En marche vers une contre-révolution réactionnaire et misogyne

Fin février, Donald Trump faisait pression sur le gouvernement roumain pour exiger la liberté de circulation pour Andrew Tate et son frère, alors retenus dans le pays avant d’être jugés. Le dirigeant de la première puissance mondiale intervenait personnellement pour éviter un procès à l’influenceur néonazi, figure de proue du masculinisme, accusé de viols et trafic d’être humain. Un fait révélateur de la dimension politique qu’a pris le masculinisme dans la société, et à quel point le “boys club” se protège.
Qui est Andrew Tate ?
Surnommé “Le Cobra” ou “Top G”, Andrew Tate est un anglo-américain de 38 ans. Vivant depuis 2017 en Roumanie, lui et son frère se sont créés une légende telle qu’en raffole le capitalisme : des businessmen partis de rien. Ils répètent à l’envie que, lorsqu’ils étaient jeunes, ils allaient au KFC le plus proche pour finir les restes des clients. Leur richesse est pourtant basée sur le proxénétisme : ils rencontrent des femmes, leur font croire qu’ils vont se marier, puis les forcent à réaliser des vidéos pornographiques. L’industrie des “cam girl” est florissante en Roumanie : 300.000 personnes travaillent dans le business de la sex cam. 75 femmes auraient travaillé pour Andrew Tate, pour un total de 600.000$ par mois.
Ces chiffres sont en tout cas ceux dont il se vante, et que rien ne vient corroborer. En bon trumpiste, ce n’est pas la vérité qui compte, mais l’histoire qu’on raconte. Sa seconde activité est l’influence masculiniste : sur les réseaux, Andrew Tate se met en scène comme le parfait «mâle alpha » bodybuildé et dominant, qui a reconquis sa virilité et vit dans l’opulence de l’argent, des filles, des voitures de sport, des cigares… Il est aussi homophobe, raciste et misogyne décomplexé. “I’m a woman beater, so watch out coz you’re next” affirme-t-il. “Je suis un homme qui bat les femmes, alors attention à vous, parce que vous êtes les prochaines”. Tout un programme.
Andrew Tate a également créé The real world, son “académie”, afin de vendre ses programmes à ses abonnés. Pour 49$ par mois il vous l’assure : “Je te promets le succès, je te promets que tu deviendras millionnaire, que tu seras le plus cool de la planète, que tu iras dans les plus beaux endroits”. Mais il s’agit là d’une vaste arnaque, un simple discord où des soi-disant experts enseignent des choses que l’on trouve gratuitement sur internet. Sa force, c’est de vous faire appartenir à une communauté. Pour des jeunes en perte de sens total, c’est irrésistible.
Le 29 décembre 2022, la police roumaine l’arrête ainsi que son frère. Les deux hommes sont placés en détention provisoire. Ils sont accusés de trafic d’êtres humains et de viols. Après 3 mois derrière les barreaux, ils sont assignés à résidence et mis en examen. En Angleterre, ils sont également accusés d’autres abus sexuels et viols. En août 2024, les deux frères sont de nouveau visés par la justice pour trafic d’être humain, dont une mineure, et blanchiment d’argent. Au moins 34 victimes sont recensées.
C’est donc cet individu que Donald Trump protège : Richard Grenell, un proche de Trump, a en effet rencontré le ministre roumain des Affaires étrangères, et a fait pression sur ce dernier pour exiger que le pays rende le passeport de l’influenceur. Depuis son arrivée en Floride il y a quelques jours, loin de la justice roumaine, Andrew Tate est visé par une enquête pénale. “Ces types ont reconnu publiquement avoir participé à ce qui apparaît comme du proxénétisme et de l’exploitation de femmes à travers le monde”. « En Floride, ce type de comportement est considéré comme atroce », a insisté le procureur général de Floride James Uthmeier. À voir si Donald Trump interviendra de nouveau pour soutenir son allié.
La “broligarchie” en marche
L’écrivaine québécoise Martine Martine Delvaux a décrit cette « broligarchie » – néologisme de l’anglais « brother » (frère), du grec « oligos » (en petit nombre) et « arkhô » (commander) – comme ce cercle restreint d’hommes cumulant richesse extrême, pouvoir et ultra masculinisme. Ils ont une haine des femmes, qu’ils politisent. Pour eux, le féminisme et le «wokisme» auraient détruit la masculinité traditionnelle et pris le pouvoir. Ils entendent donc le leur reprendre. Or, pour reprendre cette place qui leur est due dans la société, il faut violenter les femmes, les dominer, les remettre à leur place en somme.
