Insolite : le RN et les macronistes s’accusent mutuellement d’être anticapitalistes


Darmanin décrit Jordan Bardella comme un «communiste économique», Bardella trouve que le gouvernement applique une «politique socialiste»


Darmanin décrit Jordan Bardella comme un «communiste économique», Bardella trouve que le gouvernement applique une «politique socialiste». Pour illustrer cette situation absurde, deux Spiderman se pointent du doigt.

Nous vivons une époque dangereuse à bien des égards. L’un des périls de notre ère est le mensonge généralisé et le régime de confusion permanent entretenus par les dirigeants du monde entier. Ils nous empêchent de réfléchir et de penser la situation. Par exemple, au sujet de l’économie : le RN comme les macronistes, deux partis néolibéraux, s’accusent mutuellement de «socialisme», alors que la France n’a jamais connu autant de plans d’austérité.

Côté pile : Gérald Darmanin n’a pas hésité, dans une interview donné au journal Les Échos, à qualifier le président du RN Jordan Bardella de «communiste économique» qui pratiquerait «la taqiya» dans ce domaine. Selon le ministre de la justice, le RN jouerait un double jeu vis-à-vis des entreprises. Une déclaration lunaire qui mérite une mise au point et ne reflète pas du tout la réalité.

La taqiya est un mot arabe qui signifie se protéger et prendre garde. Pour les musulmans, le terme veut dire «dissimulation» quand il s’agit de cacher sa croyance en cas de danger. L’extrême droite a dévoyé le sens du mot pour insinuer que les personnes qui pratiquent l’islam seraient des adeptes de la duperie, et qu’il faudrait donc s’en méfier par défaut, qu’il est impossible de leur faire confiance. On pourrait rire qu’un garde des sceaux islamophobe accuse un autre islamophobe, Jordan Bardella, de pratiquer une «taqiya» communiste si ce terme ne servait pas à mettre une cible dans le dos de millions de personnes.

Côté face, Jordan Bardella estime que la France est actuellement un «régime socialiste», trop généreux, qui aide trop les chômeurs et les personnes dans le besoin. En clair le RN, qui prétend être le parti des «petites gens» – tant qu’ils sont blancs – et qui joue sur la fibre sociale pour mieux tromper son électorat, estime que Macron, qui a mené la plus grande offensive néolibérale de l’histoire récente, qui a fait exploser le niveau de pauvreté, reculer les retraites et diminuer massivement les droits au chômage, serait «socialiste». Cela a le mérite d’être clair : le RN au pouvoir, ce serait du macronisme en plus radical : encore plus de répression, du racisme encore plus violent, et des coupes dans les services publics encore plus dures.

Mais revenons au communisme supposé du président du Rassemblement National et au «socialisme» macroniste en matière économique…

Que sont le socialisme et le communisme ? Initialement, les deux termes se confondent. C’est d’abord une doctrine politique élaborée par Karl Marx et Friedrich Engels au 19ème siècle, une période traversée par de nombreux soulèvements populaires et bouleversée par la révolution industrielle. Elle est basée sur une analyse de la société capitaliste, en d’autres termes de la société de classes où il existe de facto un rapport antagoniste entre deux forces aux intérêts divergents. La classe bourgeoise d’un coté, les riches, propriétaires des moyens de production qui exploitent la force de travail de leurs salariés, et le prolétariat de l’autre.

Une fois que l’ouvrier a reproduit pour l’entreprise, pour l’usine ou la manufacture sa force de travail (c’est-à-dire reproduit son salaire), les heures restantes qu’il passe de son activité productive vont être consacrées à continuer de créer de la richesse. C’est ce qu’on appelle en économie la plus-value, ou chez les marxistes le sur-travail. Sous le capitalisme, l’escroquerie intervient ici puisque le produit de cette plus-value, de cet excès de richesse produite par un salarié, va aller directement dans les poches des patrons et/ou des actionnaires. Cette richesse ne sera donc pas redistribuée et utilisée pour le bien commun, pour de meilleures services sociaux ou de santé. Ce vol de la bourgeoisie en bande organisée des classes populaires a un nom : le capitalisme. Ce système renforce les inégalités sociales et économiques. Une métaphore adaptée de la situation dans laquelle nous évoluons consisterait à dire que les riches se sont constitués en mafia et rançonnent les travailleurs.

Une fois cette analyse produite, Marx et Engels assument vouloir détruire la société capitaliste. Ils écrivent le Manifeste du Parti Communiste en 1848. Un programme pour arriver par étape à une révolution sociale. Ils proposent donc, pour mettre à bas l’ordre bourgeois, de socialiser les moyens de production – organiser le collectivisme économique, la gestion collective de l’outil de travail et de la production par les travailleurs eux-même – grâce à un État qui serait dirigé par le parti des prolétaires. Le but est d’arriver à une société sans classes, donc sans inégalités, un monde débarrassé des patrons et du salariat.

Une fois qu’on a expliqué cela, on a vraiment du mal à voir une quelconque filiation entre l’idéologie marxiste ou le socialisme, et le libéralisme autoritaire et raciste du RN et des macronistes. Ni Bardella ni Darmanin ne veulent socialiser les industries, abolir la propriété privée et mettre fin aux inégalités… On pourrait même aller plus loin, le PS n’est évidemment pas «socialiste» au sens historique, et le PCF n’est pas «communiste». Même la France Insoumise ne propose qu’un programme keynesien, qui ne vise pas la fin du capitalisme mais une meilleure répartition des richesses. L’échiquier politique a basculé tellement à droite que des partis de centre-gauche sont qualifiés d’extrême gauche dans les médias, et que prôner le vrai socialisme, celui qui consisterait à exproprier les patrons et à laisser les travailleurs décider pour eux-mêmes est tout simplement absent du débat public.

On le rappelle, le Rassemblement National a été fondé par une ribambelle d’anciens SS, de pétainistes et autres collaborationnistes au début des années 1970. Les fondateurs du Front National sont tous issus de mouvements politiques fascistes qui ont été et sont toujours violemment anti-communistes. Le symbole du parti ? Une flamme tricolore copiée sur le logo du MSI, un mouvement de nostalgiques de Mussolini en Italie.

Historiquement les militants communistes ont toujours été réprimés, enfermés voire assassinés par les extrêmes-droites européennes au pouvoir. Aujourd’hui encore, le RN abrite des néo-nazis dans ses rangs. Quand Darmanin dit que Bardella est un communiste économique, il a soit consommé des psychotropes extrêmement puissants, soit c’est une stratégie assumée pour brouiller les pistes et faire croire au patronat français que le parti de Marine Le Pen constituerait une menace pour les riches car trop social et redistributeur.

En fait, ni Bardella ni Darmanin ne pensent ce qu’ils disent. Leurs deux forces politiques votent ensemble à l’Assemblée depuis des années contre la hausse du SMIC ou contre les taxations. Cette mise en scène est une surenchère entre néolibéraux. Dans un article du 7 octobre 2025, nos confrères de Streetpress mettaient en lumière l’activité du groupe d’extrême droite à l’Assemblée nationale : sur les sujets liés à l’économie et aux finances, ils démontrent «une véritable stratégie de séduction des milieux patronaux», et qu’une analyse lexicale des amendements RN révélait un «tropisme net» en faveur du patronat avec «un usage récurrent des registres anti-régulation ou de simplification» et «pro-industriel ou sur la souveraineté industrielle».

Cette fausse opposition est donc une mise en scène, une manière, pour le RN comme pour les macronistes, de cacher leur alliance bien réelle au service des riches, et de glisser la fenêtre politique toujours plus à droite en détruisant le sens des mots.

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