Retrait des pesticides tueurs d’abeille mais maintien des autres mesures : un pas en avant, trois pas en arrière, et pas d’autre délibération malgré la pétition signée par 2 millions de personnes

C’est une petite victoire, et toute avancée reste bonne à saluer : jeudi 7 août, le Conseil Constitutionnel a rendu une décision très attendue. Il s’est prononcé sur la fameuse loi Duplomb, cette loi dictée par le lobby de l’agro-industrie, imposée par les macronistes avec le soutien de l’extrême droite, et qui contient une série de reculs majeurs pour l’environnement.
Le Conseil Constitutionnel a censuré l’article 2 de la loi, le plus controversé et médiatisé, qui prévoyait la réintroduction de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïde, le fameux poison tueur d’abeilles. C’est une concession lâchée face à l’immense campagne contre la Loi Duplomb, qui s’est traduite notamment par une pétition signée par plus de 2 millions de personnes – ce qui en fait la pétition la plus populaire de l’histoire française – mais aussi par des manifestations et actions directes partout en France.
Cette censure d’une partie de la loi Duplomb, aussi symbolique soit-elle, ne met pas un coup d’arrêt au reste des mesures. Le Conseil a validé le reste des articles de la loi.
Par exemple, l’article 1 scelle la victoire totale de l’industrie phytosanitaire, car il «revient sur la séparation de la vente et du conseil des produits phytopharmaceutiques» et réautorise les «remises, rabais et ristournes à l’occasion de la vente de produits phytopharmaceutiques». Ce passage n’a qu’un seul objectif : faciliter la vente de grandes quantités de pesticides et d’engrais, permettre aux industriels de se gaver au détriment de tout le reste.
L’article 3 va faciliter l’installation de fermes usines ultra-polluantes en instaurant une simplification des règles pour l’élevage intensif. En France, à l’heure actuelle, 60% des animaux d’élevage sont concentrés dans 3% des fermes. Bienvenue dans un pays avec des usines à vache ou à cochon, avec des milliers de bêtes entassées au même endroit, favorisant le développement d’épidémie et favorisant la maltraitance animale.
L’article 5 est un soutien massif aux méga-bassines et opère un recul majeur dans la définition des zones humides. Il introduit un changement gravissime dans la hiérarchie des usages de l’eau : l’agriculture passe en seconde position des usages prioritaires, devant la préservation de la vie aquatique et des rivières.
L’article 6 affaiblit l’OFB, l’office français de la biodiversité qui sera tenu «de privilégier la procédure administrative, pour éviter autant que faire se peut des procédures judiciaires, ces dernières ayant pu être jugées infamantes». Pauvre agro-industriels, leur sensibilité pourrait être heurtée. L’OFB vérifie par exemple si les exploitants n’utilisent pas de produits chimiques interdits ou ne dépassent pas les seuils de pesticides autorisés. Cet article dit qu’il faut laisser les pollueurs polluer tranquilles.
Ce point est crucial : l’interdiction de certains pesticides en soi n’a pas d’effet si personne ne vérifie qu’elle est appliquée. Par exemple, des pesticides prohibés depuis des années ont été découverts par des manifestants dans des exploitations et des usines d’engrais. En Charente-Maritime, des parents vivant près d’un champ de céréales ont décidé d’analyser une mèche de cheveux de leur fille et un échantillon d’eau du robinet dans un laboratoire. Trois fongicides ont été identifiés à des taux bien supérieurs à la normale et deux pesticides interdits depuis plus de deux décennies pour leur dangerosité avérée sont présents dans l’eau.
Ainsi, même des années après l’interdiction de certains poisons, ils restent utilisés faute de surveillance et de sanctions. Il y a fort à parier que des agro-industriels peu scrupuleux ne jetteront pas leur stock de néonicotinoïdes et continuent de l’utiliser malgré son interdiction, étant donné l’impunité totale dont bénéficie le secteur.
Ainsi, s’il faut saluer ce recul sur la loi Duplomb, il ne faut pas oublier qu’il reste marginal. On trouve au sein du Conseil Constitutionnel, dont les membres sont nommés par le président, des très proches de Macron comme Richard Ferrand. Tout a donc été validé par le gouvernement : lâcher sur un article, mais faire passer le reste.
On connaît la recette : lorsqu’une loi particulièrement abjecte risque d’être contestée, on y ajoute un article « fusible » afin de canaliser la colère, puis on le retire et la contestation s’éteint, le gouvernement pouvant même s’accaparer le beau rôle d’un pouvoir démocratique et à l’écoute de sa population. C’est déjà ce qui avait eu lieu lors de la Loi de Sécurité globale : un article avait été censuré, mais toutes les autres mesures liberticides avaient été validées. En lâchant un peu de lest, cela permet aux politiciens, notamment au Parti Socialiste, de crier «victoire» et de passer à autre chose. Habile mise en scène.
Pour finir, Macron dit avoir «pris bonne note de la décision du Conseil constitutionnel» et qu’il «promulguera la loi (…) dans les meilleurs délais» dès hier. Il a aussi dit qu’il n’y aura pas d’autre délibération sur la loi Duplomb, ce qui signifie que les 2 millions de signatures partent à la poubelle. La ministre de l’Agriculture Annie Genevard l’avait déjà annoncé il y a quelques jours : «Beaucoup ignorent la réalité de ce qu’il y a dans ce texte». Traduction : les français sont trop bêtes, ils n’ont rien compris, et les opposant-es sont des ignorant-es qui n’ont pas le droit d’être entendu-es. C’est un pas en avant pour trois pas en arrière.
La France reste la championne d’Europe de l’usage des pesticides en nombre de tonnes utilisées, mais aussi un pays où un tiers des cours d’eau sont contaminés, où 99,8% de la population est intoxiquée au glyphosate et où, dans certaines régions agricoles, les taux de cancers pédiatriques sont anormalement élevés. La loi Duplomb a été dénoncée par 22 sociétés savantes médicales, par la Ligue contre le cancer, les personnels de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, la Confédération Paysanne, la Fondation pour la recherche médicale, des mutuelles et groupes mutualistes, le Conseil scientifique du CNRS, la Fédération des régies d’eau potable, des centaines de médecins et de chercheurs…
La mobilisation doit se poursuivre jusqu’au retrait de la loi et à la censure de ce gouvernement dangereux pour l’environnement et la santé.
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