La lutte contre la corruption et l’autoritarisme va-t-elle renverser le gouvernement ?

«Ma décision irrévocable est de démissionner du poste de premier ministre» : ce sont les mots de Milos Vucevic, mardi 28 janvier. L’homme fort du gouvernement, bras droit du président, a été poussé vers la sortie par la mobilisation massive et sans précédent de dizaines de milliers de serbes.
Tout a commencé le 1er novembre dernier. Ce soir là, à Novi Sad, la deuxième plus grande ville du pays, un auvent en béton devant la gare s’effondre sur les personnes qui se trouvaient en dessous. 15 personnes sont tuées. Pourtant, officiellement, les autorités venaient de faire rénover la gare par des entreprises chinoise, française et hongroise.
Ce drame déclenche une vague de colère qui couvait depuis longtemps contre la corruption des dirigeants. Le Premier Ministre, Milos Vucecic, était justement maire de la ville jusqu’en 2022, et c’est sous son mandat qu’avaient commencé les travaux de rénovation de la gare qui ont, a minima, été très mal réalisés.
À la tête du pays depuis plus de 10 ans : le Parti progressiste serbe, qui n’a de progressiste que le nom. Il s’agit d’un grand parti de droite, autoritaire et corrompu. Il a été fondé par des ultra-nationalistes, dont certains sont accusés de crimes durant la guerre en ex-Yougoslavie. Le président actuel, Aleksandar Vučić, avait déclaré en 1995 : « Si vous tuez un Serbe, nous allons (tuer) cent musulmans ». C’était quelques jours après le massacre de Srebrenica, où 8.000 musulman-es avaient été massacré-es par les forces serbes bosniennes.
Aleksandar Vučić a été réélu président en 2022, dès le premier tour, sur fond de fraudes électorales et de pratiques clientélistes. Le parti au pouvoir est également accusé de liens avec la mafia, et ses méthodes ont tout du banditisme. Par exemple, en 2021, dans le nord-ouest de la Serbie, des milliers d’habitant-es s’étaient mobilisé-es contre un projet minier qui menaçait 22 villages. Le régime avait envoyé des hooligans d’extrême droite, armés de bâtons et de marteaux, pour attaquer les manifestant-es, l’un d’eux fonçant même dans la foule au volant d’une pelleteuse. Ces techniques de terreur n’avaient pas fonctionné, et le projet minier avait été abandonné.
Le Parti progressiste serbe fait face à des mobilisations régulières, en 2018, 2020 et 2023. Ainsi, en 2023, le président avait organisé une dissolution du Parlement puis convoqué des élections législatives anticipées, qui lui avaient permis de consolider son pouvoir. Toute ressemblance avec la dissolution ratée de Macron l’an dernier est fortuite.
Revenons au mois de novembre 2024. La protestation suite à la mort des 15 personnes devant la gare de Novi Sad s’est répandue à toute la Serbie. Les manifestations ont été massives, réunissant plus de 50.000 personnes dans la capitale, ce qui est énorme dans un pays 10 fois moins peuplé que la France. Les étudiant-es se sont fortement mobilisé-es et ont bloqué leurs universités, avec comme symbole une main rouge.
Les revendications se sont étendues : au-delà d’un exigence de transparence et de vérité sur la rénovation de la gare où a eu lieu le drame, le mouvement exige l’arrestation des personnes soupçonnées d’avoir physiquement attaqué les étudiant-es et les professeurs depuis le début des manifestations, l’abandon des poursuites contre les étudiant-es arrêté-es, et une hausse de 20 % du budget de l’enseignement supérieur.

En effet, la répression a été forte : en plus des opérations policières classiques, les cortèges ont été victimes d’attaques de véhicules. Des automobilistes ont renversé volontairement plusieurs manifestant-es. À Novi Sad une jeune femme a été blessée lors d’une agression commise par des militants du parti au pouvoir. Et pour couronner le tout, les autorités ont diffusé dans les médias des diffamations, selon lesquelles les étudiant-es étaient «payé-es» par des pays étrangers pour manifester. Le bon vieux complotisme, comme lorsque les macronistes accusaient les Gilets Jaunes d’être financés par la Russie.
Ces derniers jours, la situation s’est accélérée. Le 27 janvier, le mouvement a bloqué pour vingt-quatre heures un important nœud routier de Belgrade. Des dizaines d’agriculteurs sont arrivés en renfort pour protéger les étudiant-es en garant leurs tracteurs autour du rassemblement. Le blocage a aussi été protégé par des clubs de motards serbes.

Le même jour, plus d’une dizaine de responsables ont été inculpées dans le cadre de l’enquête sur la gare de Novi Sad, dont l’ancien ministre des transports, Goran Vesic. Le 28 janvier 2025 donc, le Premier Ministre serbe démissionnait.
Pourquoi un mouvement aussi puissant en Europe est-il si peu connu ? Pourquoi les médias français en parlent aussi peu ? Car le régime corrompu et réactionnaire de Belgrade est européiste, il est considéré comme étant dans le camp des gentils de la géopolitique mondiale. Il n’est donc pas dénoncé comme l’a été dernièrement, à juste titre, celui qui gouverne en Géorgie et qui est pro-Russe.
Le départ de Milos Vucevic risque d’entraîner à nouveau, des élections législatives anticipées. La Serbie, en plein soulèvement, entre dans une zone d’incertitude et d’espoirs.
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