Mark Bray : un historien de l’antifascisme contraint de fuir les persécutions politiques de Trump aux USA


«Dans l’histoire de l’autoritarisme et du fascisme, ces dirigeants recherchent une situation d’urgence, puis une crise et s’ils n’en trouvent pas, ils la fabriquent» : le professeur d’histoire et spécialiste de l’antifascisme Mark Bray contraint de fuir les États-Unis après des menaces de mort.


Le professeur d’histoire et spécialiste de l’antifascisme Mark Bray contraint de fuir les États-Unis après des menaces de mort, et la couverture de son livre "L'antifascisme, son passé, son présent, son avenir".

Récit d’une instrumentalisation politique

L’antifascisme a été classé officiellement organisation terroriste nationale par un décret de Donald Trump le 22 septembre dernier. Le mouvement est qualifié de «réseau de terroristes de gauche radicale qui vise à renverser le gouvernement par la violence». Cette classification intervient à peine 12 jours après le meurtre de l’influenceur d’extrême droite Charlie Kirk. C’est l’occasion rêvée d’instrumentaliser ce meurtre, attribuée à la «gauche radicale» sans aucune preuve, afin de réprimer toute voix discordante et créer un récit commun au trumpisme. Cette classification ne sert en réalité qu’à criminaliser tout opposant-e à Donald Trump et à sa politique néofasciste.

Mark Bray est un historien spécialiste de l’Espagne, il enseigne à l’Université Rutgers du New Jersey. Il a notamment publié un ouvrage sur l’antifascisme en 2017 : «L’Antifascisme. Son passé, son présent et son avenir», paru en français aux éditions Lux en français. Se revendiquant comme un historien «de gauche», il avait notamment participé au mouvement Occupy Wall Street en 2012, et s’était opposé à l’arrivée de Donald Trump au pouvoir dès 2017.

C’est à cette occasion qu’il avait publié un article intitulé «L’antifascisme au quotidien à l’ère de Trump», qui sert de base à son ouvrage. Il est devenu la cible de l’extrême droite étasunienne depuis un petit moment, cette dernière l’accusant d’être un «antifa». Il a répondu aux questions de Libération dans un entretien le 10 octobre dernier.

Le 25 septembre, Jack Posobiec, animateur télé et suprémaciste blanc proche du pouvoir (il avait notamment participé à un voyage en Ukraine avec le président Trump) publie sur son compte X aux 3 millions d’abonnés le nom et la photo de Mark Bray, accompagné du message : «Domestic terrorist professor» (professeur de terrorisme national). C’est à ce moment qu’il reçoit la première menace de mort : «Tu vas te faire tuer devant tous tes étudiants». Par sécurité, il décide alors de donner ses cours en distanciel depuis chez lui.

En effet, de telles menaces ne sont pas à prendre à la légère dans un pays où le taux de meurtre par arme à feu est 25 fois supérieur à la moyenne mondiale. Andy Ngo, provocateur d’extrême-droite connu pour ses liens avec la mouvance suprémaciste et son intense travail de désinformation sur les antifas, écrit à son tour sur X : «Bray is a financier of antifa and advocates for their violence» (Bray est un financier des antifas et défend leur cause). La trésorière de Turning Point USA (structure fondée par Charlie Kirk) lance une pétition demandant son renvoi, dans laquelle elle le surnomme «Dr Antifa». Cette pétition, si elle a peu d’écho sur le campus, est montée en épingle par la chaîne d’extrême droite Fox News qui en fait un article : la pétition passe de moins de 100 signatures, à plus de 1000.

Les menaces de mort s’amplifient, l’une d’elles allant jusqu’à annoncer «Je vais brûler ta maison et je te tuerai quand tu t’enfuiras». Le 4 octobre, Mark reçoit une nouvelle menace de mort, avec son adresse mentionnée. Il décide alors de se rendre en Espagne avec sa femme et ses enfants, pays qu’il considère comme sa «seconde maison».

