La police s’affiche toujours et encore dans la presse locale : Contre Attaque vous propose une série d’articles pour mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière le journalisme de préfecture. Après l’analyse de reportages policiers récents, le deuxième épisode de notre série s’intéresse aux « journalistes » derrière la propagande : trois profils différents de chiens de garde.

On oublie parfois que derrière l’information, il y a des gens. Derrière la propagande se trouvent des personnes avec leurs propres intérêts, leurs idées, leur passé. On se souvient par exemple d’une journaliste de Ouest-France qui avait mal digéré qu’on dévoile son travail idéologique en 2016, après qu’elle ait publié un article diffamatoire sur Nantes Révoltée. Cette fois, ce sont trois personnes différentes qui participent à la propagande policière.
Émilie Plantard, la communicante
Le premier reportage sur la CRS 82 a été commis par Émilie Plantard, journaliste à Presse Océan passée par TF1 et M6 pour Bouygues, ainsi que par Hit West et TéléNantes du groupe Ouest-France. Moins que sa carrière évoluant dans des rédactions généralistes privées, ce qui interpelle sur son profil LinkedIn, c’est sa formation. Les études d’Émilie tournent davantage autour de la communication que du journalisme, auquel elle se forme en un an dans une école privée vendéenne aujourd’hui disparue. Autant dire qu’Émilie emprunte la dernière roue du carrosse des écoles de journalisme.
Ce qu’on demande à ce genre d’employée des rédactions, ce n’est de toute façon pas de faire du journalisme : c’est d’offrir une communication aux organismes qui en ont besoin. La CRS 82 a besoin de se refaire une image auprès de la population ? On a plus besoin d’une « community manageuse » que d’une réelle investigatrice qui pondérerait ses propos et multiplierait les sources et les points de vue, offrant un regard critique à l’information.
Finalement, Émilie ne fait pas un travail très différent des agences comme Avisa Partners, qui n’hésite pas à faire passer des commandes de clients influents pour de vrais articles d’information dans divers médias ou blogs. La firme Avisa Partners, dont la macroniste Olivia Grégoire a été directrice associée, n’est rien de plus qu’une société de conseil qui avait été épinglée par le journal Fakir pour ses manipulations grossières de l’information. La presse régionale ne fait pourtant souvent rien d’autre en embauchant des profils comme celui-ci en tant que journaliste, alors qu’il s’agit en réalité d’une publicitaire.
Thibaud Grasland, le chien de garde de la maison
Le deuxième article sur la CRS 82 provient de Thibaud Grasland, un pur produit de la rédaction Ouest-France puisque c’est le seul média pour qui il ait travaillé, et même celui qui l’a formé. Passé par un contrat de professionnalisation, Thibaud bénéficie très probablement d’un sacré piston. Cela fait en effet 15 ans que ce jeune rédacteur gravite dans les couloirs du quotidien régional le plus lu de France. Vu la capacité de Ouest-France à pressurer ses pigistes et à évincer tous les journalistes qui critiquent un peu trop les méthodes ou le manque de déontologie du journal, Thibaud doit être obéissant pour y rester aussi longtemps.
Cette servilité s’explique par un phénomène simple : la presse quotidienne régionale (ou PQR) est spécialisée dans des infos locales. En effet, si Ouest-France continue aujourd’hui à être le quotidien régional papier le plus vendu de France, c’est parce que les gens l’achètent car il leur parle d’eux. Les pages régionales et locales font ainsi la spécificité des journaux de la PQR, que le groupe Ouest-France rachète les uns après les autres (Presse Océan, Le Courrier de l’Ouest, la radio Hit West ou encore le site MaVille.com).
