Germaine Berton : anarchiste, antimilitariste et tueuse de fasciste


Histoire : «Je dis qu’il faut être bien indifférent pour ne pas se révolter, ou bien lâche»


Germaine Berton a le sourire dans son manteau de laine : elle a tué un fasciste.

Nous sommes le 22 janvier 1923. Germaine Berton, jeune anarchiste de 21 ans, entre dans les locaux de l’Action française, journal d’extrême-droite, royaliste et antisémite, appartenant à l’organisation du même nom. Depuis plusieurs jours, elle tente de rencontrer Léon Daudet, son cofondateur, mais doit se résigner à changer de cible devant l’impossibilité de l’approcher.

C’est sur Marius Plateau que son choix se porte. Il est le chef des Camelots du Roi – la milice violente de l’Action française – et secrétaire de rédaction du journal. Elle se fait passer pour une anarchiste repentie qui a des informations à livrer, il la reçoit dans son bureau. Germaine sort son arme, tire à 4 reprises, avant de retourner l’arme contre elle. Elle manque son suicide et est arrêtée par la police. Une femme qui commet un assassinat politique : c’est du jamais vu depuis Charlotte Corday qui avait tué Marat pendant la Révolution française !

Une enfance révoltée

Germaine est née le 7 juin 1902 à Puteaux, elle est la fille d’un mécanicien républicain et d’une institutrice. Précoce dans la révolte, elle rejoue la décapitation de Louis XVI dans la cour de récréation avec ses camarades. Avec son père, elle construit sa culture politique. Enfant, elle assiste à des meetings de Jean Jaurès, qui laisseront une marque indélébile : lors de son arrestation, elle évoquera la mort du leader socialiste, tué par un militant d’extrême droite, comme motif de sa vengeance.

C’est la boucherie de la première guerre mondiale qui fait d’elle une antimilitariste convaincue, en voyant les régiments partir de Tours, où sa famille a déménagé, et ne jamais revenir. «La France, cette marâtre ignoble qui envoie ses fils crever sur les champs de carnage, est à l’heure actuelle le pays le plus militarisé du monde entier. La République, cette salope au mufle barbouillé de sang pourri craint que les Français n’entendent les clameurs révolutionnaires du peuple russe. Ouvrier, refuse de travailler pour la guerre !» écrira-t-elle dans le journal communiste «Le Réveil» en 1921.

L’engagement anarchiste

Elle fait les Beaux-Arts mais abandonne l’école à la mort de son père pour devenir ouvrière métallurgique dès 16 ans, et participe à la constitution du syndicat des Métaux à Tours. Surnommée “la vierge noire » par son patron, elle est renvoyée de l’usine de Saint-Pierre des Corps pour son activisme syndical. Secrétaire du comité syndical révolutionnaire de Tours, elle fait un bref passage chez les communistes, avant de se tourner résolument et définitivement vers l’anarchisme. Elle finit par monter à Paris en 1921, et se rapproche de l’Union anarchiste.

La même année, elle effectue son premier séjour en prison : 3 mois pour avoir giflé le secrétaire d’un commissaire de police. Ce n’est que le premier d’une série d’affrontements avec les forces de l’ordre : elle fait le récit de l’un d’eux dans une lettre à un ami en 1922. «Bagarre. Un agent est par terre, nous nous précipitons. Avec ma ceinture de cuir nouée deux fois, je vise les deux yeux». Elle récolte des fonds pour publier une revue, «De l’acte individuel à l’acte collectif» où elle promeut l’action directe.

En juillet 1922, elle participe à la manifestation pour l’amnistie des marins de la Mer Noire – ces matelots qui se mutinèrent et refusèrent d’attaquer leurs camarades révolutionnaires russes à Odessa en 1919. En effet, si les livres d’Histoire retiennent 1918 comme la date de la fin de la première guerre mondiale, c’est oublier qu’en Russie, la France a activement soutenu l’armée blanche tsaristes contre les rouges jusque dans les années 20. En 1922, deux millions de Français sont encore sous les drapeaux.

Quelques semaines plus tard, elle écope de quinze jours de prison pour port d’arme prohibée. Germaine n’est pas exempte des difficultés des femmes de l’époque : elle connaît un avortement difficile qui affecte sa santé déjà fragile, elle a la tuberculose. Mais chez elle, il n’y a que la santé qui est fragile. Dans son esprit, un projet prend forme. Il faut aller plus loin, abattre les fascistes.

L’attaque de l’Action Française

Elle a compris le danger que représente l’Action française, à la fois sur le terrain des idées que dans la rue, pour la montée du fascisme en France au moment où déjà il triomphe en Italie. Il faut s’imaginer la France de 1923 : une société brutalisée par la guerre, pétrie de nationalisme, avec des affrontements violents entre les communistes, les anarchistes, et l’extrême-droite, dont l’Action française est le porte-drapeau. Dans son journal tiré à 100.000 exemplaires, on trouve régulièrement des diatribes antisémites d’une violence inouïe et des appels à tuer les personnalités de gauche.

En outre, le bloc national de Raymond Poincaré au pouvoir réprime violemment les mouvements sociaux, de peur de voir la «terreur rouge» s’implanter en France. Germaine a choisi, ce sera Léon Daudet, «l’ennemi le plus acharné de la classe ouvrière» selon elle. Nous voilà rendu au 22 janvier 1923. Elle prévoit de l’abattre à l’église Saint-Germain l’Auxerrois : «Je pensais que ces même cloches qui sonnèrent les massacres de la St Barthélemy, sonneraient aussi le glas du royaliste». Il ne vient pas, elle envisage de tuer Charles Maurras, chef du mouvement d’extrême droite «déjà en le suivant j’avais mon Browning». Mais il est escorté par des Camelots du Roi. Elle décide alors d’aller abattre Marius Plateau.

