16 à 22 ans de prison pour avoir organisé des lectures marxistes, enfermement pour avoir critiqué la guerre, enfants en prison, camps de travail… État des lieux d’une dictature militariste en Russie.

Lundi 15 décembre, la justice russe classait le groupe punk des Pussy Riot comme étant une «organisation extrémiste». Ces artistes contestent dans leurs chansons le régime de Poutine et la guerre en Ukraine, et subissent depuis des années une forte répression. Au même moment, le média Révolution Permanente révélait les punitions délirantes visant cinq militant de gauche en Russie. Le tribunal de Oufa les a condamné à des peines de prison de 16 à 22 ans… Pour avoir simplement organisé des discussions et des lectures marxistes !
Dans un pays où les richesses sont captées par une poignée d’entrepreneurs véreux qui font main basse sur les ressources, un simple échange sur la juste répartition de la valeurs produite par les travailleurs, ou sur l’organisation et l’autonomie ouvrière doit effectivement donner des poussées urticantes aux oligarques. À titre de comparaison, ces condamnations sont l’équivalent de lourdes peines de prison pour des affaires criminelles en France. Mais ici on parle simplement d’un club de lecture.
On le sait, la Russie de Poutine est l’un des régimes les plus répressifs du monde. Il est difficile pour la population de lever le petit doigt sans risquer littéralement sa vie. S’opposer aux autorités russes relève d’un courage hors norme, et les mises à mort organisées par la police politique, les décennies de peines de prison prononcées par des juges aux ordres et les déportations dans les camps de travail ont toujours cours dans ce pays-continent à cheval entre l’Europe et l’Asie.
Cette répression démesurée s’inscrit dans un continuum historique répressif, qui s’étend de l’empire Tsariste au Totalitarisme de Stalinien en passant par Poutine.
Le pouvoir en guerre contre l’antimilitarisme
Dénoncer la guerre, s’opposer au conflit militaire en Ukraine peut vous coûter très cher. Plusieurs objecteurs de conscience et militants anti-militaristes en payent le prix fort. En voici un cas retentissant.
Le 23 mai 2025 se tenait le procès de Ruslan Sidiki, anarchiste Russo-Italien. L’homme né en mars 1988 comparaissait en procès pour avoir en novembre 2023 mené une attaque de drone sur la base aérienne de Diaghilevo, dans l’oblast de Riazan. Il était aussi poursuivi pour avoir fait dérailler un train à destination du front ukrainien.
Le parquet avait qualifié l’affaire de terroriste, et le militant révolutionnaire a été condamné à 29 ans de prison par les juges. Selon le verdict, Ruslan devait purger les 9 premières années de sa peine en prison avant d’être déportés dans une colonie pénitentiaire, qui est ni plus ni moins une émanation moderne du camp soviétique.
À la fin de l’audience, l’anarchiste déclarait : «Mon objectif était le matériel militaire russe et les chaînes logistiques utilisées pour transporter du matériel militaire et du carburant. De cette façon, je voulais rendre plus difficile la conduite d’opérations militaires contre l’Ukraine. Je tiens à signaler que j’ai surveillé le mouvement du train sur les voies que j’ai explosées et que j’étais sûr qu’il n’y avait pas de trains de voyageurs en mouvement. Si je ne me souciais pas de la vie des gens, je pouvais faire dérailler ce train sans implication directe. J’ai une attitude positive envers le peuple russe, il y a des désaccords sur certains événements depuis 2014, mais pour moi ce n’est pas une raison de détester qui que ce soit».
L’an dernier, Oleg Orlov, défenseur des droits humains, était envoyé en prison pour avoir critiqué la guerre. Avant lui, des milliers de personnes avaient été arrêtées en 2022, lors de manifestations anti-guerre, et des peines extrêmement lourdes s’abattent encore sur les réfractaires et ceux qui s’attaquent aux bureaux de recrutement de l’armée. En 2006 déjà, la journaliste Anna Politkovskaïa était assassinée suite à ses articles sur la guerre de Poutine en Tchétchénie. S’en prendre à l’armée dans un empire militarisé représente un danger de mort.
L’embrigadement ou la prison : une jeunesse sacrifiée
En Russie, la répression ne s’abat pas que sur les militants chevronnés, elle touche même des enfants. C’est l’ensemble de la population qui est mise au pas. Le choix est cornélien pour la jeunesse russe : choisir d’aller se sacrifier sur le front ukrainien ou passer plusieurs années de sa vie en prison pour avoir tenu des positions contre la guerre ? Certains jeunes hommes désertent et refusent d’être enrôlés, mais ils s’exposent à l’enfermement : elle peut valoir aux fuyards entre 5 et 15 ans de prison. Des peines qui ont été alourdies depuis l’automne 2022, et de nombreux déserteurs disent craindre des représailles sur leurs familles.
Une catégorie est particulièrement ciblée : les mineurs. Les enfants et adolescents sont considérés comme des répliques réduites d’adultes. Il n’y a pas de juridiction spécifique pour les enfants en Russie, ils ne sont donc pas mieux traités que les majeurs. Les réseaux sociaux sont épiés et les établissements scolaires signalent aux instances répressives du régime, tout «caractère déviant».
