Nathalie Le Mel, une bretonne féministe et révolutionnaire


Le 24 août 1826 naît à Brest une révolutionnaire aujourd’hui presque oubliée. Pourtant, à l’époque, elle est aussi connue que Louise Michel et considérée comme “la plus dangereuse” des communardes par le commissaire du gouvernement. Cette femme, c’est Nathalie Le Mel.


Portrait de Nathalie Le Mel, Bretonne féministe et révolutionnaire.

Nathalie Le Mel, ouvrière relieuse et syndicaliste

Nathalie Le Mel, née Duval, naît dans une famille brestoise qui tient un petit café. Elle reçoit une éducation assez poussée pour une femme de cette époque, et développe un goût prononcé pour la lecture. Élevée par les religieuses jusqu’à ses 12 ans, elle devient ouvrière relieuse. Elle finit par épouser à 19 ans un de ses collègues, Jérôme Le Mel, de 8 ans son aîné.

En 1849, ils quittent Brest pour Quimper, où ils ouvrent une boutique de librairie-reliure. La jeune femme y est assez mal vue, en raison de ses revendications féministes déjà affirmées. Les affaires ne marchent pas, la boutique fait faillite, et le couple s’exile à Paris en 1861, tout comme des milliers de Bretons et Bretonnes de l’époque. Elle finit par quitter son mari, à cause de son alcoolisme.

Arrivée à Paris, elle reprend son travail de relieuse et s’engage dans le syndicalisme. Dès 1865, elle adhère à la première Internationale des travailleurs et prend part aux premières grèves des ouvriers relieurs. Fait exceptionnel pour une femme, elle fait partie du comité de grève et est même élue déléguée syndicale. La militante bretonne impressionne par ses qualités oratoires. Un rapport de police fait état de ses agissements : “Elle s’occupait de politique, lisait à haute voix les mauvais journaux et fréquentait assidûment les clubs”. Son engagement féministe est particulièrement notable. Elle milite pour l’égalité femme-homme, le droit de travailler, l’égalité salariale et contre l’exploitation. Son combat est d’ailleurs couronné de succès lorsqu’elle obtient l’égalité salariale dans la reliure.

Avec un camarade relieur et militant reconnu, Eugène Varlin, elle crée le restaurant coopératif La Marmite, ainsi que “La Ménagère”, une coopérative d’alimentation. La Marmite permet aux ouvriers et ouvrières d’avoir accès à des repas à prix bas. 4 restaurants sont ouverts, accueillant jusqu’à 8000 ouvriers.

Une Bretonne sous la Commune de Paris

Nathalie Le Mel n’est pas une théoricienne, c’est une militante de terrain. C’est pourquoi il n’existe presque aucun écrit direct de sa main. Une des sources la concernant est un rapport de la commission des grâces du 21 août 1873. On y apprend notamment que “sous la Commune, l’exaltation de son langage n’a pas connu de bornes, et on l’a entendue dans les clubs de l’église Saint-Germain l’Auxerrois, de la Trinité, de Notre-Dame de la Croix, prêcher les théories les plus subversives”.

Le 11 avril 1871, elle crée l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés avec Élisabeth Dmitrieff, l’envoyée de Karl Marx. Il s’agit de l’un des premiers mouvements se réclamant officiellement du féminisme. Son programme révèle son engagement : égalité des salaires entre hommes et femmes, droit au travail (organisation des ateliers réquisitionnés), reconnaissance de l’union libre, droit au divorce… La police, dans son rapport, évoque un manifeste du 6 mai “qui dans les termes les plus violents appelle aux armes les femmes de Paris”. Elle est surnommée “le vieux sergent”, du haut de ses 44 ans.

Lors de la semaine sanglante du 21 au 28 mai, qui voit 30.000 communards et communardes assassiné-es, elle tient la barricade de la place Blanche. Le rapport évoque également qu’elle se trouve “à la tête d’un bataillon d’une cinquantaine de femmes, et construit la barricade de la place Pigalle, et elle y a arboré le drapeau rouge”. La veille de son arrestation, elle tente de se suicider, ne supportant pas la défaite de la Commune. Elle est arrêtée comme des dizaines de milliers d’autres, et condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie avec Louise Michel. Lorsqu’elle apprend que ses camarades tentent d’obtenir sa grâce, elle écrit une lettre au Préfet, refusant formellement cette grâce, écrivant : “Ma condamnation est irrévocable”. On comprend là la force de la Bretonne et le refus absolu de toute forme de compromission.

Elle est finalement graciée en 1879 et revient vivre à Paris. Elle y écrit pour le journal L’Intransigeant pendant quelques années, mais s’écarte de son directeur Henri Rochefort lorsque celui-ci se convertit au boulangisme, c’est-à-dire au soutien d’un militaire autoritaire, le général Boulanger, qui se présente comme l’homme providentiel. Elle n’arrête de travailler que lorsque son état de santé ne le lui permet plus.

À 90 ans, devenue aveugle, elle entre à l’Hospice de Bicêtre. Elle y meurt dans la misère la plus totale 4 ans plus tard. Les rues qui portent son nom sont rares aujourd’hui. Pourtant, en tant que pionnière du féminisme et infatigable militante syndicaliste, elle mérite de reprendre sa juste place parmi les grandes révolutionnaires de son siècle.

À sa mort, Robert Tourly écrivit dans L’Humanité : “Cette femme qui vient de mourir n’a rien écrit. Sa vie est là. Cela suffit. Elle a agi, elle a souffert, elle a eu la foi lumineuse, elle n’a jamais abdiqué. Elle nous a légué son exemple. En pieux révolutionnaires, nous nous devons de nous en inspirer.”

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