Mise en lumière d’un génocide passé sous silence : rencontre avec Cyriane Nsimba, fondatrice de Congo Bolingo


«Bolingo signifie amour en lingala : amour pour notre histoire, pour notre peuple et pour nos luttes»


Photographies de Patrice Lumumba, d'une mine de coltan à ciel ouvert et de soldats tirant à la mitrailleuse en République Démocratique du Congo.

La situation en République Démocratique du Congo (RDC), deuxième pays le plus vaste d’Afrique, ne cesse de se dégrader. Dans les provinces du Nord-Est, la population vit dans la terreur, prise en étau entre une centaine de groupes armés soutenus par des puissances étrangères. Parmi eux, le M23 (Mouvement du 23 mars), appuyé par le Rwanda, cherche à contrôler les ressources naturelles du pays, notamment les minerais stratégiques, souvent qualifiés de minerais de sang en raison des ravages humains et environnementaux qu’entraîne leur extraction. Ces minerais, essentiels à l’industrie numérique et aux technologies dites vertes, attisent toutes les convoitises.

Depuis plus de 30 ans, la RDC paie un tribut humain insoutenable, c’est un vrai désastre humanitaire :

  • 6 à 7 millions de morts directement dues aux combats ou aux violences armées, mais aussi causées par le manque d’accès aux soins, famines, maladies et déplacements.
  • 6,9 millions de déplacés internes (selon l’OIM).
  • Des millions d’enfants, de femmes et d’hommes confrontés à une violence quotidienne : les enrôlements forcés d’enfants soldats, les violences sexuelles massives, la torture, l’exploitation minière illégale, les emprisonnements arbitraires et la destruction des infrastructures de base (écoles fermées, hôpitaux attaqués) rythment le quotidien de nombreuses villes de l’Est du pays.

Un conflit passé sous silence

Malgré l’ampleur du drame, le conflit congolais demeure quasiment absent de la scène médiatique internationale. Ce silence, dans lequel la France joue également un rôle, contribue à l’invisibilisation du peuple congolais et à l’impunité des acteurs impliqués. Dans ce contexte, nous avons rencontré Cyriane Nsimba, fondatrice du collectif Congo Bolingo, pour comprendre les ressorts de ce silence et explorer les moyens de soutenir et faire entendre la voix du Congo.

Aux origines du conflit

Pour comprendre la complexité du conflit actuel, il faut revenir à 1994, au moment du génocide des Tutsis au Rwanda. À la chute du régime hutu, des milliers de miliciens fuient vers l’est du Congo, où ils se réorganisent en groupes armés.

Deux ans plus tard, en 1996, la première guerre du Congo éclate : l’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo), coalition soutenue par Laurent Désiré Kabila et l’Ouganda et orchestrée par le Rwanda, lance une offensive destinée à renverser le président Mobutu Sese Seko. La situation en République Démocratique du Congo (RDC), deuxième pays le plus vaste d’Afrique, ne cesse de se dégrader.

De 1998 à 2003, une seconde guerre éclate, suite aux désaccords au sein de l’AFDL impliquant plusieurs États africains et milices locales, transformant le pays en véritable champ de bataille régional. On parle de grande guerre Africaine.

En 2021, le M23 reprend les armes, relançant une nouvelle insurrection après celle étouffée en 2013 par le gouvernement congolais.

Ainsi, bien que les origines du conflit remontent aux années 1990 et s’enracinent dans les dynamiques issues de l’ordre colonial, la guerre du Congo se poursuit aujourd’hui sous d’autres formes, toujours alimentées par les enjeux géopolitiques et économiques autour des ressources naturelles.

Présentation de Congo Bolingo

L’objectif principal de notre association est d’informer et sensibiliser l’opinion publique, de visibiliser les luttes de nos ami·es congolais·es en partageant leurs témoignages, leurs actions notamment lors de nos événements.

Les fonds récoltés sont reversés à des associations sur place, la plupart fondées par des jeunes de notre âge (70% de la population congolaise a moins de 24 ans) pour leur permettre de faire davantage d’actions de terrain.

L’idée n’est pas de prendre la place et d’agir en impérialistes, mais bien d’être un relais de leur parole et un soutien pour permettre à des initiatives locales d’avoir le plus grand impact possible. Par exemple, nous soutenons la construction d’un espace de vie et de solidarité destiné aux enfants et aux activistes fuyant la région, où des activités artistiques leur permettront de se reconstruire aux côtés de personnes ayant vécu des expériences similaires. Nous sommes convaincues de l’importance de l’art comme appui pour soigner les traumas.

