Procédures-baillons : comment l’extrême-droite impose l’hégémonie de son discours à coups d’intimidations

La cancel culture, voilà une expression dont les éditorialistes de CNews adorent se gargariser lorsqu’il s’agit de la gauche qui demande à arrêter de glorifier des esclavagistes ou des violeurs (coucou Gérard Depardieu). Souvent, en vain. L’extrême-droite, elle, serait la victime permanente de médias au service de l’agenda de l’extrême-gauche, d’un service public gangrené par l’islamo-gauchisme… Leur délire victimaire habituel, sans aucun lien avec les faits.
Mais en réalité, la vraie cancel culture, la seule en réalité, vient de l’extrême droite. On se souvient de l’interdiction en mars d’un documentaire de France 5 sur la guerre d’Algérie qui devait montrer au grand public comment la France avait utilisé des armes chimiques interdites. France Télévisions avait décidé de le censurer, quelques jours après la mise à pied du journaliste Jean-Michel Aphatie pour avoir comparé les crimes coloniaux français à ceux de l’armée allemande. En janvier, le maire de Toulouse censurait une exposition sur Gaza. En 2023 à Lyon, un débat sur la police était interdit, et Valérie Pécresse débaptisait le lycée Angela Davis de Saint-Denis. En citer tous les exemples serait une litanie peu enthousiasmante, alors intéressons nous aux derniers exemples.
Tentative de procédure-bâillon contre Le Poing à Montpellier
Le Poing, journal indépendant montpelliérain, s’est vu intenter un procès pour diffamation, comme il le révélait dans un article publié le 14 octobre. Le Poing dénonce et documente depuis plus de dix ans les exactions des nervis d’extrême-droite, et notamment du Bloc montpelliérain, groupe néofasciste local. «Saluts hitlériens, stickers de tanks nazis proclamant que ‘Montpellier, c’est l’Allemagne’, opération commando dans un bar communiste à Alès», les exactions du groupe sont nombreuses.
Le 1er juin 2024, ces nazillons attaquent un militant syndical lors d’un festival. Le militant finit avec une dent cassée et 42 jours d’ITT. Le Poing révèle les prénoms et les initiales des noms figurant sur la plainte. L’un des nervis est condamné à 10 mois de prison avec sursis, un second, Dorian M., attaque le journal en diffamation. C’est ce qu’on appelle une procédure bâillon, dont l’objectif est de mettre un coup de pression au journal afin qu’il cesse de faire son travail de journalisme.
«Cette attaque ne vise pas à établir la vérité, mais à bâillonner un média indépendant qui ne baisse pas les yeux» explique le journal. Le procès a eu lieu le 21 octobre à Paris, et le délibéré sera rendu en décembre. Si Le Poing et condamné, il faudra les soutenir, financièrement.
Censure d’un spectacle historique accusé d’être trop militant
En 2027, le château de Chambord aurait dû accueillir un spectacle de Patrick Boucheron, historien et professeur au Collège de France, et de Mohamed El-Khatib, metteur en scène reconnu à l’international. Mais ce spectacle historique, un son et lumière autour de l’histoire de France, n’était pas vu d’un bon œil par l’extrême-droite locale, vent debout devant le «péril woke».
Le directeur du domaine, Pierre Dubreuil, a donc décidé d’annuler purement et simplement le projet, pour ne «pas être l’otage d’un discours militant». Quand la balance penche à gauche, le discours est forcément militant, alors qu’à droite, il est forcément objectif et neutre. Par exemple, Napoléon est glorifié à longueur d’émissions historiques et par une majorité de la classe politique, alors qu’il était un dictateur sanguinaire qui a rétabli l’esclavage. À l’inverse, dans l’imaginaire commun, la Révolution française et notamment Robespierre ont une image sanguinaire construite par les médias, alors que cet épisode de l’histoire a été bien moins meurtrier que l’Empire.
