Wikipédia : l’extrême centre s’attaque au réel

Les portraits de quelques puissants partis en guerre contre Wikipédia : des gens qui ont des choses à cacher ?

En France, l’écrasante majorité des médias sont possédés par les milliardaires, et les médias publics ne valent guère mieux puisqu’ils sont contrôlés par le pouvoir en place. Toutes les études démontrent une surreprésentation de l’extrême droite à l’écran. La liberté de la presse perd du terrain et des journalistes sont arrêtés pour leurs enquêtes.

Tout cela n’inquiète pas le camp du pouvoir, de la raison et du «Charlisme». Non, pour toute une bande d’éditocrates macronistes qui squattent les médias, le vrai danger, c’est Wikipédia. Oui, nous en sommes là. Une campagne a été lancée contre l’encyclopédie en ligne par l’hebdomadaire de droite Le Point, possédé par le milliardaire François Pinault. Cette revue proche du pouvoir, toujours prête à courtiser les puissants et largement subventionnée par l’argent public, est en croisade contre Wikipédia.

Le Point a d’abord lancé une campagne d’intimidation le 15 février, en menaçant de divulguer l’identité et la profession d’un contributeur du site. La plateforme encyclopédique a répondu en soulignant «l’importance du respect du pseudonymat des bénévoles de Wikipédia». Le 20 février, Le Point publiait une «tribune» réunissant une vaste bande de macronistes, de réactionnaires, de sionistes et de membres du Printemps Républicain intitulée : «Halte aux campagnes de désinformation et de dénigrement menées sur Wikipédia».

Parmi les signataires, on trouve la médiatique mythomane Caroline Fourest qui faisait une hiérarchie entre la vie des enfants palestiniens et israéliens en 2023. Il y a aussi le fossoyeur de Charlie Hebdo, désormais proche de l’extrême droite, Philippe Val. Ou encore l’ancien Ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer et l’influenceur ultra-libéral Olivier Babeau. On trouve aussi le propagandiste Raphaël Enthoven, obsédé par sa haine de la France Insoumise, l’ancien ministre Éric Dupond-Moretti ou Bernard Henri Lévy, qu’on ne présente plus… Du beau monde. En lisant cette tribune lunaire, on comprend entre les lignes que ces gens sont avant-tout mécontents des éléments, pourtant sourcés et recoupés, qui figurent sur leurs pages Wikipédia respectives.

L’extrême centre français est ainsi en parfaite symbiose avec l’extrême droite américaine. En effet, avant eux, Elon Musk a lancé une série d’attaques contre l’encyclopédie. Il l’accuse de faire de la «propagande de gauche», de diffuser le «wokisme» et réclame qu’on «coupe les financements» du site.

Le 21 janvier dernier, Elon Musk publiait une série de messages rageux contre Wikipédia sur son réseau social. En effet, sur la page qui le concerne, on pouvait lire que le milliardaire a «tendu à deux reprises son bras vers le haut en direction de la foule», un «geste comparé à un salut nazi ou fasciste». Notez que Wikipédia reste très mesurée et prudente. Mais ces quelques mots ont quand même mis en colère Elon Musk. En décembre 2024, toujours sur son réseau social, il appelait déjà ses abonnés à ne pas donner d’argent à l’encyclopédie, qu’il qualifiait de «Wokepedia». Et, hasard du calendrier, Le Point consacrait justement sa Une à Elon Musk en janvier, le qualifiant «d’extravagant».

Wikipédia est née 2001, au début de l’explosion d’internet. C’est l’un des sites les plus consultés au monde. Rien qu’en France, il totalise 20 millions de visites mensuelles. C’est aussi un espace de connaissance ouvert, participatif et non marchand, ce qui est rare sur la toile. Son fonctionnement permet que chaque article soit recoupé, amélioré, sourcé en permanence, ce qui en améliore la fiabilité par un contrôle collectif de l’information. Du reste, sa gestion est plus transparente que tous les réseaux sociaux privés : chaque page permet de voir l’historique des modifications. Il y a même un espace pour en débattre. Autant dire que comparé aux algorithmes obscurs de Mark Zuckerberg ou d’Elon Musk, Wikipédia est un modèle de vertu et d’objectivité.

D’ailleurs, plusieurs études prouvent que les réseaux sociaux marchands penchent clairement à droite et à l’extrême droite. Sur X, l’algorithme favorise les publications racistes, misogynes et pro-Trump, notamment dans la catégorie des publications «recommandées», qui sont très largement diffusées en dehors de leurs cercles d’abonnés, alors que les publications de gauche restent en vase clos.

L‘ONG Global Witness a ainsi montré qu’en Allemagne «78% du contenu politique recommandé algorithmiquement par TikTok aux comptes testés, et provenant de comptes que les utilisateurs ne suivaient pas, soutenait le parti AfD. (…) Sur X, Global Witness a constaté que 64% des contenus politiques recommandés soutenaient l’AfD». Et tout le monde a pu constater la même chose en France, avec les vidéos de Bardella très largement mises en avant sur Tiktok. Nous sommes donc saturés d’extrême droite à la télévision, mais aussi sur les plateformes privées.

Il y a bien un énorme problème de neutralité dans l’accès à l’information sur internet. Et il ne se trouve certainement pas chez Wikipédia, mais du côté des réseaux sociaux privés. Et ce problème n’est pas un penchant «wokiste» imaginaire, mais fasciste.

