Esprit Charlie, où es-tu ? Rafale d’attaques contre la liberté d’expression

Quelques illustrations de l'esprit Charlie qui règne dans notre pays.

Les vieillards réactionnaires qui occupent les plateaux télé ont raison : «On ne peut plus rien dire». Ces éditorialistes sont ridicules, car on n’entend malheureusement que leurs idées moisies sur toutes les chaînes de télévision depuis des années. Ils se prétendent censurés alors que la seule vraie pensée unique, c’est la leur.

En revanche, en France en 2025, on ne peut plus tenir le moindre discours critique à l’égard du gouvernement, plus manifester, plus émettre la moindre réserve contre le patronat, plus dénoncer le racisme… Bref, c’est vrai : on ne peut plus rien dire. Quelques exemples sidérants ces derniers jours.

La cheffe de la CGT mise en examen

C’est tout simplement du jamais vu. Depuis des mois, des syndicalistes CGT sont réprimés de plus en plus durement, lors de manifestations ou pour avoir soutenu la Palestine, mais cette fois-ci, c’est la secrétaire générale du syndicat, la numéro 1 Sophie Binet, qui est mise en examen pour «injures publiques». Elle n’est pourtant pas très combative. Elle disait qu’elle ne voulait «pas la chute du gouvernement Lecornu» à la rentrée, et refuse obstinément d’engager le moindre rapport de force contre le plan d’austérité et la militarisation en cours.

Et pourtant, elle se retrouve criminalisée. Le 31 janvier dernier, sur RTL, elle commentait les menaces de Bernard Arnault, propriétaire du groupe LVMH, qui disait vouloir délocaliser dans les USA de Trump. Elle avait répondu : «Ce chantage à l’emploi, on n’en peut plus. Leur seul objectif, c’est l’appât du gain, les rats quittent le navire. Ses propos, ses comportements sont à l’image du comportement des grands patrons aujourd’hui qui coulent le pays». Rien de bien radical, des propos classiques de syndicaliste.

Pourtant, la patronne d’extrême droite Sophie de Menthon, présidente du mouvement Ethic, proche de Marine Le Pen et ultra-libérale, a porté plainte. La justice aurait pu classer sans suite, comme elle sait très bien le faire en cas de violences policières. Mais pour cette simple expression imagée de la langue française, «les rats quittent le navire», Sophie Binet vient d’apprendre qu’elle était poursuive. La CGT dénonce, une «énième procédure-bâillon». Cela devient habituel, mais cela crée des précédents.

Le ministre de l’Intérieur porte plainte contre un jeu

Le poste de ministre de l’Intérieur n’a pas besoin d’être occupé par un être humain, si tenté que Laurent Nunez en soit un. Il suffit d’une photocopieuse à plaintes dans les locaux des syndicats policiers d’extrême droite, ça coûterait moins cher. Il y a deux semaines, le ministre portait plainte contre l’humoriste Pierre-Emmanuel Barré, qui s’était moqué de la police dans une chronique sur radio Nova. Quelques jours plus tôt, il déposait une autre plainte contre des élus de la France Insoumise qui avaient déclaré que «la police tue». Et à chaque fois, il le faisait à la demande de syndicats policiers.

Cette fois-ci, c’est contre un jeu de société que Laurent Nunez saisit la justice. Celui-ci vient d’être mis en vente par la maison d’édition Libertalia et le collectif La Horde. Intitulé «Fachorama», il se présente comme une boite rectangulaire contenant des cartes, à la manière d’un jeu des 7 familles. Il s’agit de reconnaître différents types de militants d’extrême droite.

Parmi les exemples, une des cartes montre un homme avec une plaque de policier, un pistolet et un tee-shirt frappé de la tête de mort stylisée du Punisher, un personnage de fiction faisant justice lui-même, prisé par les fascistes et les policiers. Ce personnage est surnommé «flic raciste de la BAC» et appartient à l’une des familles de «fachos».

Inacceptable pour le syndicat Alliance, qui s’y connait bien, puisqu’il publie lui même des communiqués d’extrême droite et défend à longueur d’année des policiers racistes et violents. Il dénonce une «insulte » contre la police», le 3 décembre. Quelques heurs plus tard seulement donc, Laurent Nunez déposait plainte.

On peut se consoler en se disant que, depuis cette plainte, le jeu est en rupture de stock, et a bénéficié d’un joli coup de pub. En 2022, un jeu de la même maison d’édition, nommé «Antifa», avait été retiré des rayon à la demande d’un syndicat policier, déjà, avant d’être remis en rayon et de faire un carton.

Un médecin engagé contre la Loi Duplomb convoqué

Le 3 décembre, un médecin généraliste de Charente est convoqué à la gendarmerie d’Angoulême. Son crime ? Il a critiqué la Loi Duplomb, cette loi écrite par le lobby agro-industriel, qui facilite notamment l’usage de pesticides, et qui avait été vivement dénoncée par une pétition signée par plus de 2 millions de personnes.

Ce médecin donc, a dénoncé «l’obscurantisme» de la députée RN Caroline Colombier durant l’été. L’élue d’extrême droite était fortement engagée en faveur de la loi. Le médecin avait aussi écrit en réponse à ses propos : «Heureusement que le ridicule ne tue pas, vous seriez morte deux fois dans la même interview».

La députée a porté plainte pour «outrage envers un agent dépositaire de l’autorité publique» et le médecin a été convoqué, auditionné, et a dû donner ses empreintes : «En pleine semaine de travail, au milieu de mes consultations et visites médicale». Ce docteur dénonce «une procédure bâillon». Une de plus.

Explosion des interdictions de manifester

À Nantes, le 4 décembre, un chanteur franco-israélien se produisait au Zénith. Alors que des appels à manifester circulaient, la préfecture a interdit tout rassemblement sur une large zone. À Poitiers le 3 décembre, des militants étaient jugés en appel pour avoir organisé une manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline, en 2022. Et la préfecture a, là aussi, interdit toute manifestation de soutien devant le tribunal. Une belle mise en abyme de la disparition du droit de manifester.

En France, le nombre d’interdictions de manifester explose. Dans son rapport publié l’an dernier, l’ONG Amnesty International accusait les autorités françaises d’imposer «à de nombreuses reprises des restrictions excessives, disproportionnées et illégitimes du droit de manifester».

La France était déjà l’un des seuls pays du monde, à l’automne 2023, à interdire toute manifestation pour la Palestine sur la voie publique. Avant cela, un rapport de la Cour des comptes sur le maintien de l’ordre montrait la forte augmentation des interdictions de manifester à Paris. Elles étaient rarissimes voire inexistantes en 2017, quand Macron est arrivé au pouvoir. Il y a eu plus de 350 interdictions de manifestations à Paris pour l’année 2022, quasiment une par jour en moyenne. On l’a vu récemment, les manifestations du mouvement «Bloquons tout» ont été interdites et réprimées absolument partout avec une férocité totale.


«Essayez la dictature», déclarait Macron en 2020. Au pays de Charlie, nous y sommes déjà, à bas bruit.


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