Le corps et l’expression non-verbale sont autant d’outils de soin permettant d’extérioriser, d’envisager et c’est pourquoi nous soutenons des associations comme Congo Street Breaking Art qui intervient à Goma, Ndoto art therapy qui intervient dans de nombreux villages du Kivu et bien d’autres initiatives locales que vous pouvez retrouver sur notre page Instagram. L’objectif est de mettre en lumière le rôle central des Congolais·es dans leur propre lutte, tout en soulignant que notre place, en tant qu’allié·es, est d’agir en soutien et non en substitution.

En quoi l’usage du viol comme arme de guerre s’inscrit-il dans la logique de domination et de contrôle mise en œuvre par les milices armées ?

Une moyenne de 60 viols par jour si on prend uniquement les survivantes ayant bénéficié de soins médicaux. Les chiffres réels sont largement supérieurs. On parle de plus de 30 ans de viols, il y a des générations qui n’ont connu que ça.

Le viol n’est pas utilisé par hasard, ce sont des viols extrêmement violents (des objets tranchants comme des machettes sont utilisés dans les parties génitales des victimes), ils ont pour objectif de détruire la société civile. Ils mènent à la destruction de la cellule familiale dans les villages, dont les femmes, les petites filles, même les bébés – le docteur Mukwege raconte avoir réparé une petite fille de six mois – sont souvent rejetés par leurs proches et doivent partir en exil dans des conditions atroces.

Un film est récemment sorti sur les violences sexuelles en RDC, qui raconte l’histoire du docteur Denis Mukwege. S’il s’agit d’une œuvre importante, elle semble avant tout conçue pour satisfaire l’opinion publique européenne. On y entre davantage dans l’admiration d’un héros que dans la compréhension réelle du conflit et de ses conséquences.

Le film ne donne pas la parole aux premier·es concerné·es : les survivant·es, les communautés, les acteur·ices locaux·les. L’œuvre valorise la figure d’un homme d’exception, mais ne souligne pas son isolement initial : dépourvu de relais humains et ignoré par la communauté internationale, malgré ses interventions répétées dans les espaces décisionnels.

Et après ?

Les spectateurs sortent émus, bouleversés, mais quelle est la suite ? Ces émotions se traduisent-elles par une prise de conscience durable ou par un engagement concret contre un génocide qui dure depuis plus de trente ans ?

Cela dit, aller voir le film reste pertinent, à condition de le faire avec un regard critique : il contribue malgré tout à rendre visible la tragédie congolaise, tout en nous invitant à questionner la manière dont elle est racontée.

Les acteurs du drame congolais : une responsabilité partagée

La crise en République Démocratique du Congo ne peut être comprise sans évoquer les multiples acteurs politiques, économiques et médiatiques qui participent, directement ou indirectement, à son maintien.

Au cœur du conflit, la RDC elle-même, un pays d’une richesse naturelle inestimable, souvent qualifiée de “scandale géologique”. Ses sols regorgent de minerais stratégiques indispensables à l’économie mondiale : le coltan, dont elle détient près de 70% des réserves mondiales, essentiel à la fabrication des appareils électroniques, et le cobalt, dont elle assure près de 75% de la production mondiale, utilisé pour les batteries et les technologies dites vertes.

Autour d’elle gravitent les puissances occidentales (États-Unis, France, Belgique, etc.) et la Chine, devenue un acteur central du marché sino-africain. Toutes partagent un même objectif : s’approprier l’accès à ces ressources. Les multinationales notamment du secteur technologique en dépendent pour maintenir la croissance d’un système capitaliste mondialisé fondé sur la consommation massive de ces matières premières.

Mais derrière les innovations et la “transition verte” se cache une chaîne d’exploitation : ces minerais sont extraits illégalement, souvent par des enfants et des mineurs maltraités, dans des conditions inhumaines. Ils sont ensuite acheminés clandestinement via le Rwanda, intégrant les chaînes d’approvisionnement mondiales, avant d’être blanchis par des sociétés disposant de fonderies et de raffineries. Les grandes entreprises technologiques, elles, profitent du résultat final, tout en fermant les yeux sur l’origine de leurs composants.

Le silence complice des États et des médias

Ce système de prédation ne pourrait perdurer sans la complicité tacite des États et des médias. Les gouvernements occidentaux, comme celui de la RDC, préfèrent fermer les yeux pour préserver la stabilité économique mondiale et les intérêts des élites politiques et industrielles.

Les médias dominants, souvent détenus par les mêmes groupes capitalistes qui profitent de cette instabilité, contribuent à entretenir cette omerta. Ainsi, le groupe Bolloré, propriétaire de Canal+, présent dans toute l’Afrique centrale, aborde à peine la situation à l’est du pays, même au niveau local.