Revenons en France. Philippe Val, signataire de la tribune contre Wikipédia dans Le Point, ose affirmer dans une interview surréaliste : «Wikipédia me fait apparaître comme un réac, islamophobe et ayant renié ses idéaux. Ma fiche est moins objective que celle d’Hitler». Philippe Val n’assume pas que ses déclarations publiques, filmées et archivées, où il se déclare islamophobe par exemple, soient évoquées dans sa biographie.

En fait, le problème de Philippe Val et de ses amis, c’est que tout le monde puisse avoir accès à une information relativement complète et neutre. Philippe Val a commencé dans les cercles gauchistes à l’époque où c’était confortable, dans l’après Mai 68. Puis il a transformé Charlie Hebdo en journal réac’ avant de recevoir une promotion par Sarkozy, qui l’a nommé à la tête de France Inter, où il a fait le ménage. Et aujourd’hui, Philippe Val flotte dans le marécage d’extrême droite et intervient dans les médias de Bolloré. Une vie entière dans le sens du vent et au service des puissants.

Bref : ce qui embête profondément Philippe Val, c’est que son parcours toxique puisse être consulté en quelques clics. Dans ce même article du Point, Val estime que Wikipédia est un «tribunal populaire» et réclame «l’interdiction des fiches sur les personnes vivantes sans leur consentement». Tout simplement.

Raphaël Enthoven qualifie quant à lui les contributeurs Wikipédia «d’ordures et de salauds qui s’ennuient». Il n’a pas dû apprécier que sa page mentionne, sources à l’appui : «Il déclare avoir fait croire à ses partenaires féminines qu’il était stérile pour ne pas avoir à utiliser de préservatif». Un chic type.

Parmi les signataires de la tribune anti-Wikipédia, on trouve le même genre de profils : Daniel Cohn-Bendit, passé de l’anarchisme au macronisme hardcore, qui n’a pas non plus l’air d’apprécier qu’on puisse connaître ses petits retournements de veste, de même que Nathalie Loiseau, qui a milité chez les nazis du GUD avant d’atterrir chez Macron.

Derrière cette opération anti-Wikipédia, on trouve la journaliste du Point Géraldine Woessner. Il faut dire qu’en matière de désinformation, Géraldine s’y connaît. Elle passe souvent dans les médias de masse pour défendre les pesticides et le lobby de l’agro-industrie, avec qui elle partage des intérêts communs.

En novembre dernier, elle osait déclarer sur France 5 : «Ce qui nous frappe, c’est l’évolution de l’antisémitisme depuis le 7 octobre […] Dans l’histoire on a deux types d’évolutions : l’antisémitisme qui existait dans les années 30 ou 40 était un antisémitisme honteux. L’Allemagne a caché ce qu’elle faisait aux juifs. Aujourd’hui on a un antisémitisme qui ne se cache plus. Il est revendiqué. […] Aujourd’hui, la parole publique anti-juive, à la tête des partis, c’est quand même LFI qui la porte». Un propos diffamatoire à l’égard de LFI mais aussi purement révisionniste, quand on connaît un minimum l’histoire des années 1920 et 1930, et la propagande réellement antisémite et les actes violents assumés par les extrême droites européennes. Géraldine aimerait pouvoir sortir ce genre de propos sans contradiction, et sans que la population ne puisse constater qu’elle ment en allant sur Wikipédia.

Le pire, c’est qu’on pourrait effectivement dénoncer des biais chez Wikipédia. Il arrive que des militants d’extrême droite tentent de modifier les informations sur l’encyclopédie en ligne. Lors de la présidentielle de 2022, un internaute pro-Zemmour avait réalisé 170.000 modifications d’articles avant d’être banni pour avoir violé les règles de la plateforme pour promouvoir des idées fascistes. En 2021, l’équipe de Marlène Schiappa avait modifié plusieurs dizaines de fois la page consacrée à la ministre, pour en dresser un portrait élogieux.

Jeanne Vermeirsche, doctorante à l’université d’Avignon, qui termine une thèse sur les contributeurs politiques du Wikipédia francophone, explique à Libération : «Il y a des biais sur l’encyclopédie, et ils sont bien connus : un biais de genre, notamment, avec une très grande majorité d’hommes parmi les contributeurs, et une surreprésentation assez spectaculaire des populations très fortement diplômées, enseignants, journalistes, informaticiens». Par ailleurs, la communauté vote avec constance, et à 60% à 70% des voix, contre l’utilisation de l’écriture inclusive. On est donc loin d’une communauté «woke», contrairement à ce qu’affirme la clique du Point.

En réalité, Elon Musk comme la galaxie de macronistes et de réacs français détestent l’information indépendante. Ils ne supportent pas de ne pas être les seuls à pouvoir diffuser leur récit, à pouvoir dire ce qui est vrai ou faux, ce qui doit être montré ou dissimulé.

L’accès à l’information est de plus en plus verrouillée par les médias mainstream et les plateformes comme X ou Meta. Wikipédia est l’un des derniers espaces massivement consultés qui donne accès à un panel d’informations synthétique et presque illimité. Pour ces gens, tout canal d’information qu’ils ne contrôlent pas est dangereux. Ce sont des fascistes en puissance.


Pour aller plus loin, une analyse sur le blog Affordance.info

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