Les multinationales à l’assaut des universités


Thalès, Total Énergies, McKinsey, Dassault ou L’Oréal : bienvenue dans les coulisses de l’ingérence des entreprises privées et lobbies en tout genre dans l’Enseignement supérieur français


Un amphithéâtre vide : bienvenue dans les coulisses de l’ingérence des entreprises privées et lobbies en tout genre dans l’Enseignement supérieur français

L’Enseignement Supérieur et de Recherche (ESR) français a longtemps été présenté comme un modèle : un système profondément républicain, assurant l’égalité des chances pour toutes et tous. Et un enseignement indépendant, ne reposant sur aucun financement privé pouvant altérer la qualité de ses apprentissages. Mais derrière ce paravent se cache une réalité : le sous-financement structurel des universités et écoles françaises a conduit ces dernières à avoir recours à des financements privés de plus en plus massivement. Et, en conséquence, à perdre peu à peu leur indépendance. Pourtant, «le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique» stipule le code de l’Éducation.

Le projet Entreprises Illégitimes dans l’Enseignement Supérieur (EIES), fondé par un collectif d’étudiant·es et d’alumnis – ancien·nes élèves de grandes écoles – et soutenu par l’Observatoire des multinationales et Data for Good, entend cartographier l’ensemble des entreprises influençant les 30 principaux établissements d’enseignement supérieur français (Les Mines Paris, AgroParisTech, Centrale Lyon, Polytechnique, HEC, l’Université Paris Dauphine ou encore Sciences Po Paris, etc). Le constat est sans appel : l’ESR a perdu son indépendance et est massivement contrôlé par des entreprises et lobbies privés qui orientent l’enseignement.

Une influence opaque et multiple

Les entreprises qui financent les établissements d’enseignement supérieur le font de manière très opaque : 55% des contreparties financières ne sont pas divulguées par l’établissement, pour respecter le «secret des affaires» de ces entreprises. Un véritable scandale, puisque la majorité de ces établissements sont publics, et donc soumis à un devoir de transparence. Les chercheur·ses ont demandé à avoir accès à certains documents : accès refusé.

Le rapport dévoile qu’un petit nombre d’entreprises détient un quasi monopole sur les financements des ESR. Et celles-ci sont des entreprises criminelles : «Globalement, sur les 20 entreprises les plus présentes dans l’ESR, 5 produisent des armes [Thales, Safran, Dassault, Naval Groupe, Airbus], 2 du pétrole [TotalÉnergies, Vinci], 3 sont des banques françaises extrêmement polluantes [BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale], 7 sont dans l’industrie lourde [Safran, Thalès, Bouygues, Vinci, Saint-Gobain, Dassault, Airbus], et seulement 4 n’ont pas été condamnées par la justice ou impliquées dans des scandales sociaux ou environnementaux» expose le rapport.

Sur le podium des multinationales les plus influentes : Safran, l’Oréal, SopraSteria. Ces dernières ont «une implantation quasi-systématique» dans plus d’un établissement sur deux. On retrouve également EDF, Orange ou encore LVMH. En outre, «certaines startups véhiculent également une image de la société fondée sur l’extrême-performance, aveugle aux enjeux sociaux et politiques». De quoi former des étudiants et étudiantes formaté·es et biberonné·es à la start up nation chère à Macron et ses sbires.

Cette ingérence peut prendre différentes formes : arroser les établissement d’argent, notamment en finançant des «programmes d’études et de recherches qui biaisent profondément l’enseignement», tenir des chaires et donner des cours, voire même siéger dans les instances de gouvernance. Ainsi, Thalès, spécialisée dans la surveillance et impliquée dans la construction des logiciels de drones de combat utilisés dans la bande de Gaza, est présente dans 7 conseils d’administration, Bouygues dans 6. Certaines entreprises ont recours à des «Contrats Marque Employeur» qui transforment littéralement les établissements et l’espace de vie des étudiant·es en «un terrain de surenchères publicitaires».

Les lobbies internationaux ont aussi une place de choix : le célèbre cabinet McKinsey, cabinet de conseil privé américain qui dirige littéralement la France depuis 2017 et l’arrivée au pouvoir de Macron, est présent dans 7 conseils d’administration. Durant le premier quinquennat Macron, McKinsey a empoché 72 millions d’euros de contrats. Cet argent est mis judicieusement à profit : 8 établissements d’enseignement français sont arrosés par McKinsey, quand ce ne sont pas directement des lobbyistes de McKinsey qui animent les cours. Ainsi, le cours d’économie d’entreprise de l’École polytechnique est assuré par un ancien de McKinsey et de chez Thalès.

Un exemple concret : la prestigieuse école Polytechnique dépend aujourd’hui à 15% des financements privés. La majeure partie de son financement provient par ailleurs… du ministère des Armées. TotalÉnergies finance notamment la chaire «Défis technologiques pour une énergie responsable» à hauteur de 3,8 millions d’euros. La plateforme Uber finance la chaire «Integrated urban mobility» (mobilité urbaine intégrée). Vous voyez le problème ?

Le Collège de France : la fin de l’indépendance

Historiquement, le Collège de France est une originalité : crée en 1530, il est un lieu qui donne des cours «gratuits, non diplômants et ouverts à tous sans condition ni inscription». C’est un lieu qui prône également l’indépendance. Mais cette dernière a subi de graves attaques. Déjà cet été, la revue XXI révélait la signature d’une Convention de 26 pages entre TotalÉnergies et le Collège.

En échange de 2 millions d’euros, ce dernier s’engage à éviter «toute communication directe ou indirecte, écrite ou orale, susceptible de porter atteinte à l’image et à la notoriété» de Total. TotalÉnergies s’assurait en prime de l’animation de 2021 à 2026 de la chaire Avenir Commun durable, dont l’ambition est de «croiser leurs expertises scientifiques, diffuser des données fiables pour contrer les fausses informations et alerter sur l’absolue nécessité d’agir». Alors même que la firme vient d’être condamnée pour greenwashing par le tribunal judiciaire de Paris. Le tribunal a en effet retenu les mensonges de la firme qui se vantait auprès de ses clients d’être un «acteur majeur de la transition énergétique», alors même qu’elle continue à augmenter ses financements dans les énergies fossiles.

Autre fait gravissime : le Collège de France a annulé un colloque sur la Palestine qui devait se tenir les 13 et 14 novembre prochain, intitulé «La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines», organisé par Henry Laurens et le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep Paris), sous la pression du gouvernement et des sionistes. La Licra avait en effet invoqué une «foire antisioniste» et indiqué faire appel au ministre de l’enseignement supérieur Philippe Baptiste. «On n’a pas eu une affaire de cet ordre au Collège de France depuis le Second Empire» expliquait le professeur Henry Laurens.

Ainsi, l’indépendance et la poursuite du bien commun de l’Enseignement supérieur et de la recherche semble n’être plus qu’un lointain souvenir.

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