Tout ce petit monde de masculinistes se connaît et se serre les coudes. Alors qu’Andrew Tate est banni de la plupart des réseaux sociaux, Elon Musk a réactivé son compte aux 10 millions d’abonnés dès le rachat de X. Paul Ingracia, son ancien avocat, travaille à présent pour la maison blanche, aux côtés de Donald Trump. Un petit monde, toujours.
La politique, Andrew Tate s’est décidé à y goûter également. En janvier, il crée son propre parti, Bruv. Avec son programme de 20 pages reprenant les classiques de l’extrême droite, il entend redonner sa puissance à l’Angleterre face au péril woke, stopper l’immigration, contrôler les médias et supprimer les aides à l’Ukraine. Surfant sur la vague néonazie, il s’est même mis en scène faisant un salut nazi, répondant à Elon Musk, ajoutant “Heil Space X” en référence à Heil Hitler. Qu’on accorde ou non du crédit à ses velléités politiques, il n’en reste pas moins qu’avec sa formidable audience et le soutien d’Elon Musk, il peut imposer ses idées et les faire infuser dans la société, notamment auprès des jeunes.
Masculinisme et montée de l’extrême-droite : une corrélation généralisée
Au Royaume-Uni, Andrew Tate a un écho considérable auprès des adolescents : 84% des 13-15 ans ont déjà entendu parler de lui. Des études ont montré que la hausse des violences faites aux femmes dans le pays était liée à la radicalisation des jeunes en ligne sous l’influence de personnes comme Andrew Tate. Les accusations de viol ne font pas baisser la côte de popularité de ces masculinistes, au contraire : la communauté d’Andrew Tate est restée solidaire derrière lui, même après les accusations de viol, criant au complot. Des rassemblements ont même été organisés, notamment à Athènes, pour demander la libération de “Top G”. Au niveau international, Andrew Tate était l’homme le plus googlé au monde en 2022.
Il ne s’agit pas d’un phénomène isolé. Dans toutes les sociétés occidentales, on assiste à la recrudescence des idées masculinistes chez les hommes. En France, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes révélait dans son rapport de 2024 que “la société française se divise et se clive de plus en plus sur le sentiment d’égalité […] on observe chez les hommes une adhésion toujours plus forte aux stéréotypes masculinistes”. Et les écarts se creusent surtout chez les jeunes générations.
Ainsi, seuls 34% des hommes entre 25 et 34 ans trouvent anormal qu’un homme ait un salaire plus important qu’une femme à poste égal, contre 78% des femmes de la même tranche d’âge. 40% des hommes de 15 à 24 ans et 39% de 25 à 34 ans pensent qu’il est difficile d’être un homme dans la société actuelle, soit une hausse de 14 et 6 points. 37% des hommes considèrent que le féminisme menace leur place dans la société, 32% affirment être en train de perdre leur pouvoir, soit une hausse de 3 points.
Ainsi, loin des clichés d’hommes jeunes, modernes et déconstruits, ces derniers ont tendance à devenir de plus en plus réactionnaires et à vouloir remettre les femmes à leur place : sous leur domination. On comprend le rôle qu’une personne comme Andrew Tate peut jouer dans cette idéologie.
Cela se traduit forcément au niveau politique. Une série d’études publiées dans le Financial Times en janvier 2024 montre que les Américaines de 18 à 30 ans sont de 30 points plus progressistes que les hommes, les Anglaises de 25 points. Les dernières élections allemandes sont également révélatrices : 35% des femmes de 18 à 24 ans ont voté pour Die Linke et 14% pour l’AFD, en miroir inversé des hommes de la même génération, qui ont voté à 27% pour l’AFD et 16% pour Die Linke. Le parti néo-nazi allemand est arrivé en premier chez les jeunes hommes !
Ainsi, la réussite d’un Andrew Tate participe de cette offensive réactionnaire généralisée des masculinistes, qui triomphe actuellement aux USA. Avec les clivages générationnels, toujours prégnants, les clivages de genre deviennent constitutifs de la société, après des décennies de réduction. Pour faire face à cette offensive réactionnaire, il est urgent que les minorités de genre s’unissent et fassent front commun.
AIDEZ CONTRE ATTAQUE
Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.