En histoire comme dans tous les domaines, la neutralité n’existe pas. Si le directeur avance également le coût du projet – 2 millions d’euros – comme argument, il est évident que cela ne sert que de paravent. Pierre Dubreuil évoque une «vision hémiplégique de l’histoire», «d’un camp comme de l’autre», renvoyant ici à la guerre culturelle de l’extrême-droite qui, elle, dispose de son propre parc d’attraction au Puy du Fou de Philippe de Villiers. Un lieu créé en 1989 avec l’objectif assumé de revisiter l’histoire à la sauce réactionnaire, pour contrer la culture progressiste de l’époque.
C’est le succès de ce parc qui a donné des idées à d’autres milliardaires engagés dans la croisade de l’extrême-droite pour imposer son histoire de France complètement inventée et fantasmée, notamment Pierre-Édouard Stérin. Le milliardaire catholique intégriste est entré au capital de Studio 496 (renvoyant à la date du baptême de Clovis), la boîte de Thibault Farrenq, avec qui il avait fondé les Nuits du Bien commun en 2017, qui envisage de devenir la «première franchise de fêtes traditionnelles en France».
Traditionnelles, entendez bien par là : réactionnaires. Une soixantaine de fêtes ont déjà reçu le label en France, bien que certaines se soient élevées contre, et notamment en Bretagne. La fédération des fêtes de culture bretonne appelait en effet cet été au boycott du label. Faire main-basse sur la culture est l’une des armes de l’extrême-droite pour imposer son discours.
Laure Lavalette, députée RN du Var et ancienne militante néonazie, porte plainte contre Var-matin
Laure Lavalette est la députée RN du Var. Proche de Marine Le Pen, elle est aussi proche de la manif pour tous, anti-IVG, catholique intégriste qui écoute la messe en latin tous les dimanches matin. Elle a également tenu des positions pro Algérie française et glorifiait l’attentat du Petit Clamart commis par les terroristes de l’OAS contre le général de Gaulle. Le fascisme chez les Lavalette, on a ça dans le sang : son père faisait partie d’Ordre Nouveau – l’ancêtre du FN fondé par des Waffen SS – et son grand-père était membre des Croix de Feu, groupuscule fasciste fondé en 1927 par d’anciens combattants.
Entre 1996 et 1998, Laure Lavalette dirige la section de Bordeaux du Renouveau étudiant, un mouvement nationaliste et identitaire proche du GUD. Passages à tabac de militants de gauche à coups de barres de fer, voilà le quotidien de sa joyeuse petite bande. Mais elle est surtout devenue le visage de la dédiabolisation du RN, et vise désormais la mairie de Toulon.
Le 3 octobre, Var-Matin publie un article révélant que certains candidats aux municipales locales ne résident pas dans la ville qu’ils convoitent. Laure Lavalette en fait partie. Le journal révèle également sa commune de résidence. Il n’en faut pas plus pour l’élue, qui ne supporte pas que le journal puisse remettre en question sa légitimité à la mairie d’une ville où elle n’habite même pas. Le préfet du Var, Simon Babre, intervient personnellement pour faire pression sur le journal et imposer la correction afin de faire enlever la mention de sa commune de résidence. Mais cela ne lui suffit pas. Elle porte plainte contre le journal pour diffusion d’informations relatives à la vie privée, permettant de la localiser aux fins de l’exposer ainsi que sa famille à un risque direct.
Le directeur de la rédaction et un journaliste de Var-Matin ont été convoqués au commissariat. Cela fait plus d’un an que Laure Lavalette est en guerre contre le journal, qu’elle renommait «Var Mytho» au mois de mai. Le Syndicat national des journalistes dénonçait une «tentative d’intimidation de l’extrême droite contre nos titres, dans un contexte tendu des municipales».
L’extrême droite a toujours eu une vision assez personnelle de ce qu’est la liberté de la presse. N’oublions pas qu’elle compte tout simplement détruire le service public d’information pour mettre l’intégralité du paysage médiatique dans les mains de milliardaires acquis à sa cause. Un travail déjà bien entamé par Macron.
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