La responsabilité des États est immense. Le gouvernement congolais n’agit pas à la hauteur de la tragédie. Les dirigeants qui ont tenté de rompre avec ce système de dépendance ont été réduits au silence ou assassinés, à l’image de Patrice Lumumba, dont le corps fut dissous dans l’acide après avoir été torturé à mort.

Cette situation découle aussi d’un héritage colonial profondément ancré. La Belgique, ancienne puissance coloniale, a fait de la RDC la propriété privée du roi Léopold II, responsable de crimes coloniaux d’une atrocité inédite. Les États occidentaux doivent reconnaître et réparer ces crimes, notamment sur le plan financier et diplomatique, en soutenant une véritable indépendance congolaise qui, aujourd’hui, n’est encore que symbolique face aux ingérences étrangères. La France, pour sa part, porte également une responsabilité historique : elle a participé à la conférence de Berlin (1884-1885), où l’Afrique a été découpée comme un gâteau entre puissances coloniales, et continue de soutenir des régimes alliés, notamment le Rwanda, acteur clé du pillage des ressources congolaises.

La pratique coloniale du “diviser pour mieux régner” a durablement fracturé le tissu social congolais, exacerbant les tensions. Ce schéma de domination, initié à l’époque coloniale, se perpétue aujourd’hui sous des formes économiques et géopolitiques modernisées.

Ressources d’informations et comptes à suivre

Pour se renseigner sur la situation en RDC nous vous invitons à suivre les comptes suivants, ainsi que plusieurs lectures.

Comptes Instagram à soutenir

@congobolingo

@congostreetbreakingart

@focuscongo

@heartistcompagnie

@tungaart.lab

@ndoto_art_center

Comptes importants pour suivre l’actualité

Ouvrages et essais

  • Claude Nsal’onanongo, Les guerres à l’Est de la RD Congo : entre génocide et statocide, Éditions universitaires africaines.
    → Analyse interne des dynamiques de guerre et de l’effondrement étatique.
  • Didier Mumengi, Le Congo et les Grands Lacs : la paix tout de suite… Pourquoi et comment ?, L’Harmattan, 2024.
    → Essai politique engagé pour la souveraineté congolaise.
  • Roc Thomas Kiyirembera, L’interventionnisme du Rwanda en République Démocratique du Congo, L’Harmattan.
    → Étude critique des ingérences régionales dans l’Est du Congo.
  • Denis Mukwege, La Force des femmes, Éditions de l’Archipel, 2018.
    → Témoignage du médecin congolais et prix Nobel de la paix.
  • Patrice Lumumba, Le Congo, terre d’avenir, est-il menacé ? (Discours et écrits politiques), Présence Africaine.
    → Texte fondateur du nationalisme anticolonial congolais.
  • Georges Nzongola-Ntalaja, The Congo from Leopold to Kabila : A People’s History, Zed Books, 2002.
    → Historien marxiste congolais, classique de l’historiographie populaire du Congo.
  • Jean Omasombo Tshonda (dir.), La République démocratique du Congo contemporaine, Karthala.
    → Excellent travail collectif, rigoureux, sur l’État congolais et ses contradictions.

Articles et rapports

  • Valentine Dewulf, « Sur la relégation au Congo belge », Congorum.be.
    → Réflexion sur les hiérarchies raciales et sociales du Congo colonial.
  • Rapports du PNUD et de l’OCHA, Analyse du contexte géopolitique des Grands Lacs.
    → Données et témoignages contemporains.
  • Jean-François Bayart, L’État en Afrique : la politique du ventre, Fayard.
    → Lecture critique de la formation des États postcoloniaux (vision matérialiste).

Documentaires

  • Raoul Peck, Lumumba : mort d’un prophète (1992) ; Lumumba (2000).
    → Classiques anticoloniaux, indispensables pour comprendre la symbolique de Lumumba.
  • Thierry Michel, L’homme qui répare les femmes : la colère d’Hippocrate (2015).
    → Autour du combat du Dr Mukwege, contre l’impunité et le viol de guerre.

Podcasts et médias alternatifs

  • Cases Rebelles, L’activisme intersexe au Congo RDC (avec Ginette Ntumbi Tukelebawu et GIDE).
    → Perspective queer et militante, ancrée dans les luttes locales.
  • Afrotopic (podcast), épisodes sur la guerre du Congo et la mémoire coloniale belge.
    → Approche décoloniale et critique des récits médiatiques.
  • Médiapart Afrique, dossiers spéciaux sur les ressources minières et la politique congolaise.
    → Enquêtes journalistiques sur les enjeux économiques et géopolitiques contemporains.

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