En juin 2024 Arseny Turbin, âgé de 15 ans seulement, a été condamné à 5 ans de prison pour avoir exprimé dans une vidéo YouTube son profond dégoût pour la guerre menée en Ukraine. Cela fait de lui le plus jeune prisonnier politique du pays. Accusé de terrorisme, le tribunal militaire de Moscou a décidé de l’envoyer dans une colonie pour mineur, c’est-à-dire un camp de travaux forcés. D’après Amnesty International, près de 50.000 mineurs sont concernés par la détention en Russie.
Une longue tradition russe : les camps de travaux forcés
La Russie compte plus de 600.000 personnes détenues, l’un des taux d’enfermement les plus élevés du monde, réparties au sein de 642 colonies pénitentiaires. Un véritable archipel carcéral, fruit d’une histoire qui a cimenté la construction de l’empire Russe puis de l’Union soviétique. Le camp de travail est l’un des organes centraux des institutions répressives comme peut l’être sa police politique. Il permet de mettre à l’écart les opposant·es, tout en les exploitant lors de travaux forcés. Des tâches harassantes qui épuisent jusqu’à la moelle des os les détenu·es, parfois jusqu’à la mort.
Le camp de travail constitue en Russie un outil, quel que soit le régime en place ou l’époque. Ce qu’on appelle aujourd’hui colonie pénitentiaire, on l’appelait autrefois Goulag en URSS, ou Katorga sous les Tsars. Katorga vient du mot grec, Κάτεργο, galère en français. Ces différents noms définissent un même rouage de l’administration pénitentiaire russe.
Sous l’empire Tsariste, les condamné·es étaient envoyé·es dans des bagnes éloignés du pouvoir central, souvent en Sibérie ou dans les territoires de l’extrême-Est. Sous Staline, les camps et colonies de travail se généralisent partout en URSS. C’est à la fois un système répressif qui étouffe les colères, et qui permet à la bureaucratie du parti de mettre en œuvre sa politique de développement des grandes infrastructures en Union Soviétique à moindre coût, dans une région du monde qui, avant la révolution bolchevique, dépendait largement d’une économie agraire.
Le Goulag est l’organe qui administre et gère les camps de travail sur tout le territoire. Cette administration va croître jusqu’à la mort du dictateur soviétique en 1953. En vingt-cinq ans, 19 millions de personnes passent par le Goulag, 6 millions sont déportées. Environ 9% des détenu·es sont mort·es de maladie, de la faim ou des conditions extrêmes de travail et la rigueur du climat. Les chiffres sont colossaux. 1 soviétique sur 6 a été envoyé au Goulag sous le totalitarisme stalinien.
On pourrait dire de même des services de renseignements intérieurs russes : Okhrana, NKVD, KGB, FSB. Les noms changent, les régimes tombent, mais les pratiques restent. Les agents de la police politique restent en place, pour protéger le pouvoir.
La colonie pénitentiaire, une digne héritière de l’époque Stalinienne
Les colonies pénitentiaires sont administrées par le service fédéral de l’exécution des peines et du ministère russe de la Justice. Elles se développent après la mort de Staline, et sont toujours utilisées sous le régime des oligarques actuels.
Par exemple, la colonie pénitentiaire n⁰3, située dans l’Oural, a été construite en 1961, sur les fondations d’un autre camp de travail, le camp 501 administré par le goulag. Les premiers bâtiments sont érigés dès 1962. Elle se situe à 3000 kilomètres au nord-est de Moscou, à quelques dizaines de kilomètres du cercle arctique. Les hivers durent 200 jours par an avec des températures de -30 à -40°C. Les détenu·es travaillent constamment dans un froid polaire.
Cette colonie a acquis une notoriété pour avoir été le dernier lieu d’incarcération de l’opposant à Poutine, l’avocat nationaliste et réactionnaire Alexeï Navalny avant sa mort. Amenesty international alertait alors : «Les autorités pénitentiaires russes se servent des méthodes cruelles qu’elles peaufinent depuis des années pour tenter de briser le moral d’Alexeï Navalny, en rendant son existence dans la colonie pénitentiaire insupportable, humiliante et déshumanisante».
C’est bien de cela dont il est question : briser l’individu incarcéré dans le camp de travail. Le détruire physiquement et moralement, intimider et terroriser les proches du détenu, la population, pour que le pays se tienne sage. La guerre a accéléré le processus de brutalisation de Poutine, elle lui a permis de faire taire l’opposition, en organisant une «Union sacrée». Quiconque conteste est un «traître», un agent occidental.
Finalement, la plus grande victoire de Poutine n’est pas militaire, elle se trouve à l’intérieur des frontières russes : il a réussi à envoyer des centaines de milliers d’hommes à la mort dans une guerre absurde, sans provoquer de soulèvement majeur. Il n’a même jamais été aussi puissants. Il en va ainsi de toutes les guerres : elles sont d’abord des opérations de maintien de l’ordre.
AIDEZ CONTRE ATTAQUE
Depuis 2012, nous vous offrons une information de qualité, libre et gratuite. Pour continuer ce travail essentiel nous avons besoin de votre aide.



