
Pour les médias des milliardaires, il y a les bonnes et les mauvaises agressions, les bonnes et les mauvaises victimes. Les chaînes de télévision adorent surfer sur le moindre fait divers pour semer la peur et alimenter les discours sécuritaires, mais certaines violences passent sous les radars médiatiques : les actes racistes ou les agressions contre des militants de gauche. Par exemple, vous n’avez sans doute pas entendu parler de ce qu’il se passe à Brest depuis des semaines, alors que la situation est très grave.
Samedi 20 septembre au soir, un commando armé attaque un bar de la Place Guérin, une place connue pour sa vie militante. Une vingtaine d’hommes cagoulés arrivent au pas de course sur la terrasse d’un bar de la place. Ils sont organisés et méthodiques : ils arrosent l’intérieur du bar de gaz lacrymogène avant de passer à tabac les personnes présentes en terrasse. Le commando utilise au moins une batte de base-ball et une matraque télescopique. Les tables et les chaises sont jetées, des verres et des bouteilles explosent, tout va très vite.
Le groupe repart de manière aussi disciplinée qu’il était arrivée, quelques minutes plus tard, en courant. Il laisse derrière lui un bar jonché de débris de verre, et un sol tâché de sang. Les agresseurs ont revendiqué leur acte en criant «Brest est natio» : ce sont des néo-nazis organisés pour semer la terreur.
La ville bretonne, jusqu’ici plutôt épargnée par le vent brun qui s’installe, commence malheureusement à s’habituer à ce climat. Le 30 août dernier, des militants de la France Insoumise participaient à une collecte de fournitures scolaires en faveur du Secours Populaire, juste avant la rentrée. Des individus cagoulés avaient débarqué et agressé le groupe de quatre bénévoles : «Deux d’entre eux, mis à terre, ont été à de multiples reprises frappés, notamment au visage. Pour l’un d’eux, cela fait suite à des menaces de mort» rapportait la presse. «Alors qu’on était en train de ranger, il s’en sont pris à nous. Ils ont poussé deux personnes. Et après, ils m’ont ciblé» expliquait Eddy, l’une des victimes, qui a reçu «cinq coups à la tête», d’autres «dans les jambes», et qui a eu «du mal à se mouvoir et à marcher».
Durant l’attaque, les agresseurs ont hurlé plusieurs fois «Brest est natio». Le même cri de ralliement de la mouvance néo-nazie locale. La scène a eu lieu en plein après-midi et dans l’espace public. Quand la gauche tente de collecter de l’aide sociale, l’extrême droite, en bon chien de garde du patronat et des dominants, attaque l’initiative solidaire.
12 agressions ont été répertoriées ces 5 derniers mois à Brest par le média Street Press : «Une escalade de violences, attribuées à un même groupuscule, en roue libre» selon le média. Ce commando agresse particulièrement des cibles identifiées comme «antifas» ou non-blanches. Street Press évoque plusieurs cas, dont un survenu le 8 août : un jeune homme se promène lorsqu’il aperçoit «un groupe d’une dizaine de personnes dans un parc ». Il explique : «Un type m’interpelle, je trace ma route», avant d’être traité de «p’tit pédé». Le jeune homme porte une veste Harrington rouge et a des piercings, des signes suffisant pour être considéré comme un militant. «T’es pas comme nous, t’es de gauche, ça se voit», lui fait remarquer un des agresseurs, avant que le groupe ne lui «écrase le visage par terre, lui vident ses poches et éclatent son téléphone». La victime se réveillera le visage en sang et sans portefeuille. D’autres victimes ont été interrogées par Street Press, et la liste n’est sans doute pas exhaustive, car certains cas ne se manifestent pas, et que ce groupe semble multiplier les attaques nocturnes depuis des mois.
Après l’assaut du 20 septembre, un appel à manifester contre l’extrême droite et le racisme à Brest a été lancé pour le jeudi 25 septembre, notamment par la Ligue des droits de l’Homme. Un appel qui aurait fait consensus très largement il y a encore quelques années. Mais dans la France en pleine fascisation, le simple mot d’ordre antifasciste se heurte à l’adversité. D’abord, la préfecture a menacé la mobilisation et pris un arrêté d’interdiction de rassemblement dans un large périmètre de la ville, notamment le quartier du port, où se réunissent les fascistes.
Ensuite par une partie de la «gauche», qui renie désormais même la lutte contre l’extrême droite. Le Parti Socialiste de Brest, qui tient la ville depuis des décennies, a refusé d’appeler à manifester. Les socialistes justifient ce refus par la présence du député Insoumis Raphael Arnault qui, lui, se bat réellement contre l’extrême droite. «À chaque déplacement, j’ai l’habitude d’avoir toute l’agitation néofasciste locale, mais le PS, j’avoue que c’est une première», a écrit le député. Mais cela n’étonne même plus, les cadres du PS déclarent à présent régulièrement qu’ils ont plus peur de LFI que de l’extrême droite, et s’accommodent parfaitement d’un futur gouvernement RN, après avoir soutenu celui de Bayrou et de Retailleau.
Malgré ce climat poisseux, la manifestation a fait le plein. Plus de 2000 personnes ont défilé jeudi soir dans la ville, pour affirmer leur opposition résolue à l’extrême droite. Sur le parcours, les policiers ont protégé le «Cocorico», un bar franchouillard qui a servi de base arrière à plusieurs expéditions violentes. Ensuite, les CRS ont massivement gazé le cortège qui tentait de continuer à défiler. L’extrême droite en uniforme au service de l’extrême droite qui attaque les bars, sans surprise. Quelques barricades ont été enflammées en fin de manifestation.
Brest «la rouge», bastion de luttes ouvrières, forte de son histoire sociale, de ses résistance et de ses réseaux militants, n’a pas baissé les armes, loin de là.
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