4 ans après la mort de Souheil à Marseille : à quoi joue la justice ?


En France, il semble que nous basculons chaque jour un peu plus dans le grand n’importe quoi, dans le chaos institutionnel, et assistons à des situations à la fois grotesques et terribles. Dernier exemple en date : l’affaire judiciaire suite à la mort de Souheil.


Une marche blanche pour Souheil, tué par un policier il y a quatre ans et dont la famille se bat pour la justice.

Souheil, c’est un jeune homme de 19 ans qui a été tué par la police le 4 août 2021, à Marseille, lors d’un contrôle routier. La victime avait tristement rejoint la longue liste des personnes abattues par balle alors qu’elles étaient au volant. Depuis, sa famille se bat avec acharnement pour exiger la vérité et la justice.

Au début du mois de juin 2025, presque 4 ans après le drame, une juge annonçait à la famille qu’après plusieurs mois de recherches, «neuf scellés […] demeurent introuvables». Il s’agit d’éléments cruciaux : les images de vidéosurveillance à proximité du lieu du tir, l’enregistrement de l’audition filmée du policier tireur, la balle qui a tué Souheil, entre autres. La juge expliquait piteusement que ces éléments ont été «sortis du service de stockage début 2022» et n’ont «jamais été restitués au greffe des scellés». Du délire. Le 26 juin, après une intense mobilisation de la famille de Souheil et de son avocat, la justice annonce que les scellés ont été «retrouvés»… dans le bureau de l’ancien juge d’instruction chargé de l’enquête ! Explications.

Souheil a donc perdu la vie en août 2021, à Marseille. Une victime de plus de la loi votée par le Parti Socialiste en 2017, permettant aux policiers de tirer à balle réelle en cas de «refus d’obtempérer». En 8 ans, les tirs et les morts ont explosé, et cette loi a décomplexé le fait de tirer pour les policiers, même sans situation de danger. Le cas le plus connu est l’exécution filmée de Nahel en 2023.

La famille de Souheil lutte héroïquement depuis la mort du jeune homme, et se heurte à une enquête indigne. Les incohérences des policiers de l’IGPN sont flagrantes, à tel point que la famille a porté plainte en février 2022 contre l’un des enquêteurs pour obstruction à la vérité. Par exemple, l’intégralité de la scène, y compris le tir qui a tué Souheil, a été filmée par les caméras de surveillance d’une banque, mais l’IGPN et le service sécurité de la banque avaient dit avoir «perdu» tous les enregistrements. Pour autant la présence de nombreux témoins et des vidéos permettaient de prouver l’homicide et son caractère injustifié. Mais l’IGPN n’en a rien fait, et a légitimé le tir.

L’enquête a été classée sans suite une première fois en décembre 2021, puis relancée par une nouvelle plainte et confiée à une autre juridiction. Les avocats Arié Alimi et Raphaël Kempf ont dénoncé la disparition de vidéos cruciales et «une enquête volontairement bâclée». 4 ans plus tard, la justice n’a pas été rendue.

Le policier qui a tiré dans le thorax de Souheil s’appelle Romain Devassine. Il est visé par une information judiciaire pour homicide volontaire. Le jour du tir, il était encore stagiaire dans la Police Nationale. Romain Devassine pratique également le BMX. Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, l’été dernier, il passait à la télévision, en train de faire des acrobaties.

En reconnaissant le policier qui a tué leur proche à la télévision, la famille de Souheil avait reçu un coup de poignard dans le cœur. La tante du défunt expliquait à Mediapart : «À un moment, sur la plateforme de BMX, je vois un profil qui me glace. Je me dis que ce n’est pas possible que ce soit lui. Je n’arrivais plus à parler, à respirer, j’étais en état de choc ». Le père de Souheil expliquait dans une tribune : «L’homme qui a froidement abattu mon fils Souheil d’une balle en plein cœur se pavane lors d’un spectacle de BMX devant des millions de téléspectateurs […] comme si rien ne s’était passé, comme si nous n’existions pas» mais aussi «alors que chaque jour depuis 3 ans je me réveille avec cette douleur indicible, avec ce manque insupportable de mon fils, lui, le meurtrier continue sa vie».

Revenons à la situation ubuesque qui vient d’être révélée. Selon la justice, depuis un an, personne n’arrivait à mettre la main sur les scellés. Après l’annonce de cette prétendue perte, la famille avait déposé une nouvelle plainte contre l’ancienne procureure de Marseille, qu’elle accusait d’avoir «volontairement détourné les neuf scellés». La famille a aussi organisé une conférence de presse devant l’Assemblée nationale en présence d’élus et de députés de gauche. L’affaire a pris suffisamment d’ampleur pour faire réagir le Ministère de la Justice, qui avait exigé une enquête…

Et comme par enchantement, après avoir été déclarés disparus, ces pièces ont toutes été retrouvées «dans le bureau du juge d’instruction initialement saisi» de l’affaire. Est-ce ainsi que sont enterrées les affaires de violences policières ? En laissant pourrir les éléments accablants au fond de tiroirs, et en prétendant qu’ils sont perdus. Que ce serait-il passé sans la pugnacité et le courage de la famille de Souheil, de ses avocats, de ses soutiens ? L’affaire aurait été enterrée à tout jamais.

Suite à l’annonce de cette récupération surnaturelle, la famille de Souheil s’est dite «particulièrement inquiète du déroulement de l’instruction dans la mesure où c’est ce même juge (Patrick De Firmas), qui avait fait la demande de recherche de scellés» l’année dernier. Le magistrat qui a fait mine de demander à retrouver ces pièces les avait en fait dans son propre bureau ! Le père de Souheil relève d’ailleurs que «des recherches avaient déjà été faites dans ce même bureau». Il se dit néanmoins «soulagée que la mobilisation politique a permis de retrouver ces scellés».

En attendant, ces éléments auraient du être étudiés depuis des années au lieu d’être dissimulés. L’extrême lenteur de la justice quand il s’agit de crimes policiers est une violence de plus : elle sert à épuiser et à démobiliser les proches des victimes, avec des verdicts ou des non-lieux qui tombent parfois 10 ans après les faits, et garantissent une impunité de fait aux policiers mis en cause.

Cette histoire rocambolesque interroge sur la justice marseillaise. On se souvient que le vice-procureur de Marseille, André Ribes, s’était déguisé en policier et avait carrément participé aux charges avec les CRS qui avaient tué Zined Redouane le 1er décembre 2018. Sa photo en tenue au milieu des forces de l’ordre avait été diffusée par des journalistes, ce qui avait conduit à ce que ce magistrat soit dessaisi de l’affaire. Mais c’était, déjà, l’illustration d’une collusion littérale entre la police et la justice.

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