Le gouvernement annonce des mesures autoritaires, un rassemblement réclame des moyens pour prendre soin des jeunes

Le drame survenu à Nantes jeudi 24 avril est une nouvelle démonstration de l’infamie du gouvernement et de l’obscurantisme de la classe politique. Alors qu’un lycéen, scolarisé dans un établissement privé et fasciné par Hitler, a poignardé plusieurs camarades et assassiné une adolescente, la réponse est uniquement sécuritaire. Les dirigeants plaquent leur idéologie sur le réel, en dépit des faits et des besoins.
Rappelons les faits. Justin P., 16 ans, était une lycéen mal dans sa peau et animé par des idées nazies. Son admiration pour Hitler était de notoriété publique dans le lycée, où il avait ramené Mein Kampf et avait été convoqué par la direction de son lycée après avoir dessiné des croquis à la gloire du IIIe Reich. «C’était un néo-nazi» soutenait encore un père d’élève du lycée sur RMC vendredi. De même, il aurait inscrit des étoiles de David avec le chiffre 21 dans les toilettes, 1921 étant la date où Hitler a pris la direction du NSDAP.
Juste avant de passer à l’acte, Justin P. a envoyé un manifeste intitulé «Action immunitaire», mélange de propos écologistes et réactionnaires. Ensuite, habillé tout en noir, cagoulé, portant un casque comportant lui aussi des inscriptions nazies selon le journal Presse Océan, il est passé à l’attaque avec un couteau de chasse.
Il a d’abord attaqué Lorène, l’une des seules élèves qui lui parlait et qui était bienveillante avec lui. Des élèves ont témoigné d’une possible relation amoureuse entre les deux. Si cette relation s’est brisée ou si le jeune homme a été éconduit, il ne s’agirait donc pas seulement d’un crime d’extrême droite, mais littéralement d’un féminicide. Le mouvement « Incel » est d’ailleurs l’un des principaux moteurs de ce genre de tuerie aux États-Unis.
Le mode d’action vient d’ailleurs appuyer thèse : Lorène a reçu 57 coups de couteau. Un acharnement insoutenable. Trois autres jeunes, qui n’étaient visiblement pas ciblés à l’origine, ont été poignardés avant que Justin P. soit maîtrisé par un agent informatique. Arrêté, il a demandé aux policiers de le tuer, avant d’être interné en psychiatrie. Si ce drame terrible interpelle, c’est parce qu’il montre l’imprégnation d’idées néo-nazies jusque dans la jeunesse, et le recours à une violence nihiliste et autodestructrice, sur fond de trouble psychiques. Comme aux USA.
Pourtant, le gouvernement a, comme toujours, plaqué son dogme sécuritaire sur l’événement. Alors que Nantes est en deuil, François Bayrou réclamait immédiatement «une intensification des contrôles mis en place aux abords et au sein des établissements scolaires» et appelait à «un sursaut collectif» face à la «violence endémique» dans «une partie de notre jeunesse». Enfin, il demandait «des propositions concrètes en matière de réglementation et de répression» d’ici un mois.
Bruno Retailleau est allé plus loin. En bon militant d’extrême droite, il s’est rendu à Nantes pour parler «d’ensauvagement» et réclamer le retour de «l’autorité» : «Nous sommes dans une société qui a encouragé le laxisme, qui a voulu déconstruire les interdits, l’autorité, l’ordre, les hiérarchies, et qui a accouché de toute cette violence». «Il y a des repères à rebâtir, des hiérarchies à refaire». Bref, un discours de campagne – Retailleau veut être désigné comme président du parti LR prochainement – sur le dos d’une adolescente assassinée.
Eric Ciotti aussi s’est lâché, en déclarant que «la sécurité des établissements scolaires doit être absolue, c’est un sanctuaire. Portiques de sécurité, vidéo-protection avec reconnaissance faciale, il ne faut rien s’interdire».
En quoi les fouilles, les portiques, la police partout ou la «reconnaissance faciale» permettraient d’éviter qu’un élève interne à l’établissement comme Justin n’y rentre ? Fliquer toujours plus les lycées évite-t-il la violence ? La réponse est non. Aux USA ? Les établissements scolaires sont désormais équipés de portiques, de détecteurs de métaux et de vigiles, comme des aéroports. Cela n’empêche pas les tueries de masse régulières.
Ces propositions absurdes sont déplacées. Depuis 20 ans, les lycées français ressemblent toujours plus à des prison : certains ont des portiques de sécurité, il faut badger pour rentrer, passer par un tourniquet, il est interdit d’en sortir lors des pauses… Il leur paraît inimaginable qu’il y a encore une quinzaine d’années, il n’y avait même pas de grilles autour de la plupart des lycées ! Les lycéen-nes n’ont jamais été aussi bridés dans leur liberté, et cela n’empêche en rien les violences.
Les réactions des élèves du lycée concerné et d’autres établissements nantais, ainsi que de parents d’élèves, ont été beaucoup plus dignes. Vendredi 25 avril, un appel à se rassembler devant Notre-Dame-de-Toutes-Aides pour ne pas laisser «l’extrême droite et Retailleau récupérer ce drame» et exiger «le financement d’un poste de psychologue et d’infirmière scolaire dans tous les établissements» ainsi que «plus de moyens pour la psychiatrie pédiatrique et de postes et de budget dans l’enseignement» était lancé.
Alors qu’à l’intérieur, un rassemblement en hommage à la victime était réservé au personnel et aux élèves, on trouvait devant le lycée aussi beaucoup d’élèves, y compris venus d’établissements voisins pour se réunir. Des personnels médicaux étaient également venus en soutien, et des fleurs parsemaient la grille du lycée.
En Loire-Atlantique, il n’y a que 14 places en hospitalisation psychiatrique pour les mineurs, dans un département qui compte 1,4 million d’habitants. Dans de nombreux lycées, il n’y a pas de cellule d’écoute psychologique ni d’infirmière à plein temps. Les Centre Médico-Psychologiques, qui sont chargés d’accueillir les jeunes en détresse, sont tous saturés. Il faut parfois attendre plusieurs mois pour une simple consultation avec un psychologue !
Et cet abandon intervient alors que les pensées suicidaires et les dépressions ont explosé dans la jeunesse depuis le confinement. Les suicides sont la première cause de décès des moins de 26 ans, loin devant le prétendu «ensauvagement» décrit par Retailleau. Mais la mort silencieuse et isolée d’adolescents fait moins de «buzz» que les déclarations chocs dans les médias.
Plutôt que de fliquer toujours plus les lycéens et lycéennes, les autorités pourraient essayer de leur offrir un avenir décent, et des moyens pour les écouter et les aider lorsqu’ils sont en souffrance. Plutôt que les rodomontades médiatiques de dirigeants d’extrême droite, et si on imaginait de grands rassemblements pour donner à l’école, à l’éducation, à la psychiatrie les moyens humains et financiers dont ils ont besoin ?
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