Un procès politique qui fait couler beaucoup d’encre

La mort de Marius Plateau excite les fascistes, qui s’en prennent aux locaux de journaux anarchistes et tentent d’attaquer le siège de l’Humanité. À l’Action Française, ils fustigent la «main germano-bolchévique» qui a tué Plateau.

Du côté de la gauche, le soutien se fait d’abord timide. Puis il devient vite massif, des politiques aux syndicalistes en passant par les journalistes et les écrivains et écrivaines. Communistes, socialistes, anarchistes, personne ne manque à l’appel. «Germaine Berton, nous l’aimons bien fort parce que son geste est la seule réponse logique que l’on puisse faire aux rugissements de haine des chacals de la réaction» déclare Le Libertaire.

Les écrivains surréalistes glorifient son geste, saluent l’héroïne. «À Germaine Berton, qui a fait ce que nous n’avons su faire» : voilà les mots qui accompagnent les fleurs déposés par André Breton, Louis Aragon et Max Morise, la fine fleur des écrivains surréalistes de l’époque, à la tueuse anarchiste.

Germaine Berton revendique fièrement son acte, bien qu’elle ait reconnu : «Ce n’est pas rien de tuer un homme… Je ne suis pas insensible et il m’a fallu vaincre de grandes répugnances avant de tuer un être humain, fut-il mon ennemi. Pourtant je ne regrette en rien l’acte que j’ai commis et ma conscience n’a pas de remords. Car en abattant le chef des Camelots du roi, je n’ai obéi qu’à mon cœur déchiré par les souffrances de tous les prolétaires, malheureux, parias traqués et asservis».

Sa motivation est plurielle. D’abord, venger Jean Jaurès, victime de campagnes diffamatoires et d’appels à le tuer publiés par l’Action Française avant 1914, et abattu par Raoul Villain, lecteur assidu, qui sera acquitté pour son crime. Elle veut aussi dénoncer l’occupation militaire de la Ruhr en Allemagne, soutenue par le journal, et lancée récemment par la France pour continuer à faire payer son voisin déjà mis à genou par les réparations de guerre. Il s’agit également de venger Miguel Almereyda, journaliste anarchiste mort à la prison de Fresne quelques années plus tôt, où il était enfermé suite à une campagne du journal. Et enfin, tout simplement, lutter contre le fascisme.

Son avocat, le célèbre Henry Torres, fait appeler à la barre des témoins un florilège de célébrités : Suzanne Lévy, Léon Blum, Marcel Cachin. Il évoque le climat politique, l’exemple italien, la radicalisation de ces groupes d’extrême droite comme l’Action Française.

Au delà de la dimension de l’assassinat politique, Germaine est une femme qui a tué un homme. Il faut s’imaginer ce que cela représente en 1923. Elle est ramenée à sa condition de femme par ses détracteurs, on fustige son immoralité, ses amants et amantes, son refus de travailler, ses avortements. Elle porte une coupe à la garçonne ! Et une cravate ! En choisissant la violence politique, elle trahit la féminité. Germaine a choisi d’être libre, et c’est ça qu’on ne peut pas lui pardonner.

Le 24 décembre 1923, elle est finalement acquittée. Le tribunal est surtout terrorisé à l’idée de faire de la militante une martyre anarchiste, tout comme il avait refusé de condamner Louise Michel trente ans plus tôt. Après sa libération, elle reprend le militantisme, refait quelques passages en prison. Mais elle tombe vite dans l’oubli.

«Je ne crains pas la mort, je la défie !». Germaine se suicide en 1942, quatre jours après la mort de Léon Daudet, celui qu’elle voulait tant tuer.

Alors que les marchands de mort préparent les esprits à la guerre et nous amènent de nouveau au bord du précipice – guerre en Ukraine, guerre génocidaire à Gaza, déclarations belliqueuses de Trump et de Macron, guerre au Congo, SNU… La mémoire de Germaine Berton permet de faire perdurer la flamme de l’antimilitarisme, toujours nécessaire.

AIDEZ CONTRE ATTAQUE

Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.

Faites un don à Contre Attaque, chaque euro compte.

Une réflexion au sujet de « Germaine Berton : anarchiste, antimilitariste et tueuse de fasciste »

  1. Le Facsisme c’est la violence physique, la haine et l’asservissement et aujourd’hui il fait son grand retour dans le monde et en France dans nos villes, nos quartiers et nos campagnes. Dans de très nombreuses villes en France le développement de l’action française et autres groupuscules de Nazillons est très inquiétant, mais cette violence est aussi produite par le milliardaire Pierre Édouard Sterin et son plan PERICLES et par son ami Bolloré et autres facsistes de grands bourgeois. Le régime capitalo facsiste dirigé par la classe dominante à fait plus de 3 millions morts avec la guerre 14-18 et plus de 1 millions en 39-45 rien qu’en France, alors je ne peux qu’approuver l’anti militarisme, les valeurs anarchistes et la légitime tueuse de facsiste qu’à été cette grande dame Germaine Breton

Laisser un commentaire