Pour avoir des infos fraîches et locales, Thibaud Grasland a besoin de les recevoir. Et qui distribue les infos les plus fraîches de votre commune ? Les pouvoirs locaux ! Mairies, commissariats, gendarmeries ou associations sont les premiers fournisseurs d’infos des correspondants de presse. Comment savoir, sinon, que la rue Aristide-Briand sera fermée à la circulation le 4 mars à Mayenne ? Comment avoir la dernière liste des personnes gardées à vue, et une petite anecdote au passage ? Comme un bon toutou qui ne mord pas la main qui le nourrit, un « fait-diversier » est donc obligé d’être complaisant avec la police, dont le point de vue s’étale sans contradiction dans ses nombreux articles. Car critiquer la police, ce serait compliquer son métier en se coupant de sa principale source d’informations.
Anaïs Denet, l’idéologue
Plus intéressant, l’article sur la brigade canine présentée comme « rassurante » dans le centre-ville de Nantes est rédigé par Anaïs Denet. Cette dernière est issue d’un cursus plus sélectif : prépa puis licence à l’Institut de Sciences Politiques de Lille et enfin Master avec l’École Supérieure de Journalisme de Lille. Anaïs est rapidement embauchée comme correspondante pour RMC puis BFM dans la région nantaise. C’est elle qui couvrira pour BFM l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, en 2018. Une expérience qu’elle raconte dans un livre paru l’année dernière : « ZAD – Une histoire de la violence ».
À l’occasion de la sortie de son livre, elle est reçue par TéléNantes dans une vidéo intitulée « NDDL : l’évacuation de la ZAD vécue de l’intérieur ». Interviewée par un collègue donc, puisqu’elle travaille désormais pour Presse Océan, qui appartient au groupe Ouest-France, actionnaire principal de TéléNantes. Elle y raconte son vécu, son rapport à la violence et comment elle a organisé des témoignages pour raconter cette évacuation « de l’intérieur ».
La notion d’intérieur a pourtant un sens tout relatif, puisque sur les huit témoignages du livre, seuls trois sont évoqués : le sien, d’abord, comme reporter extérieure à la lutte. Celui d’Anthony, gendarme conducteur de « char d’assaut » (sic) qui a « failli mourir » car il s’est retrouvé « piégé dans un char d’assaut qui ne s’ouvre plus et où la température monte à 90°C à l’intérieur ». Anthony est soit un fantôme, car ses organes ont fondu, soit un miraculé, soit un gros mytho… Troisième personnage : rien moins que la préfète Nicole Klein. La représentante de l’autorité de l’État à l’époque, qui a déployé près de 2.000 militaires sur la zone. Selon la journaliste, cette préfète « n’a jamais rêvé de raser la ZAD ». C’est pourtant ce qu’elle a essayé de faire avec acharnement pendant deux mois de violences, blessant des centaines de personnes et ravageant la zone avec une armée de flics à ses ordres.
Anaïs Denet semble bien, ici, dans une autre posture que ses deux collègues évoqués précédemment. Ce n’est pas un simple relais du pouvoir, c’est une idéologue qui fait preuve de réflexion sur sa propre pratique du journalisme. Son article sur la brigade canine est d’autant plus grave : les éléments de langage y sont choisis. Anaïs sait qu’elle brode un reportage sur du vide, que les policiers municipaux ce soir là n’ont utilisé leur chien que comme une arme d’intimidation. Mais elle devait faire un reportage sur la brigade canine, il faut donc bien écrire quelque chose.
Lorsqu’un article de presse ne propose pas d’information valant la peine d’être racontée, pas de point de vue qui mette en perspective le discours des policiers, alors il ne s’agit pas d’un article de presse, mais de propagande. Ce terme vous paraît fort ? Il est pourtant totalement adapté. On en trouve par exemple une définition simple sur Wikipédia : la propagande « se caractérise par une manipulation mentale qui mélange sciemment l’information et l’opinion, afin d’éliminer le pluralisme des points de vue et d’empêcher l’exercice de l’esprit critique ».
Prochain épisode : c’est quoi, la contre-insurrection ?
AIDEZ CONTRE ATTAQUE
Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.
Faites un don à Contre Attaque, chaque euro compte.