Cauchemar électoral au Chili : un candidat d’extrême droite aux portes du pouvoir

En haut : le Chili lors du grand soulèvement populaire de 2019.
En as : Antonio Kast, candidat d'extrême droite aux portes du pouvoir.

Le Chili éblouissait le monde en 2019, avec une immense révolte sociale qui avait failli renverser le régime et inaugurer une nouvelle ère. Cinq ans plus tard, c’est un candidat d’extrême droite, fils d’un ancien soldat nazi ayant émigré au Chili, qui est aux portes du pouvoir. Que s’est-il passé ? Analyse d’un cauchemar électoral.

Dimanche 16 novembre, les chiliens et les chiliennes étaient appelé·es aux urnes dans le cadre des élections présidentielles. Les résultats sont inquiétants : la candidate de la coalition de gauche au pouvoir, Jeanette Jara, arrive en tête mais avec un résultat plus bas qu’annoncé. Elle atteint 26% des voix, avec une faible réserve pour le second tour. Face à elle, le champion de l’extrême droite, José Antonio Kast, qui cumule 24% des votes. Derrière lui, il y a plusieurs candidats de droite et d’extrême droite : il est donc largement favori pour le second tour.

Le Chili est sorti de la dictature militaire d’Augusto Pinochet en 1990. En 1973, l’armée avait réalisé un coup d’État contre le gouvernement de gauche de Salvador Allende : Pinochet, soutenu par les USA, avait exterminé les groupes révolutionnaires, interdit les mouvements de gauche, et appliqué un programme ultra-libéral et autoritaire pendant 17 ans. Avec José Antonio Kast, l’histoire bégaie : l’extrême droite héritière de Pinochet risque de revenir au pouvoir.

Pour comprendre comment le Chili en est arrivé là, il faut remonter quelques années en arrière. À l’automne 2019, un mouvement de protestation contre la hausse du prix des tickets de métro éclate à Santiago, la capitale chilienne. Le gouvernement réprime extrêmement brutalement la contestation. Cette violence donne lieu à une riposte populaire massive : des émeutes éclatent, les villes se couvrent de barricades, et les syndicats chiliens appellent à la grève générale. Des millions de personnes sortent dans la rue en solidarité.

Le gouvernement de droite libérale de l’époque est mis en échec. Le Régime est en crise : le mouvement arrache de nombreuses concessions, notamment des augmentations de salaires, des protections sociales et un système de santé public qui avaient été détruits durant la dictature de Pinochet. Le mouvement obtient ensuite une réécriture de la Constitution du pays par une Assemblée Constituante. Pour la première fois depuis longtemps, une mobilisation de rue semble toute proche de se transformer en processus révolutionnaire. Mais le mouvement est vite canalisé par un processus institutionnel qui va doucher les espoirs.

Gabriel Boric, jeune candidat de gauche, est élu en 2022 avec un programme de rupture. Premier échec en septembre 2022 : un référendum rejette largement le projet de nouvelle Constitution qui proposait de nouveaux droits sociaux et politiques. Une intense campagne des médias de droite et des lobbys néolibéraux, ainsi qu’un gouvernement de gauche trop timoré ont provoqué ce statu quo. La Constitution de Pinochet reste donc en vigueur. Cette défaite entraine de nouvelles émeutes dans les rues, et des manifestations étudiantes fortement réprimées. En prime, l’inflation explose au Chili comme dans le reste du monde.

Le gouvernement de Gabriel Boric déçoit : il avait promis de grands changements et de barrer la route au fascisme. À la fin de son mandat, c’est le résultat inverse. Alors qu’il était porté par un grand mouvement social, le dirigeant s’est enfermé dans une stratégie «responsable» et institutionnelle, un peu comme le PS en France. Boric a reculé sur les réformes les plus importantes, il s’est aligné sur le programme sécuritaire de la droite, il a déployé l’armée dans le sud du pays contre le peuple Mapuche, et il a même fait passer une loi intitulée Nain-Retamal, qui favorise l’impunité des policiers. Pour compenser, quelques avancées sociales ont tout de même été obtenues : le temps de travail a été diminué. Mais à chaque progrès, Boric a fait des concessions au patronat, par exemple en flexibilisant le travail. Il a augmenté les retraites, mais a renforcé le système de pensions privées. Un «en même temps» très loin des attentes du soulèvement de 2019.

Ainsi, la campagne électorale qui s’achève a peu parlé de questions sociales, mais a été monopolisée par les discours sur l’insécurité. José Antonio Kast a axé tous ses discours sur la promesse d’expulsions massives, la construction d’un mur à la frontière, une hausse de la puissance de feu de la police et le déploiement de l’armée dans les zones indigènes et les villes considérées comme criminogènes. Bref, le modèle trumpiste qui triomphe un peu partout.

Jeannette Jara, militante issue des rangs communistes, aurait pu porter un discours de rupture, et opposer à ce candidat une ligne frontale. Elle a choisi l’option sociale-démocrate : elle s’est alliée avec des partis de centre-gauche et modérés au sein d’un «Frente Amplio». Elle a adopté les accents répressifs de ses ennemis, en déclarant que n’a «aucun complexe en matière de sécurité» et en proposant un «contrôle migratoire renforcé». En France comme au Chili, quand la gauche aligne ses idées sur ceux de la droite et joue la carte de la respectabilité, c’est tout l’échiquier qui se radicalise du côté réactionnaire.

Ainsi, ce front de centre-gauche arrive légèrement en tête au premier tour, mais il est dans une situation très difficile pour le second. Jeannette Jara va donc affronter José Antonio Kast, lui même soutenu par Johannes Kaiser. Ce candidat libertarien, qui s’inspire du président argentin Milei, et qui est lui aussi d’origine allemande, tient un discours encore plus dur contre l’immigration et veut envoyer les sans-papiers ayant un casier judiciaire dans les méga-camps de prisonniers du Salvador de Nayib Bukele.

Une autre candidate de droite plus classique se nomme Evelyn Matthei, et recueille 14% des voix qui se reporteront probablement sur Kast. Enfin, un économiste démagogue, Franco Parisi, a réalisé une percée, avec près de 20% des voix. Il est sur une ligne «centriste», piochant des idées à droite et à gauche, et son slogan est «ni facho, ni communiste». Il est difficile d’anticiper de quel côté se reportera ce gros réservoir d’électeurs.

La situation du Chili nous rappelle que les révolutions manquées ouvrent la voie aux fascistes. Le second tour aura lieu le 14 décembre.

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