienne, ce sont cependant des signaux que l’ensemble des Syriens devraient juger assez sérieux pour garder Al-Sharaa et HTS bien à l’œil au cours de la période cruciale de trois mois qui s’ouvre avant l’ouverture de la conférence nationale pour la transition.

Dans une interview, Al-Sharaa a notamment prononcé des mots qui ne sont pas du meilleur augure, affirmant que pour HTS la révolution était accomplie et que «un état d’esprit révolutionnaire peut renverser un régime mais ne peut pas construire un État», trahissant sa volonté de garder la pleine maîtrise de la transformation politique du pays, sans forcément laisser le pluralisme gêner ses ambitions.


La révolution syrienne de 2011 semble faire partie pour lui d’un passé frivole qu’il s’agit maintenant de laisser derrière soi, lui qui n’a jamais participé aux manifestations syriennes de l’époque, trop occupé à combattre pour l’État islamique en Irak…


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