Concentré de capitalisme autoritaire : inégalités criantes et carnages contre les pauvres dans l’une des plus grandes villes du Brésil
C’est l’un des paradoxes de notre temps : les guerres menées au nom de l’antiterrorisme font plus de morts que le terrorisme lui-même, et les guerres «contre la drogue» font plus de victimes que la drogue elle-même.
Le 28 octobre, un alignement de dizaines de corps de jeunes hommes en sous-vêtements, certains exécutés d’une balle dans la tête, d’autres emballés dans des sacs mortuaire, étaient visible dans la rue d’une favela de Rio de Janeiro, entouré de proches en larmes, donnant l’impression d’une guerre. À Rio de Janeiro, une opération «contre le narcotrafic» a été lancée dans les quartiers populaires et s’est transformée en massacre d’habitant·es. Avec au moins 132 morts, souvent exécutés sommairement, c’est l’opération la plus meurtrière de l’histoire du Brésil.
Le gouverneur d’extrême droite, Cláudio Castro, a décidé d’envoyer 2500 policiers dans deux favelas, sur fond de campagne électorale, pour mettre en scène une démonstration de force à l’égard de la drogue. Bilan : un massacre de pauvres. Des images prises lors de l’assaut montrent des panaches de fumée noire au-dessus de quartiers du nord de Rio, des bâtiments en flammes, des détonations.
Le mode opératoire des forces de l’ordre ? La guerre. Des unités militarisées, issues de la période de la dictature, entrent dans les favelas avec des blindés et des armes de guerre et tirent sur tout ce qui bouge. Parmi ces unités militarisées et criminelles, les BOPE, Batalhão de Operações Policiais Especiais ou Bataillon des opérations spéciales de police, dont le logo est une tête de mort croisée avec des pistolets. C’est la police militaire de l’État de Rio, et elle est connue dans le monde entier pour sa violence. Il y a même des films à sa gloire.
La police brésilienne est la plus violente du monde. L’élection de Lula, qui a remplacé le président d’extrême droite Bolsonaro, n’a rien changé. Les unités de police militaire dépendent des gouverneurs de chaque État de ce grand pays fédéral.
Dans tout le Brésil, les policiers ont tué plus de 6429 personnes en 2022, soit une moyenne de dix-sept personnes par jour. Rien qu’à Rio en 2024, 703 personnes ont été abattues par les forces de l’ordre. Et les crimes atroces se succèdent. L’un d’eux avait particulièrement choqué le pays : le 25 mai 2022, une vidéo montrait des policiers placer un homme noir et handicapé dans le coffre de leur voiture, avant de jeter une grenade lacrymogène à l’intérieur. Il était mort asphyxié ainsi, en plein jour, au milieu des passant·es. L’eugénisme, la guerre aux pauvres et l’impunité policière en une seule scène de barbarie.
Parmi les autres crimes sécuritaires qui ont défrayé la chronique, la mort de Thiago Menezes Flausino, âgé de 13 ans, tombé sous les balles de la police dans une favela de Rio, dans le célèbre quartier de la Cité de Dieu en 2022. Peu de temps après, une petite fille de 5 ans, Eloá Passos, était tuée d’une balle perdue alors qu’elle était chez elle lors d’une autre opération de la police dans la même ville. En une semaine, au moins 45 personnes étaient mortes lors de ces opérations destinées à lutter contre le trafic de drogue, les écoles des quartiers pauvres avaient été fermées.
Pour se faire une idée du monde qui vient, il faut faire un détour par le Brésil. Les bidonvilles côtoient des îlots de richesse indécente et les gratte-ciels, protégés par des groupes armés. Dans cet immense pays, l’un des plus inégalitaires du monde, où plus de la moitié de la population n’est pas blanche, un militaire néofasciste dirigeait le pays il y a encore trois ans. Et l’écrasante majorité des 1% les plus riches est blanche.
«L’État, ici, il rentre, il tue, et il repart» résumait un habitant d’une favela. Avant les Jeux Olympiques de 2014 à Rio, la police était chargée de «nettoyer» les rues : les sans-abris disparaissaient dans des camps à l’écart de la ville. Une favela qui empiétait sur le futur parc olympique était entièrement rasée et 450 familles devaient quitter les lieux. Au total, plus de 25.000 familles étaient déplacées de force vers les périphéries de la ville. En 2016, année du Mondial de football, les violences policières augmentaient de nouveau, les expulsions aussi.
La Métropole est sous la coupe d’anciens policiers à la tête de groupes armés qui contrôlent des quartiers entiers. Après avoir dit aux habitant·es qu’ils étaient là pour «assurer leur sécurité», ils ont «taxé les commerces, avant de prendre le contrôle de tout ce qui génère des revenus» expliquait une habitante au journal Le Monde en 2022. Ils forment désormais un État dans l’État. Issue des escadrons de la mort, la police militaire dispose de mitrailleuses, d’hélicoptères, de blindés. Ses anciens membres ont fondé diverses milices, qui jouent à la fois le rôle de mafias et de police parallèle. Et elle étaient défendues par le gouvernement Bolsonaro. Le fils du président, aujourd’hui sénateur de la ville, déclarait publiquement que «la ‘milice’ n’est rien de plus qu’un regroupement de policiers (…), qui expurgent des quartiers ce qu’il y a de pire». Ces groupes intimident aussi les ONG, les écologistes et les partis de gauche.
En 2018, une élue de gauche et militante féministe noire, Marielle Franco, était exécutée en pleine rue. Les tueurs étaient d’anciens policiers, chefs de milices, proches du clan présidentiel. L’élue enquêtait justement sur les violences policières avant d’être tuée.
À São Paulo, la plus grande métropole brésilienne en 2024, un policier militaire était filmé en train de jeter un homme d’un pont. Les forces de l’ordre intervenaient pour faire cesser une danse dans la rue. La scène avait été filmée : on y voyait les policiers regarder leur collègue, sans même avoir l’air surpris. Dans cette même ville, en novembre 2024, un enfant de 4 ans avait été abattu par un tir lors d’un échange entre policiers et trafiquants. Au moins 580 personnes ont trouvé la mort lors d’interventions policières dans l’État de São Paulo entre les mois de janvier et septembre 2024, soit une augmentation de 55% par rapport à l’année précédente. À la tête de cet État aussi, on trouve un politicien d’extrême droite, Tarcísio de Freitas. Il se dit partisan du rétablissement de la monarchie et appelle à «tuer» les criminels.
Au Brésil, la guerre est déjà là. Les riches profitent de leur Olympe sécurisé, protégés par des milices, pendant qu’une partie de la population est en malnutrition, survivant sans travail dans des quartiers insalubres. «C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches» écrivait Victor Hugo.
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