
Nous sommes samedi 10 mai et l’orage menace de tomber sur les personnes rassemblées pour commémorer l’abolition de l’esclavage au mémorial de Nantes, situé le long de la Loire, sur le quai d’où partaient les navires pratiquant le commerce triangulaire. Alors que les prises de paroles des responsables politiques s’enchaînent, ce n’est pas du ciel qu’est venue la surprise mais des rangs de la foule située sur le bord du fleuve.
Comme l’année dernière, plusieurs militant-es du collectif antiraciste ISONOMIA et d’autre collectifs venus leur prêter main forte ont dénoncé l’hypocrisie des responsables politiques qui rendent hommage aux personnes réduites en esclavage un jour par an et qui, le reste de l’année, s’attellent à appliquer avec méthode le racisme d’État. Pour dénoncer la commémoration du racisme d’hier par ceux qui reproduisent les politiques racistes aujourd’hui, des banderoles ont été déployées lors des discours officiels, des pancartes brandies en l’air, pour rappeler que la mémoire est une lutte.
L’hypocrisie de la municipalité semble si difficile à assumer que, cette année, la maire de Nantes Johanna Rolland ne s’est même pas déplacée. Difficile d’assumer en effet les contrôles massifs au faciès en plein centre-ville. Difficile d’assumer la construction d’un Centre de Rétention Administrative, un euphémisme pour désigner une prison pour les personnes sans papiers. Difficile d’assumer les politiques sécuritaires, les brigades renforcées de police municipale et la chasse aux «indésirables».
Voici l’intervention du collectif ISONOMIA :
«En ce 10 mai, journée nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage, nous nous souvenons.
Nous nous souvenons de la traite, de l’exploitation, de la déshumanisation. Des millions d’êtres humains réduits à l’état de marchandise.
Nous nous souvenons de la violence raciale fondatrice de l’ordre colonial, et de toutes les résistances, les luttes, les insurrections. Nous nous souvenons aussi du rôle de Nantes, port négrier devenu vitrine mémorielle.
Si les chaînes visibles ont été, l’esprit de domination, lui, s’est déplacé, réadapté, renforcé.
Aujourd’hui, il prend la forme d’une violence administrative, policière et institutionnelle, ciblée contre les personnes racisées et étrangères.
À Nantes, cela se traduit par : des contrôles au faciès, la mise à la rue de mineur-es non accompagné-es, un fichage illégal des personnes étrangères, et des circulaires officielles qui organisent le tri des vies, la relégation et la déshumanisation.
Cette politique nationale se déploie ici avec un zèle glaçant et le soutien du pouvoir local.
Nantes n’est donc pas en marge : elle est le laboratoire actif du continuum colonial. Et le projet de construction d’un Centre de Rétention Administrative (CRA) à Carquefou en est la matérialisation brutalement concrète.
Alors ce 10 mai, nous ne sommes pas là pour accompagner des cérémonies creuses.
Nous ne sommes pas là pour parler de mémoire sans dénoncer les politiques qui la piétinent.
Nous sommes là pour affirmer que la mémoire n’est pas un décor, ni un alibi destiné à masquer les politiques racistes actuelles.
Tant que Nantes sera un terrain d’expérimentation de la répression.
Tant que des vies seront triées, enfermées, expulsées.
Tant que le continuum colonial fera loi : notre mémoire ne sera pas une commémoration : elle sera une lutte.»
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