Depuis le début du mois de juillet, la date du 10 septembre et le mot d’ordre «bloquons tout» circulent massivement. Des groupes se réunissent, des assemblées s’organisent, on discute des meilleurs moyens d’empêcher le plan d’austérité de Bayrou.

De nombreuses idées fusent, et parmi elles, beaucoup ont déjà été testées par le passé, et se sont avérées inefficaces. On voit fleurir des visuels proposant de couper internet ou de ne rien acheter le 10 septembre. Un mouvement des «petits gestes» individuels. Même en admettant que cela soit massivement suivi, si ça ne dure qu’un jour ou deux, ce moyen de lutte à l’échelle des consommateurs n’aura que l’effet d’un dimanche sur l’économie. Autant dire pas grand chose, donc.
En parallèle, des appels à manifester dans les centre-villes sont déjà posés. Le risque est de reproduire à l’infini un scénario parfaitement maîtrisé par le gouvernement : des cortèges encadrés par la police, inefficaces, fortement réprimés s’ils débordent, et ne laissant aucune trace une fois la manif finie. Rappelez-vous, nous étions des millions à manifester en 2023 pour les retraites, la majorité des cortèges était bien trop sage, et la contestation est restée sans effet. Si le 10 septembre n’est qu’une addition de manifestations, même conséquentes, il n’y a aucune chance de faire reculer le gouvernement.
Si le mot d’ordre et de «tout bloquer», alors il faut nous en donner les moyens. Et à moins d’une grève générale comme en 1968 ou 1936, peu probable pour le moment, cela implique de bloquer les grands axes. Pour paralyser une grande ville, il n’y a pas 36 solutions : il faut encercler la métropole, comme l’ont fait les Gilets jaunes, mais de façon encore plus massive.
Pendant le mouvement des retraites en 2023, des groupes ont essayé de mener des actions avec un vrai impact, et cela a fonctionné. Au mois d’avril à Nantes, Rennes, Caen et ailleurs, des opérations «villes mortes» ont bloqué des périphériques. Un moyen de pression vraiment très efficace : quelques palettes en feu, quelques centaines de personnes, et une agglomération entière est paralysée. L’effet a été énorme, et personne ne pouvait l’ignorer dans les villes concernées.
Par exemple le 12 avril à Nantes, il a suffit de trois points de blocage pour créer des dizaines de kilomètres de bouchons et mettre la ville entièrement à l’arrêt. La plupart des personnes travaillant à l’intérieur de la ville n’ont pas pu arriver à bon port. Cette action a eu plus d’impact que les manifestations réunissant des dizaines de milliers de personnes la même semaine à Nantes. Mais ces blocages sont restés temporaires, ils n’ont duré que quelques heures avant d’être levés. Insuffisant.
En Argentine, dans les années 1990, le mouvement des piqueteros, qui étaient des précaires en lutte contre le néolibéralisme équipés de bâtons, a bloqué les autoroutes à de nombreuses reprises. En paralysant les flux, les piqueteros ont gagné en visibilité et en rapport de force en bloquant l’économie. Mais contrairement à la France, il ne s’agissait pas de blocages ponctuels : ils occupaient réellement les routes du pays, notamment près de Buenos Aires, pendant plusieurs jours voire semaines d’affilée.
En effet, en 2001, lors de la crise économique qui a frappé l’Argentine, ces blocages se sont installés dans la durée. Comment ça se passait concrètement ? Les piqueteros venaient en famille, mangeaient, jouaient au foot, creusaient les routes. Et que peut faire la police ? Gazer une quatre voies ? Cela ne débloque rien mais déplace juste l’occupation. Ce n’est pas comme une manifestation en ville, que la police arrive toujours à disperser à force de charges et de grenades dans des rues qu’elle connaît bien.
Nous avons la chance d’avoir une date coordonnée : le 10 septembre. Imaginons des milliers de personnes sur TOUS les périphériques de France. Toutes les grandes villes bloquées, l’économie à l’arrêt. Pas une heure ou deux. Non. La journée entière, pour commencer. Et pourquoi pas de grands banquets populaires sur les routes ?
Concrètement, le mouvement du 10 septembre s’installerait, amènerait des canapés et des tables, on pourrait jouer au foot ou au badminton sur l’asphalte. Et pourquoi pas des concerts ? Des fêtes pour alimenter les caisses de grève ? La police arrive ? Que peut-elle faire face à 10.000 personnes sur une 4 voies ? On se défend, on se déplace, on revient, on évite les arrestations. Autant de fois que nécessaire. Jusqu’à satisfaction des revendications.
Il est possible de se relayer sur place pour tenir, d’approvisionner le blocage. De rester aussi longtemps qu’il le faut. Un périphérique à l’arrêt, ce sont des bouchons monstres dans la ville, mais surtout des millions de personnes qui ne vont pas bosser et des centres commerciaux inaccessibles. Donc des millions d’euros de perte sèche par jour et par ville.
Ce serait une nouvelle forme de lutte à mettre en place, un mode d’action supplémentaire qui ne serait ni un combat individuel du genre «Je ne fais pas de courses ce jour là», ni un affrontement rituel, ni un défilé inoffensif. Tout cela ne peut marcher qu’à deux conditions : si ces blocages sont coordonnés, car la police ne peut pas débloquer des dizaines de périphériques en même temps, et durables, pour avoir un véritable impact sur l’économie.
Le pouvoir est logistique. Si les flux s’arrêtent, il est foutu.
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