Coup de théâtre : alors qu’il se trouve à l’aéroport, et qu’il vient de passer les contrôles de sécurité, son billet d’avion «disparaît» mystérieusement. Il en est sûr, «C’est lié à la réunion qui se tenait au moment même sur l’antifascisme à la Maison Blanche, en présence de certaines des figures d’extrême droite qui ont provoqué mon harcèlement». À l’heure actuelle, la Maison blanche n’a fait aucune déclaration affirmant ou infirmant ce lien, mais le coup de pression est évident : n’importe quel intellectuel peut désormais être pourchassé, menacé de mort, et retenu dans un pays où il est en danger. C’est un acte de terreur. Mark Bray a finalement pu monter dans le vol suivant. Lui et sa femme, également professeure à l’université, continueront à donner leurs cours en ligne jusqu’à la fin de l’année scolaire.

La chasse aux intellectuel-les et aux antifascistes

La haine de la culture, la haine des intellectuel-les, est un leitmotiv des régimes fascistes. L’exemple le plus extrême est celui des nazis organisant des autodafés en mai 1933, réalisant une véritable «décapitation intellectuelle» où plus de 20.000 ouvrages d’Heinrich Mann, Karl Marx ou Kurt Tucholsky sont partis en fumée. D’ailleurs, en 2023, des élus Républicains du Missouri s’étaient déjà mis en scène en train de brûler des livres considérés comme «woke» au lance-flamme.

Le monde de la science et de la culture connaît une véritable censure depuis des années aux États-Unis, mais cela s’accélère depuis l’arrivée au pouvoir de Trump. Début octobre, un rapport fait état de plus de 6.800 livres interdits cette année. Le décret sur «l’abrogation woke» permet quant à lui de détruire toutes les politiques, programmes ou projets de recherche sur des sujets jugés «woke» et donc dangereux pour la sûreté de l’État : le réchauffement climatique et l’environnement, le genre, la diversité, la race, l’inclusion…

Le monde universitaire également est sous le coup de cette chasse aux sorcières. En juillet, l’administration Trump gelait les subventions fédérales de l’université de Columbia, accusée d’antisémitisme pour avoir accueilli des manifestations en soutien au peuple palestinien. Elle était contrainte de signer un accord pour récupérer ses fonds, un accord qui «a été bâti dès le début de manière illégale et contraignante» et est une «extorsion déguisée sous forme juridique» selon David Pozen, professeur de droit à Columbia. Cet accord est «le signe de l’irruption d’un nouveau régime de contrôle par lequel l’administration Trump bouleversera régulièrement et de manière imprévisible le système éducatif et exigera qu’il fasse des concessions».

Un bras de fer a également été engagé avec Harvard sur la question d’un accord similaire. En mars, le ministère de l’éducation annonçait le licenciement de pas moins de 50% de ses effectifs, emboîtant le pas aux licenciements de la NASA. Les USA traversent une nouvelle vague de chasse aux sorcières, une paranoïa d’État visant les fonctionnaires et intellectuels, comme durant la période Maccarthyste, au début de la Guerre froide.

Mark Bray est un intellectuel, mais également considéré comme un «antifa» alors même qu’il explique ne faire partie d’aucune organisation. Il se retrouve donc au carrefour de deux «ennemis intérieurs». « Comme nous pouvons le voir dans l’histoire de l’autoritarisme et du fascisme, ces dirigeants recherchent une situation d’urgence, puis une crise et s’ils n’en trouvent pas, ils la fabriquent » expliquait Mark Bray à France Culture le 12 octobre.

La création de cette crise et de ces «ennemis intérieurs» a connu une nouvelle avancée avec le déploiement de la Garde Nationale dans plusieurs métropoles des USA : Los Angeles, Washington et bientôt Chicago et Portland. Le 30 septembre, Trump rassemblait 800 hauts gradés de son armée et prononçait un discours halluciné. Le président y promettait de défendre les USA contre «une invasion» menée par un «ennemi intérieur», c’est-à-dire les immigré·es, la presse et les opposant·es. Selon lui, le pays serait donc déjà en guerre civile, une guerre qu’il faudrait mener sur son sol contre les forces progressistes, et notamment les «antifas».

Il y a une semaine, un nouveau décret de sécurité de Donald Trump qualifiait les convictions anticapitalistes de signe avant-coureur de violence politique, et criminalise de simples idées.

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